Conversations à cœurs ouverts

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Lorsque les autres arrivèrent enfin, Kael leur fit part de son nouveau projet. Yamfa d’abord, qui sortait du simulateur de réalité virtuelle où elle avait pris un cours de yoga avec l’un des innombrables clones de Sri Manmohan Singh, puis Aedhen et Aodhann, Cerin et Ciann. Kael remarqua que ce dernier était effectivement flanqué de la fynasí, qui, debout derrière lui quoiqu’il fasse, le servait et prévenait le moindre de ses désirs. À tous, il annonça son nouveau projet d’entreprise : les Mondes Engloutis en passant par le TNSM de Sibalba.

Aedhen et Aodhann furent les premiers à soutenir son projet.

— Enfin, tu te comportes en ædhel, lui glissa Aedhen en ældarin lorsqu’il passa à côté de lui. Un meneur propose à ceux qui le suivent des amusements, des conquêtes : or, il se trouve que mon frère et moi voulons faire notre cair sur Æriban, nous aussi. Nous te suivrons encore pour cette nouvelle quête.

Aradryan parut lui aussi motivé par ce projet. Comme tout citoyen du Mebd, il considérait que partir à la recherche des reliques de leurs ancêtres disparus était un noble projet.

De Ciann, Kael ne put obtenir aucun avis ou opinion précise. Avachi sur une banquette, le jeune perædhel paraissait épuisé, et il se contentait, quoique son frère fasse ou dise, de le regarder de son regard charmeur et brumeux, un demi-sourire lointain sur les lèvres. Une fois la réunion terminée, il repartit dans sa cabine avec la fynasí, qui filait dans les ombres derrière lui avec une célérité inquiète, ses longs doigts filiformes tendus vers lui sans le toucher. Kael se promit de venir lui parler dès qu’il aurait terminé de programmer le nouveau plan de vol : il avait de nombreuses choses à demander à son frère.

Aradryan s’entendait très bien avec Keita et Anguel, mais il évitait bizarrement Yamfa. Encore une fois, Kael se promit de tirer cela au clair plus tard. Puis il s’absorba dans ses tâches de programmation et oublia. Aborder un champ gravitationnel aussi puissant que le TNSM de Sibalba n’était pas une mince affaire : il était nécessaire d’entrer dans l’horizon des évènements avec une certaine vitesse et un certain angle, afin d’éviter de se faire broyer par l’effondrement gravitationnel. Il y avait ensuite le problème de l’anneau météoritique d’Æriban à résoudre. Ainsi que le calcul de ses ères chaotiques, afin de choisir un espace-temps favorable à l’exploration de la planète. D’après ce que lui avait expliqué son père, Æriban oscillait entre un froid intense et une chaleur incandescente selon sa position par-rapport aux soleils d’Ultar. Les conditions pouvaient varier d’agréable à infernal… Il fallait donc éviter de se tromper.

Lorsque le calculateur de bord lui annonça qu’il était plus de vingt heures, Kael lâcha son clavier holographique et, du bout du pied, il repoussa son fauteuil loin des consoles de programmation.

— On a fini ? s’enquit Keita en relevant des yeux rougis vers son ami, avant de jeter un regard maussade derrière lui.

— On a fini, statua Kael.

Il jeta un regard par dessus son épaule : Aradryan et sa sœur Cerin devisaient calmement sur une banquette, en ældarin.

— Ils ont passé la journée à discuter d’un air inspiré et à jouer au lugdanaan, maugréa le jeune homme. C’est pas que j’ai voulu écouter, mais je me demande bien de quoi ils peuvent parler comme ça ! Ta sœur n’est pas censée épouser ton frère ? Je ne sais pas si c’est une très bonne idée qu’elle se lie autant avec un autre ædhellon, surtout un qui a encore son panache.

Kael observa sa sœur et Aradryan. Les longs doigts de ce dernier déplaçaient les pions sculptés avec une dextérité experte, et, à voir ce qui se passait sur l’échiquier, il n’était pas le plus mauvais joueur de lugdanaan. Kael – comme à peu près n’importe quel ædhel ayant bénéficié d’une éducation normale – avait été initié à ce jeu complexe par son père, mais, même s’il en connaissait toutes les règles de base, il était loin d’être un expert en la matière. Cerin, elle, s’était au contraire plongée dans le jeu avec passion. Elle avait même vaincu leur père à plusieurs reprises. Or, présentement, elle s’apprêtait à être battue par Aradryan.

— Si Aradryan laisse ta sœur le battre sans lutter jusqu’au bout, murmura Keita à son ami, c’est qu’il n’est pas intéressé par elle. Les mâles ældiens ne font jamais l’insulte à une femelle de se coucher devant elle dans le but d’obtenir quelque chose : c’est bien connu !

Kael jeta un regard à Keita. Il avait plein d’idées préconçues sur l’éthologie ældienne, glanées dans le Crypterium ou ailleurs. Lorsque son ami murmura avec angoisse qu’Aradryan « était en train de la battre », comme si ce constat avait valeur de sombre prophétie, Kael lui posa une main rassurante sur l’épaule.

— Ne t’inquiète pas. On peut aussi voir les choses différemment : si ma sœur se couche devant Keita, cela veut dire qu’elle n’est pas intéressée par lui. Quand elles ont un mâle en vue, les ældiennes se montrent extrêmement combattives et agressives avec lui.

Keita hocha la tête.

— Pour charmer un mâle, une femelle doit montrer qu’elle est féroce, impitoyable et prête à tout pour l’obtenir, je sais cela !

Kael regarda son ami du coin de l’œil à nouveau, puis reporta son attention sur Aradryan et Cerin. Aradryan avait la main, mais Cerin n’avait pas l’air plus concentrée que ça. Et finalement, au moment de lui damer le pion, le jeune ædhellon commit une erreur stratégique énorme : Cerin l’emporta par défaut, de telle sorte qu’on ne pouvait dire que l’un d’eux ait tout fait pour gagner.

Keita, qui ne put tirer aucune conclusion de cette partie, eut l’air désappointé.

— Je suis sûr qu’Aradryan a ses fièvres ! murmura-t-il en se levant. Du coup, il se montre plus conciliant que ne le serait un mâle intéressé d’habitude.

Kael leva les yeux au ciel. Il eut envie de rappeler à son ami que les fièvres n’avaient lieu que deux fois par an, et qu’elles étaient loin de conditionner le comportement des mâles. Mais il renonça : après tout, son père subissait le même type de réflexions avec sa mère.

Keita profita qu’Aradryan décide de partir se laver pour s’approcher de Cerin et échanger trois mots avec elle. Toujours assis sur son fauteuil de pilote, Kael les observa. Balayant les pions sculptés de ses longs doigts, Cerin devisait gentiment avec Keita, avec qui elle se montrait toujours plus aimable qu’avec n’importe qui d’autre. Ce seul fait faisait penser à Kael que son malheureux ami n’avait aucune chance de voir son amour payé de retour.

Kael attendit que Keita ait fini de discuter avec Cerin avant de la rejoindre. Rares étaient les occasions pour son ami d’échanger avec elle : autant lui laisser toute latitude pour se faire. Le perædhel ne se leva donc qu’au bout de longues minutes, et ne passa devant sa sœur qu’une fois Keita reparti dans les couloirs du navire.

— Tu as de la chance d’avoir des amis aussi fidèles, lui dit sa sœur en finissant de ranger les pions dans les sacs. Humains ou ædhil, ils te sont tous dévoués.

Kael souleva l’une des figurines. Hurlante, la crinière écarlate et à moitié nue, elle portait l’inscription glyphique de Banríon Dearga, la Reine Rouge. Il la reposa et en attrapa cinq autres, qu’il fit tourner pensivement dans ses doigts.

— Les Cinq Seigneurs d’Ombre, fit Cerin en les lui prenant des mains. Aradryan n’a pas réussi à briser leur formation : c’est ainsi qu’il a perdu la partie.

Elle en rangea quatre et n’en garda qu’un posé sur l’échiquier, de couleur noire, le visage recouvert d’une capuche qui cachait ses traits. Le Maître de la Mort, que le glyphe qualifiait de Somptueux Etranger. Le principe qui était incarné par l’Aonaran.

— Je l’ai rencontré, murmura Kael. Sur le Mebd. C’est lui qui m’a remis mon nouveau cristal, et au passage, il a même soigné mon panache. Rien qu’en le touchant.

Kael releva son regard topaze sur elle.

— Mon panache était tout pelé, tu le savais ? Ni père, pas même Lathelennil, ne savaient quoi faire pour qu’il guérisse et retrouve sa fourrure d’avant.

Cerin glissa le pion représentant Arawn dans le sac.

— Ton panache était pelé parce que tu as passé trop de temps dans le monde humain, sans bénéficier des rameaux d’or d’un arbre-lige, lui expliqua-t-elle. En te touchant, l’Aonaran n’a fait que régénérer ce qui avait été affaibli. Ce n’est pas bon pour nous de rester trop longtemps dans la réalité basique. Notre cœur de feu doit être nourri par de fréquents séjours dans l’Ethereal, et, plus précisément, chez nous, Caël. Sur notre propre territoire. Lorsque tu auras ton propre cair, tu n’auras plus besoin de te réfugier sous l’arbre de Père ou sous celui de maître Arahael. Tu seras nourri par ton propre pouvoir. Et tu pourras en faire bénéficier les autres, ceux de ta famille, de ta tribu. Mais c’est une conquête, Caël. Tout est toujours une conquête. Trouver une Cour, un wyrm, un sigil, des argonath… un partenaire. Tu dois mettre ton cœur à nu et montrer que tu le mérites. Nul ne peut mentir à ce sujet, et il n’y a pas de place pour les faux semblants.

Kael écoutait sa sœur en silence, ses prunelles fixées sur ses longues mains diaphanes. La jeune elleth s’étira languissamment.

— Le territoire… Mais il change constamment, objecta Kael. À quel point est-ce important ? Regarde Mère et Père : ils ont vécu sur le cair de papa, puis sur Pangu. Même si papa y passe beaucoup de temps, je ne sais pas s’il considère véritablement Elbereth comme l’épicentre de son territoire.

Cerin le regarda. Ses yeux étaient si transparents qu’ils prenaient la teinte de tout ce qui se trouvait autour d’elle. Présentement, ils arboraient la couleur de l’espace.

— Je n’étais pas sur place, fit-elle alors. Niním et moi avions été emmenés au loin par des soldats humains, qui, sur leur trajet vers leur destination funeste, furent arrêtés par la main d’Arawn et empêchés de nous nuire. Mais Mère, une fois, m’a raconté le traumatisme que cela avait été de voir l’Elbereth se faire oblitérer par les forces de l’Holos. Nous étions tout petits… Nos parents croyaient que nous étions dedans. Mère m’a dit qu’alors, elle avait vu une expression sur le visage de Père qu’elle n’avait jamais vu avant, et qu’elle n’a plus jamais revu depuis… Lorsque l’Elbereth, son refuge, tout ce qui lui restait du monde d’avant la Chute, fait du corps de sa meilleur amie, abritant ses enfants et protégés, son arbre-lige, avaient disparu en myriades de micro-particules… Alors maman a su que papa allait mourir. Je l’ai tout de suite su, m’a-t-elle dit. Ce n’était plus qu’une question de minutes. Quand le rayon du GBE l’a atteint au coeur et qu’il est tombé dans le réacteur de Jupiter, il était déjà mort. Le soldat n’a pas appuyé sur la détente, c’était le doigt de quelqu’un d’autre. Ren était déjà mort.

Kael déglutit.

— Qui ? réussit-il à articuler.

Cerin haussa les épaules.

— Qui ? Je ne sais pas. Amarriggan, la Tisseuse de Destinées ? Arawn, le Moissonneur des Âmes ? Shemehaz. L’Affamé… Qui ? Nul ne le sait. En tout cas, ce que tu dois savoir, c’est que voir son territoire détruit lui a brisé le cœur, et que pendant quelque secondes, il a perdu toutes ses forces, tout son pouvoir. Voilà à quel point le territoire est important, Caël.

Kael hocha la tête pensivement. Il avait du mal à imaginer son père déstabilisé par quelque chose. Pourtant, c’était bel et bien arrivé.

Kael contempla sa sœur.

— Cerin, demanda-t-il doucement, est-ce que tu aimes Niním ?

Face à l’expression de la perædhelleth, il se reprit et reformula sa question.

— Je veux dire, est-ce que tu l’aimes d’amour ? De passion, de désir ?

— Il est voué à incarner Anwë, répondit Cerin. En tant que dépositaire de Narda, je lui suis destinée.

— Mais c’est ton frère, continua Kael plus bas. Ton jumeau de portée. Tu as peut-être envie de connaître d’autres mâles...

— Maître Arahael dit que, depuis la nuit des temps, nous autres ædhil sommes voués à retrouver et à aimer la réincarnation de celui que nous aimions au départ, lui expliqua patiemment Cerin. Ni Niním ni moi ne sommes la réincarnation d’Anwë et de Narda, mais lors des cérémonies, nous allons incarner une partie de l’âme de ces sældar. Et, lors de ces cérémonies, nous devrons nous unir. C’est pourquoi ceux qui sont dédiés à des aspects complémentaires de la sældarín doivent s’unir par les liens sacrés du rite, car ce serait une hérésie pour celle qui incarne Narda de se donner à un autre mâle qu’Anwë, et vice-versa.

— Que se passera-t-il le jour où tu rencontreras celui que tu aimais dans une vie antérieure, alors ? s’enquit Kael, bouleversé. Et que se passera-t-il pour Niním, lorsqu’il vivra la même situation ?

La jeune ædhelleth baissa son beau visage. Il passa dans l’ombre, qui dissimula son expression.

— Il se peut que nous ne rencontrions jamais cette personne, murmura-t-elle, ni lui, ni moi. Mais tous les ædhil naissent avec une Voie qui leur est propre, un Destin, et à cela est associé un pouvoir. Sous l’enseignement de maître Arahael, Niním et moi avons découvert que ce pouvoir était lié à celui de l’autre. Si je ne me voue pas à Niním, et s’il ne se voue pas à moi, nous le perdrons tous les deux.

Kael sentit qu’il ne pouvait poursuivre sur ce sujet avec sa sœur sans la blesser. Alors il y renonça, et fit dévier la conversation.

— À propos de pouvoir… Je m’interroge sur le mien. Il paraît que chaque ædhel opère un type de configuration qui lui est propre. Mais moi, je suis vraiment mauvais, c’est à peine si j’arrive à faire les trucs basiques, comme le contrôle du feu ou de l’eau.

De nouveau, Cerin lui sourit avec indulgence.

— Tous les ædhil ne sont pas des experts en configurations, Caëlurín, murmura-t-elle en posant une main fine et délicate sur son épaule. Regarde Oncle Lathelennil.

— Oncle Lathé sait opérer des merveilles, comparé à moi, maugréa Kael en réponse.

— Oncle Lathé a plusieurs dizaines de millénaires d’existence, Caël, fit-elle avec un petit sourire.

Kael baissa les yeux sur ses mains.

— Il se pourrait bien que je n’aie aucun pouvoir, se résigna-t-il.

Cerin tendit ses longs doigts blancs vers lui, et lui prit la main.

— Père m’a dit dernièrement que tu avais fait un rêve inquiétant. Il est peut-être lié à ton pouvoir, justement. Raconte-le moi.

Kael raconta donc son rêve à sa sœur. Il lui raconta comment il avait vu la fin de leur monde, la Chute d’Ultar. Il dit comment il s’était vu aspiré dans le Grand Soleil en expansion, comment il avait assisté à sa propre combustion.

— Si signification il y a, conclut le jeune perædhel, c’est peut-être une sorte d’oracle, de prophétie. J’en ai un peu parlé à papa, et aussi à ces deux ædhil, Aodhann et Aedhenn… Ils m’ont expliqué ce qui nous arrive, à nous autres les perædhil. Je sais que je suis destiné à brûler. Mais je ne sais pas encore le choix que je ferais. Ældien… ou humain. Vraiment, je ne sais pas.

Sa sœur resta pensive un moment, tout en continuant à serrer sa main dans la sienne.

— À ce moment-là, lui dit-elle, tu découvriras ton pouvoir. Et tu sauras. Lorsque les perædhil brûlent, ils ont, pendant un court moment, le pouvoir du cosmos entier à leur disposition. Aucune configuration ne leur est impossible.

Cette parole de sa sœur – qui savait tant de choses ! – redonna courage à Kael, vis à vis de cette échéance qui l’inquiétait tant.

Kael releva la tête. Il avait envie de remercier sa sœur, mais il savait que Cerin, plus ædhel que lui, n’allait pas être sensible à cette marque verbale de reconnaissance.

— Une dernière chose, Kael, lui lança sa sœur en le voyant se lever. Ces dorśari qui nous ont pris en chasse…

— Sorśari, crut bon de la corriger Kael, le sourire assuré.

Mais Cerin fronça les sourcils.

— Non, dorśari. De Dorśa, l’Ombre. Ils ont beau s’appeler eux-mêmes sorśari pour leurs propres raisons, il n’en reste que l’usage de ce terme est impropre, s’il sert à les qualifier. Ils vivent dans les ténèbres et ne s’habillent que de noir : ils sont donc les Sombres, les dorśari.

— Mais Lathelennil…

— Lathelennil est partial, Caël. Ne l’oublie jamais.

De nouveau, Kael resta songeur. Ces derniers temps, en effet, sa confiance en son Oncle Lathé avait beaucoup diminuée.

Ce sont des ædhil comme lui qui s’attaquent à leurs propres frères de race, tuant des femelles et des petits, se rappela Kael. Ce sont des ædhil comme lui qui emmènent des humains en esclavage, pour les torturer et les mutiler… Et c’est par la faute de ses frères qu’on nous a enlevé Ciann dès sa naissance.

— Ialiel et Asdruvaël Niśven sont les cousins de Lathelennil, confirma Cerin. Tu me diras que ceux qui portent le nom de Niśven sont tous cousins, et qu’ils peuvent avoir des objectifs et des inimitiés fort différents… Mais je connais Ialiel. Je l’avais déjà rencontré avant cette confrontation. J’étais alors une toute jeune elleth, âgée d’à peine douze ans solariens… C’était chez nos parents, sur Pangu. Il était alors ædhel-lige de Lathelennil, le chef de sa garde.

— Tu sembles bien renseignée sur lui, fit Kael sombrement.

— Oui. Souviens-toi, lorsque Mère a invité les dorśari qui campaient dehors en armure à entrer dans la maison, à partager l’ombre et la fraîcheur et à s’asseoir à notre table. Ialiel n’a fait que me fixer pendant tout le repas, sous l’ombre de son piwafwi noir. Moi, une elleth de douze ans, pas encore pubère. Le soir même, il est venu me trouver dans ma chambre, dans la maison de mon père. Et là, bravant la colère d’Ar-waën Elaig Silivren, le as sidhe d’Æriban, il m’a proposé de le suivre à Ymmaril, pour devenir sa sixième concubine. Lorsque j’ai refusé, il s’est mis dans une colère noire, et il a menacé de s’en prendre à ma famille, mes amis, mes frères et sœurs, et à toi, Caëlurín.

— Lathelennil n’a rien dit ? demanda Kael en fronçant les sourcils. Il l’a laissé faire ?

— Lathelennil ignorait que Ialiel était venu me voir. Je me souviens de lui, avec son armure obsidienne et son piwafwi couleur ténèbres, une main accrochée sur la poutre du faîte de mon khangg. Il me regardait avec une concupiscence effroyable. Pour la première fois de ma jeune vie, moi, une perædhelleth si protégée, j’ai eu l’impression d’être nue et sans défense, réduite à n’être qu’une simple proie. J’ai haï Ialiel Niśven pour m’avoir fait ressentir cela… Oui, je l’ai haï. J’ai dit non à sa proposition, et je lui ai dit de partir, que s’il ne sortait pas, je hurlerais, et qu’alors, mon père, le dernier as sidhe d’Æriban, se précipiterait à mon secours. Il a ri, de son haïssable rire moqueur, et il est parti, la tête haute et le menton altier, comme s’il l’avait décidé de lui-même. J’ai fermé la porte derrière lui et je me suis recroquevillée dans mon khangg en serrant mon oreiller. Si j’avais pu pleurer, je l’aurais fait, Caëlurín.

Kael se souvenait de cette soirée. Très jeune à l’époque, il n’avait pas su discerner le malaise de sa sœur, et avait pour sa part passé la nuit sur les genoux d’Oncle Lathé, fier de lui et plein d’admiration pour les farouches guerriers en armure noire. Mais il se rappelait que, suite à cette soirée, sa sœur n’avait plus quitté sa chambre, et qu’elle n’avait pas adressé la parole à Lathelennil pendant plusieurs semaines. C’était à partir de ce moment-là, également, que Cerin s’était plongée dans l’étude assidue des configurations. Elle était rapidement devenue très puissante, impressionnant même son père. C’était après l’avoir vue si douée que ce dernier avait décidé de l’envoyer étudier auprès d’Edegil Arahael. Nínim, son jumeau, n’avait fait que suivre.

— Je ne savais pas tout ça, dit Kael, peiné. Je ne me doutais de rien…

— Tu étais un jeune hënnel, fit sa sœur sur un ton un peu dur. Tu ne pouvais pas savoir.

Kael baissa la tête. Une fois de plus, il se sentait honteux. L’histoire se répétait : comment aurait-il pu déceler les traumatismes de sa psyonique, alors qu’il n’avait pas su les voir chez sa sœur ?

— Et l’autre, souffla Kael, le connais-tu ?

— Il s’appelle Asdruvaël Niśven. C’est un seigneur de la guerre impitoyable, réputé pour sa grande cruauté. Je doute qu’il cherche notre frère pour son roi et cousin ou même pour Dorśa. Comme tous les dorśari, il ne fait les choses que pour lui-même. Pour s’amuser, pour ressentir l’excitation de la chasse et des tueries.

Kael baissa le nez, et il prit une grande inspiration.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ?

— Eviter qu’ils nous retrouvent, répondit Cerin en fixant son petit frère dans les yeux. Aucun de nous ne pourra leur tenir tête. Il ne faut surtout pas tomber sur eux ici, dans l’espace. Ils seraient dans leur élément.

Le jeune perædhel songea au cair hyper maniable de Lathelennil, et à l’armement anti-matière qui y était monté.

— On fera tout pour ne pas en arriver là, assura-t-il à sa sœur.

Cependant, au fond de lui, il sentait confusément que ce n’était qu’un vœu pieux.

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