Scène IV

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M. Madeleine versait du vin à son chef de la police, essayant de le pousser à se détendre et à accepter la discussion.

« Vous faites du bon travail là-bas ! J'envisage d'agrandir l'usine. Cela va attirer de nouveaux habitants. De nouveaux problèmes en perspective ! J'ai besoin de quelqu'un de sûr et d'efficace au poste de chef de la police ! Quelqu'un d'honnête et d'intègre.

- Monsieur..., fit Javert, malheureux.

- Je vais écrire à Paris ! Je vais remettre ce M. Chabouillet à sa place. Cette affaire me concerne aussi. Il est hors de question que vous payez pour une erreur de jugement.

- Ce n'est pas qu'une erreur de jugement, monsieur. Vous auriez pu vous retrouver à la place de Champmathieu !

- Et je n'y suis pas ! J'admets que la prochaine fois, j'aimerais que vous m'en parliez avant. Je n'apprécierais pas une arrestation en pleine nuit ! »

M. Madeleine riait. Javert était estomaqué.

« Mangez, s'il-vous-plaît Javert. Je n'apprécie pas de dîner seul, surtout lorsque je suis en bonne compagnie. Encore du vin ?

- Dieu, non merci, monsieur. Je n'ai pas l'habitude de boire. Je...

- Vous avez peur de perdre le contrôle ? »

Un fin sourire.

Javert ne savait plus quoi penser.

M. Madeleine le regardait en souriant gentiment. Un très beau sourire, très doux. En bonne compagnie ?

Il n'en revenait pas lorsqu'il passa ses mains sur ses joues et les trouva brûlantes. Il rougissait ? Ou il avait déjà trop bu ?

« Monsieur que cherchez-vous à faire ?

- Voir l'impassible inspecteur Javert perdre son contrôle sur lui-même doit être un spectacle rare. Je l'apprécie à sa juste valeur. »

Javert baissa la tête, intimidé et le silence retomba sur la conversation. Le dîner se poursuivit. Rien n'avait été vraiment décidé.

Le maire allait écrire à M. Chabouillet. L'idée horrifiait l'inspecteur de police. Que quelqu'un le défende alors qu'il avait commis une faute. Lui qui n'avait jamais accepté la clémence pour les autres, voilà qu'on allait plaider pour lui.

L'alcool, la bonne nourriture, le sourire du maire... La tête lui tournait un peu. Le repas terminé, Javert voulut aller se coucher. Il vacillait un peu, légèrement ivre.

Le maire l'aida à monter les marches de l'escalier, une main serrant sa taille. Javert se laissa mener, trop estomaqué pour réagir, trop saoul également. Et M. Madeleine était très doux, son parfum, discret, atteignait Javert, de la bergamote. C'était aussi enivrant que l'alcool.

Les deux hommes avaient pris une chambre à l'auberge.

Javert, le mouchard, avait voulu savoir jusqu'où l'homme pouvait aller. Il le regrettait lorsque M. Madeleine, attentionné et gentil, l'entraîna dans sa chambre. Un fin rire tandis que le maire lui retirait son col de cuir avant de s'attaquer à son uniforme. Les doigts glissant sur les boutons bien polis, les défaisant un à un.

« Je n'aurais jamais cru qu'un homme tel que vous ne boive pas du tout. Un policier de surcroît.

- Tous les policiers ne sont pas des ivrognes, murmura Javert.

- Je vois cela. »

Son uniforme tomba à ses pieds, le bruit métallique de l'épée frappant le sol le tira de sa douce torpeur. Javert se recula, farouche.

« Je saurai me débrouiller seul, merci monsieur.

- Vous êtes sûr Javert ? Je m'en voudrais de vous rendre mal à l'aise. »

« Votre présence me rend mal à l'aise » voulait clamer Javert, mais l'inquiétude était visible dans les putains de yeux bleus du maire. Plus sereinement, il répondit :

« Je vais bien, merci. Monsieur.

- S'il y a quoi que ce soit que je peux faire pour vous Javert ? »

Javert hésitait, l'esprit embrumé par l'alcool. Il n'avait pas assez mangé pour en diminuer les effets. Soudain, il sourit, son sourire de loup, effrayant. Très bien, puisque le maire voulait jouer, ils allaient jouer à deux.

« Oui, il y a quelque chose en effet. »

Pas tranquille d'esprit, M. Madeleine s'approcha de Javert. L'homme se tenait dans sa chemise blanche, les bras croisés devant lui. Les boutons étaient défaits dans le haut de la chemise, révélant une poitrine large et une traînée de poils noirs. Un bel homme de quarante ans, grand, fort, musclé. Savait-il à quel point il était attirant ? Valjean n'était pas un pédéraste mais le XXIe siècle était passé par là. Aussi étrange que cette idée soit.

« Puisque tu sembles t'intéresser autant à mon bien être Madeleine, murmura Javert, utilisant le tutoiement pour la première fois, déshabille-toi aussi.

- Javert !, glapit le maire. Que voulez-vous dire ?

- Que cherches-tu à faire ? A me séduire ? A me pousser à la faute ? Je ne m'intéresse pas aux hommes, Madeleine. Sauf... »

Le sourire devenait un sourire de fauve. Javert retroussa les babines, exposant ses crocs.

« Sauf les anciens forçats. Tu joues un jeu dangereux, Madeleine... A moins que...

- Je ne comprends rien de ce que vous dites !

- A moins que ce damné rapport ne soit pas frauduleux. »

Javert quitta sa position de statue et s'approcha de Madeleine, tout près, assez près pour que les poitrines se touchent. Ses mains se posèrent sur les flancs de M. Madeleine, traînant sur les hanches, admirant la musculature. Le policier pencha son visage vers le cou de monsieur le maire pour le sentir, avant de glisser ses lèvres sur la peau de la nuque. Goûter, embrasser...

« M. Madeleine ! Un homme fort. Un homme sorti de nulle part. Je te connais ! Je suis sûr de moi ! Tu es...

- Javert, » murmura M. Madeleine.

Presque un gémissement, M. Madeleine leva les mains, mais c'était difficile de savoir si c'était pour repousser les avances du policier ou pour le rapprocher davantage. En tout cas, elles se posèrent sur les épaules de l'imposant inspecteur.

« M. Madeleine. Voyons ce que ces jolis costumes que vous portez cachent. Mhm ? »

Au XXIe siècle, le corps de Jean Valjean ne portait pas ces damnées cicatrices mais au XIXe siècle, il en était tout autrement. Il fallait se reprendre.

Et se reprendre vite ! Car les doigts du policier avaient commencé le déshabillage, défaisant les boutons de la veste noire de M. Madeleine, les uns après les autres.

« Non, Javert, non, souffla M. Madeleine.

- On ne me dit pas non. Monsieur le maire. »

Un ricanement et Javert poursuivit son travail sur les vêtements de son supérieur. La veste tomba sur le sol, rejoignant l'uniforme du policier. Et cela réveilla M. Madeleine. Valjean. Javert embrassait toujours sa nuque, cherchant à retirer la chemise. Dévoiler les cicatrices.

L'ancien forçat se jeta en arrière, manquant de faire tomber le policier.

« NON !, lança le maire. Un peu de retenue inspecteur ! »

Valjean ne savait pas si Javert jouait un rôle ou s'il était sincère. Le policier le regardait un peu goguenard mais les yeux étincelants de mille feux. Excité ?

« Veuillez me pardonner, monsieur le maire. J'ai mal compris ce que vous attendiez de moi.

- Dîner avec vous, Javert. Juste dîner. »

Javert ne répondit pas mais ses yeux parlaient pour lui, faisant le tour de la chambre.

« Je vous ai vu ivre inspecteur. J'ai voulu vous aider. Je suis navré que vous ayez compris autre chose.

- Mes excuses, monsieur. Peut-être allez-vous repenser votre décision concernant mon poste ? »

Plus difficile de jouer les indifférents, Javert était tout de même inquiet.

« Non, cela ne change rien à ce que je pense de vous, mais il va falloir rester professionnel, inspecteur. Me suis-je bien fait comprendre ?

- Tout à fait, monsieur. »

Et le maire ramassa sa veste et quitta la chambre du policier d'un pas précipité.

Il entra dans sa chambre et ferma soigneusement la porte, avant de respirer longuement. Qu'avait-il espéré ?

Javert ne le désirait pas, il désirait juste mettre la main au collet de Jean Valjean. Et il s'en était fallu de peu que cela n'arrive ce soir.

Même si...même si ce fut difficile d'ignorer l'étroitesse d'un pantalon...

Dans sa chambre, Javert n'était pas mieux que Valjean. Il soupirait avec force, les yeux fermés et les mains glissés dans ses cheveux, assis sur le lit, il tentait de reprendre un souffle régulier. Javert ne désirait pas les hommes et pourtant... Le jeu du mouchard se retournait contre lui... Il avait eu envie d'un homme ce soir. Merde !

Le lendemain, ce furent deux hommes, professionnels, impassibles qui se firent face devant un petit-déjeuner bien garni. Des salutations d'usage, des paroles sans intérêt sur le chemin encore à parcourir pour Montfermeil. Un fermier des environs avait accepté de les mener à bon port, dès le repas terminé. On se débrouillerait pour rentrer à Montreuil-Sur-Mer. La diligence serait une excellente possibilité.

Les deux hommes ne se regardaient que rarement dans les yeux, et seulement pour y lire quelque chose de glacial.

Dans la voiture du fermier, ce fut pareil. Un silence morne.

On ne reprit vie qu'à l'arrivée à Montfermeil. Il était tard, la fatigue pesait sur les épaules. La tension des derniers jours, le procès à Arras, la scène de la veille... Il fallait manger, dormir une fois réglé l'affaire de Fantine le plus vite possible.

M. Madeleine insistait sur la rapidité. Il ne voulait pas attendre avant d'agir. Le policier était un peu surpris par cette inquiétude affichée par son supérieur.

Pour lui, il était évident que la prostituée avait menti, comme elles le font toutes. Avec déférence, professionnalisme, le policier se plia aux désidératas de son chef.

Le policier prit donc les devants, à la joie de l'ancien forçat.

Si seulement, il avait eu Javert à ses côtés la première fois... Cela aurait rendu les choses bien plus faciles.

On demanda pour l'auberge du sergent de Waterloo, on indiqua l'adresse avec soin. Le policier en uniforme était assez impressionnant et intimidant.

Javert en fut surpris. Il s'attendait à ce que l'adresse en elle-même soit fausse.

Il fut surpris puis après sa colère ne fit que monter. Insensiblement. Contre les Thénardier, contre la femme Fantine, contre lui-même.

Car non seulement l'adresse existait mais la gosse existait et sa situation était critique. Maltraitée, frappée, mal nourrie, mal logée.

Javert se révéla terrible.

M. Madeleine en fut impressionné.

Il savait que le policier était quelqu'un de fort et d'autoritaire mais il ne l'avait jamais vu en action. Javert frappa du poing sur la table, exigea de voir les factures de médecin, les demandes d'argent à-propos de la gamine. Il menaça l'aubergiste de faire fermer son établissement. Il fut admirable et Thénardier blêmit de peur.

Devant l'esclandre que faisait le policier, d'autres officiers accoururent du poste de la ville et découvrirent avec surprise le maire de Montreuil et son chef de la police discuter pour une enfant dans l'auberge des Thénardier.

Une lettre signée de la mère de l'enfant permit à M. Madeleine de prendre la petite fille avec lui dés le soir-même. La police reçut une admonestation terrible de la part de Javert. Comment avaient-ils pu laisser agir cet individu de cette façon ? Les policiers eurent beaucoup de mal à se justifier. Puis Thénardier essaya de calmer tout le monde en proposant du vin, un repas et des excuses.

M. Madeleine ne voulut rien de cela. Il voulait juste partir, emporter la petite Cosette. Sa petite Cosette. Et l'emmener en sécurité avec lui. L'enfant lui serrait les doigts de toute sa force, le regardant avec appréhension et M. Madeleine lui souriait, déjà conquis.

Une vie avec Cosette.

Javert abandonna le combat. Il promit de revenir dans quelques jours avec une batterie de policiers et de vérifier avec soin tous les registres, tous les rapports de l'auberge. Pour ce soir, il fallait laisser les choses ainsi.

Il y avait d'autres enfants en jeu. La petite Eponine, la petite Azelma et un bébé appelé Gavroche. Valjean se souvint de la barricade et se jura d'accompagner son chef de la police. Peut-être monsieur Madeleine allait pouvoir sauver tout le monde ? Thénardier avait besoin d'argent, peut-être un soutien financier ? Ou alors lui retirer ses enfants pour leur proposer une vie meilleure ? Mais sans heurter les parents, juste proposer de les adopter ?

M. Madeleine réfléchissait.

Il n'avait pas pu se poser ces questions la première fois. Il fuyait le bagne, il fuyait Javert, il faisait tout pour ne pas être remarqué. Il avait payé pour Cosette.

Une nouvelle auberge. Cosette mangeait avec ardeur, assise entre les deux hommes. M. Madeleine avait acheté des vêtements neufs à la petite fille, il avait acheté une poupée. On n'était pas le jour de Noël, il n'y avait pas de neige cette fois. Il avait acheté ce qu'il avait pu et la gamine était heureuse. Un homme bon, M. Madeleine. Comment pouvait-il être Jean Valjean ? Jean-le-Cric ?

Javert ne disait rien, estomaqué. Il regardait M. Madeleine interagir avec la petite fille, essayant de l'apprivoiser, en lui parlant de sa mère, malade. Et Cosette acquiesçait, les yeux grands ouverts, infiniment bleus.

Alors Fantine n'avait pas menti. Et Javert se sentait mal.

Il écoutait la voix douce de M. Madeleine, ses yeux brillant de joie. Il le trouva beau ainsi et se secoua d'avoir de telles pensées.

« Nous allons voir maman ?, demanda la petite fille.

- Oui, ma petite Cosette, fit Valjean, avec tendresse.

- Je suis contente que vous soyez venu, monsieur.

- Moi aussi, ma petite. Moi aussi. Tu ne peux pas imaginer à quel point. »

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