Epilogue : le jour où une catastrophe sismique secoua le secteur Nord de Pangu

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Le 4° jour du septième mois de l’année XXX, au 17° millénaire, au petit matin, une vibration intense tira de leur lit les honnêtes et rudes fermiers de la colonie shin-jen de Pangu. Pour ces hommes qui étaient souvent d’anciens militaires – et de l’Infanterie Mobile, en majorité – peu de choses étaient taxées d’inquiétantes : l’attaque d’une ruche homoncule, peut-être, ou les nombreuses horreurs d’outre-espace qu’ils avaient parfois eu à affronter pendant leur carrière. Mais les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, les tsunami hauts comme des skyhooks, les essaims d’insectes géants qui s’abattent sur les récoltes, tout cela, en tant que colons terraformant des planètes souvent hostiles, ils connaissaient, et savaient y faire face. Cependant, la vibration et le bruit sourd qui s’ensuivit ce matin-là ne ressemblait à rien de tous ces cataclysmes. Celui-là, il fut classé par un bon nombre d’observateurs pangusiens (et parfois, jusqu’à des centaines de kilomètres à la ronde, le phénomène étant observable jusqu’au bourg-capitale, à 600 km² de là) comme étant d’échelle « cosmique ».

« C’était comme si la terre s’ouvrait en deux, raconta Noda Heihachi, l’un des fermiers témoins au plus près de l’épicentre. Suivi d’une déflagration qui fit voler en éclats toutes mes vitres. J’ai immédiatement envoyé les gosses à la cave, sauté dans ma combi keihilin et pris mon collisionneur, alors que ma femme se précipitait chez les voisins, les Manami, qui vivent juste à côté. »

Mais pour les témoins, le véritable choc se produisit dehors.

« Ma femme est revenue en courant. Elle hurlait des trucs incompréhensibles, et la sirène d’alerte du bourg s’était mise à sonner par-dessus le marché, couvrant sa voix. Alors j’ai entendu : La ferme des Srsen ! La ferme des Srsen a disparu ! Et je suis sorti pour voir. Et là…

Imaginez un mur de terre, soulevé sur des centaines de mètres de hauteur. Même un tremblement de terre ne fait pas ça. Aucun de ceux auxquels j’ai assisté, en tout cas. Le sol était brisé, fissuré, et de véritables montagnes se créaient devant nous. Des colonnes de terre s’élevaient vers les cieux. Des nuages gazeux de particules atomisées éclataient en volute dans l’espace, au-delà de la stratosphère. Le plus bizarre, c’est que ces transformations s’arrêtaient à la limite de nos terres, aux Manami et moi. Mais elles avaient oblitéré le domaine des Srsen, qui en était l’épicentre.

Les Srsen ? Des voisins sans histoire, serviables et utiles à la communauté. De bons fermiers, aussi, qui possédaient l’un des domaines les plus luxuriants du Secteur. C’est grâce à M. Ren, le mari de l’exploitante, qui a vraiment la main verte. Un type secret et légèrement bizarre, qu’on voyait peu, et toujours caché par un grand chapeau et une combi de travail… Il nous faisait signe de loin, aimablement, mais sans jamais trop s’approcher. Nos voisins, les Manami, les connaissaient bien… Leur fils est parti avec le gosse des Srsen et la fille Dibate sur un navire de commerce il y a quelques mois de ça. Même s’ils n’en parlaient pas trop. Et c’est pas notre genre de demander. On sait tous comment c’est sur les colonies de la Bordure : les gens y vont pour qu’on leur foute la paix, nous y compris. Personne ici n’a envie de parler de son passé. Alors les Srsen, on leur foutait la paix. Ils comptaient parmi les amis proches des Manami, voilà tout. Ouais, sans histoires. On était loin de se douter que…

Donc, pour revenir à ce qui s’est passé ce jour-là… On ne voyait plus le domaine des Srsen. Il avait littéralement disparu. Et à la place, au-dessus, je veux dire… Cet immense vaisseau noir, aux angles acérés. Un cair de guerre ældien. Vous vous rendez compte ? Un bâtiment tactique de la race extraterrestre la plus guerrière, la plus crainte et la plus puissante de la Voie, officiellement éteinte, juste au-dessus de ma ferme. Le « droit sur les étoiles » des seigneurs de la guerre ældiens, autoproclamés « maîtres de la galaxie », qui s’exerçait ici, sur Pangu.

Au début, on a tous pensé – moi, ma femme, nos voisins aussi je suis sûr ! – que ce vaisseau de guerre avait détruit la ferme des Srsen. J’avais justement vu Ren la veille, chez Hisashi Manami, avec sa femme, Rika. Cette dernière se plaignait de ne pas avoir de nouvelles de son fils et demandait aux Manami d’essayer de contacter le leur, ce qu’ils ont promis de faire. Appelez-nous à n’importe quelle heure, a-t-elle dit. On sera là. Puis ils sont rentrés chez eux. Les pauvres gens… Voilà ce que je me disais en voyant le cair ældien couvrir le ciel de Pangu de son iridium noir comme l’outre-espace, soulevant des centaines de mètres de terre et créant une nouvelle topographie en oblitérant leur domaine. Mais comme tous les gens là dehors, j’étais fasciné. Qu’est-ce qu’on aurait pu faire contre le cair d’un sidhe ældien, de toute façon ? Lui tirer dessus au collisionneur ? Ces trucs ont un bouclier holographique, et un armement qui vous font blanchir les cheveux sur place. Une technologie à la limite de la magitech, qu’on a jamais compris ni réussi à reproduire. Et sur Pangu, on a tous entendu parler de Tiger Sibricher, le terroriste ældien qui a épaulé les séparatistes padmiens lors des derniers conflits de terraforming. Même si, comme la plupart des colons de la Bordure, on sympathisait en secret avec les rebelles, on a tous tremblé en entendant parler de ce Tiger Sibricher et de son cair, qu’il avait configuré de manière à pouvoir tirer des charges gravitationnelles. Une technologie secrète de l’Holos, le plus gros calibre de toute la flotte républicaine, reproduite en un claquement de doigts par le dernier ældien en activité dans la galaxie… Et vous connaissez la petite histoire : son apparition annonçait en fait le retour des ældiens dans la Voie. Après, il y a eu la bataille de Nuniel, les raids des pirates unseelie, tout ça… À lui tout seul, ce Tiger Sibricher a détruit une bonne dizaine de bastions républicains, bataillons et vaisseaux amiraux compris, dont l’ancienne Arkonna et le super-réacteur de Jupiter. Tous les colons connaissent son tableau de chasse, et y en même qui applaudissent en secret. Finalement capturé, jugé et exécuté, d’après la propagande officielle… Tu parles ! M’enfin. J’ai pas pensé à tout ça, sur le coup. J’ai juste pensé à ce vaisseau énorme et noir et à ces pauvres Srsen, avec leur ribambelle de petits gosses. Puis je me suis rappelé pourquoi ce nom m’avait paru familier… Srsen. Rika Srsen.

On était tous fascinés par le cair ældien, à le regarder stationner avec ses propulseurs antigrav, et soulever des murs de terre, bouches bées. Le bruit surnaturel que ça faisait… Ce son : je sais déjà que je ne l’oublierai jamais. Les chœurs célestes et guerriers des mille légions qui s’abattirent du ciel sur les premières nations dans ce vieux bouquin, là, la Bible… Ce son inhumain, radicalement différent de celui qui est produit par nos machines, c’était la voix cosmique des anges de l’ancienne Terra.

Puis je me suis rendu compte que le vaisseau ne cherchait ni à atterrir ni à attaquer. Loin de là. Ce navire était en phase de décollage. Le long de ses flancs battus par les guerres astrales, on pouvait voir un glyphe énorme, effrayant, qui n’était assurément pas de ce monde. Un triangle inversé avec sept yeux. Le truc faisait la taille de ma maison, avec toutes ses dépendances. Le cair, lui, faisait bien la taille du domaine des Srsen. Et visiblement, pendant tout ce temps, il était resté caché dessous, enterré comme le Sekhmet en veille dans le désert de Fongs.

Rika Srsen, donc. Ouais, je connaissais ce nom. Accessoirement, celui de ma voisine, la femme de ce Ren, et la mère de ses gosses. Dont le petit Caëlurín, ou quoi qu’il s’appelle, parti s’encanailler avec les mômes Manami et Dibate. Mais Rika Srsen, c’était surtout le nom de la fille de cet ingénieur hérétique, Go Srsen, qui est devenu fou et a disparu des radars pour gagner un nouveau monde rémanent, Aldebaran ou Sirius ou je sais pas quoi, et qui a provoqué la mise à mort de toute sa famille. Toute, sauf sa fille de cinq ans, Rika Srsen, qui échappa à la condamnation par grâce gouvernementale avant de disparaître des radars à son tour. On la retrouva dix ans plus tard, acoquinée avec un terroriste exo… Exact, cet ældien à la longue queue blanche ressemblant soi-disant à celle d’un tigre de Sibérie. Tiger Sibricher. Dont le véritable nom était Ar-waën Elaig Silivren, abrégé en Ren.

Quand j’ai réalisé ça, je me suis tourné vers mon voisin, qui était à quelques mètres de moi, un drôle d’air sur le visage. Quand il a vu que je le regardais, il a fait un genre de sourire désolé, et son épouse a baissé les yeux. Le cair, quant à lui, après une station de quelques minutes, tournant lentement sur lui-même avec un bruit qui pourrait vous faire croire que vous êtes en train de voir les sons, venait de passer en hyperespace. La déflagration nous coucha par terre, ça je peux vous le dire. Et c’est en me relevant que j’ai croisé le regard de Hisashi Manami.

— Tu le savais ? lui ai-je demandé.

Il m’a regardé d’une façon qui voulait dire oui.

— C’était eux, alors ? Tiger Sibricher et Rika Srsen, les terroristes séparatistes dont on parlait beaucoup il y a presque vingt ans de ça ?

Il a hoché la tête, les mains sur les hanches. Puis il a croisé les bras.

— Et ils sont partis où ?

Cette fois, c’est sa femme qui me répondit :

— Ils sont partis chercher nos petits. Kael, Yamfa, et Keita, m’a-t-elle dit avec un grand sourire, mais les yeux pleins de larmes.

Je sais pas pourquoi, mais à cet instant précis, j’ai eu l’intuition qu’on se dirigeait vers une guerre à l’échelle galactique. »

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