Premier Pas

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Je poursuis ma tentative d’écriture d’un récit de science-fiction racontant la conquête de la planète Mars par une alliance formée de la République Populaire de Chine et d’une Russie néo-communiste.

Après un premier chapitre introductif qui visait surtout à mettre mes idées au clair à travers un historique imaginaire, j’ai décidé d’écrire cette fois la première mission martienne, et les premiers pas de l’Homme sur la planète rouge.

C’est seulement à quelques minutes de l’atterrissage que la capitaine Liu Anying réalisa la nature exacte de ce qui l’attendait quelques centaines de mètres plus bas. À travers le hublot du module qui descendait lentement vers sa destination, elle observait le sol ocre de la planète et c’est alors qu’elle prit conscience de la réalité concrète à laquelle aboutissait le plan de carrière dont elle avait coché toutes les cases depuis trente ans. Ce n’était plus seulement un objectif un peu abstrait qu’elle poursuivait depuis des années, cela devenait une réalité tangible.

Au-delà de l’éducation stricte inculquée par ses parents dès son enfance, des privations pendant son adolescence au profit exclusif de sa réussite scolaire, de l’ambiance de concurrence latente avec ses camarades pendant les cinq années à l’université dont elle était sortie major de promotion, des rivalités souterraines, de la dureté physique et mentale des entraînements à l’académie spatiale, au-delà de ce parcours sans faute où les valeurs de réussite, de performance et d’excellence avaient constitué sa boussole, il y avait ce résultat visible, incontestable. Il n’y avait plus que ce fait brut, à la fois concret et irréel : dans quelques minutes, elle serait la première femme, le premier Homme, à marcher sur Mars.

Le point d’atterrissage n’avait pas été choisi par hasard. Ce choix avait fait l’objet de fastidieuses études menées par une multitude de scientifiques dans des domaines aussi variés que les plats à la carte de certains restaurants asiatiques bas de gamme dans les métropoles occidentales. Alors que la taïkonaute n’était encore qu’une candidate parmi d’autres dans le processus de sélection de l’agence spatiale chinoise, des dizaines d’astronomes, géologues, météorologues, physiciens et autres experts incontestables dans leurs disciplines respectives avaient débattu pendant des mois au sein d’un groupe de travail qui avait abouti à une décision qui fit l’unanimité, ou du moins qui ne soulève pas d’objection insurmontable de l’une ou l’autre des parties en présence.

Bien sûr, la composition de ce groupe de travail, comme de tous ceux chargés de définir l’un ou l’autre détail du programme martien, avait elle aussi fait l’objet au préalable d’âpres négociations entre les deux commanditaires de la mission, l’agence spatiale chinoise et son homologue russe. Ces discussions interminables étaient malheureusement le prix à payer de cet attelage un peu bancal mais nécessaire compte tenu du contexte géopolitique.

Alors que la Russie convertie au néo-libéralisme à la fin du XXe siècle avait collaboré pendant plusieurs décennies avec les États-Unis sur des programmes spatiaux et avait même envisagé une mission martienne commune avec la NASA, le changement de régime à Moscou avait changé la donne. Le retour au Kremlin des communistes, ou néo-communistes comme ils se qualifiaient, rendait aux américains leur rôle d’ennemi héréditaire, et faisait à nouveau de la Chine un allié naturel.

Le contexte était favorable à une alliance spatiale entre les deux géants communistes. Après des débuts prometteurs au début du XXIe siècle et malgré des investissements massifs, la Chine peinait désormais à atteindre les objectifs de ses programmes spatiaux. Plusieurs échecs spectaculaires avaient mis à mal la réputation de l’Empire du Milieu et de son agence spatiale. Quant à la Russie néo-communiste en pleine restructuration après un siècle de libéralisme effréné, elle n’avait plus les moyens financiers pour concrétiser seule ses ambitions au-delà de l’atmosphère terrestre.

L’union devint inévitable quand le gouvernement américain annonça un plan d’investissement massif pour permettre à la NASA et ses partenaires privés de relancer un programme spatial ambitieux. À Moscou, le souvenir de l’échec face aux Américains lors de la course à la Lune dans les années 1960 n’avait pas été digéré. Là où l’Union Soviétique avait échoué, la Russie néo-communiste se devait triompher de l’impérialiste états-unien, même si cela devait passer par une alliance avec la Chine.

Le rapprochement entre les deux états avait abouti à cette mission martienne conjointe. Pour Liu Anying, la conséquence la plus concrète de cette alliance sino-russe résidait dans la présence d’Alekseï Volkov à ses côtés dans le module d’atterrissage martien.

À propos d’atterrissage, le cosmonaute né à Leningrad lui avait d’ailleurs fait remarquer que ce terme n’était peut-être pas le plus adéquat pour qualifier l’action de se poser sur le sol d’une autre planète que la Terre. Ils venaient tous deux de prendre place à bord du module quand Volkov lui avait fait cette remarque de l’air le plus sérieux du monde, avant de laisser éclater un rire communicatif. La capitaine n’avait que faire de ce genre de subtilité linguistique, mais elle avait appris à apprécier le caractère jovial de son officier en second.

Malgré un caractère très différent du sien, qui lui avait fait craindre le pire au début des longs mois du voyage, Alekseï s’était révélé un compagnon sympathique et un officier faisant preuve d’un grand professionnalisme. Il avait démontré très vite sa loyauté, apaisant les craintes d’Anying de voir son autorité sapée par un second Russe, et homme de surcroît. Pour elle et lui, la rivalité entre les deux nations alliées s’était arrêtée aux portes de la navette au moment de décoller pour le voyage le plus important de l’histoire de l’humanité.

Au sol, le protocole avait été strictement établi et ils le respectèrent à la lettre. Quand l’échelle se déploya et que la porte du module martien s’ouvrit, il n’y eut pas de mauvaise surprise : Volkov ne tenta pas de manoeuvre de dernière minute pour remettre en cause la place qui avait été dévolue à la capitaine chinoise de la mission. Vêtue de sa combinaison rouge, Anying descendit un par un les barreaux de l’échelle. Au terme de cette descente d’à peine deux mètres, elle fit une pause à peine perceptible, puis posa son pied droit, puis le gauche, sur le sol. Elle fit ensuite un premier pas, puis deux, et trois, avant de déclamer la formule rédigée et répétée des mois auparavant avec l’équipe de propagande sino-russe : « Il n’y a pas de petit pas, il n’y a que l’irrésistible marche en avant offerte à l’Humanité par le Communisme ».

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