Chapitre 1

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Le premier jour de cette rentrée scolaire s’était plutôt bien déroulé. Mathilda, heureuse de retrouver ceux qu’elle connaissait depuis plusieurs années, était d’humeur joyeuse. Elle appréciait ces instants de retrouvailles, où elle reprenait un peu d’indépendance, parlait d’avenir et vivait des moments d’une innocence totale. Depuis toujours, elle côtoyait les établissements du quartier, reconnaissait chaque visage et cernait la personnalité de presque tous ses camarades. La ville n’était pas grande non plus, il fallait bien l’avouer alors les nouveaux venus se faisaient vite remarquer. En cette fin d’après-midi, la jeune fille était descendue du bus à son arrêt habituel, laissant derrière elle amis et connaissances. Désinvolte, dans un état d’euphorie, elle se lança sur la route sans prêter la moindre attention à celui qui se tenait quelques mètres devant elle. Il fallut plusieurs minutes pour que ses yeux le remarquent et que les interrogations se succèdent dans son esprit. Un nouveau venu, mais pas dans sa classe, elle l’aurait remarqué. Il paraissait pourtant être de son âge au vu de sa stature, mais c’est vrai que ça ne voulait pas dire grand-chose… Peut-être était-il dans une classe inférieure, qu’il avait du retard en tout cas, il lui était complètement inconnu. C’est ce qui lui donna envie d’aller un peu plus loin, curiosité mal placée, de savoir de qui il s’agissait, de satisfaire ses interrogations. Le jeune homme avançait quelques mètres devant elle, imperturbable, le pas rapide et sûr. Mathilda le héla tout en trottinant pour le rejoindre.

« Salut… T’habites par ici, je ne t’ai jamais vu ?

- Oui, un peu plus loin. Toi aussi ? Contrairement à elle, il semblait plus timide, fermé. Sa voix vibrait trahissant sa nervosité tout comme son attitude qui se voulait un peu fuyante.

- Moi aussi… Ca fait du bien de trouver quelqu’un qui prend la même route que moi! C’est la première fois depuis le primaire. Je m’appelle Mathilda. Tu viens d’arriver par ici ?

- Moi c’est Alexandre. Ca fait à peu près un mois que j’ai emménagé là-haut, avec ma mère. D’un geste il pointa la route qui se poursuivait en petits serpentins. Et toi, tu fais ce chemin depuis longtemps alors?

- Oui, j’ai toujours habité ici. Mes parents sont originaires de la ville, ce trajet je le connais par cœur, je le fais depuis toujours. Je suis contente de ne pas être toute seule pour une fois. Ici on est un peu excentrés, c’est rare ceux qui prennent le même chemin… La plupart habitent de l’autre côté de la ville alors je rentre seule à chaque fois. Je ne t’ai pas demandé, mais, tu es en quelle classe? »

Avec un certain plaisir, Mathilda apprit qu’Alexandre était au même niveau qu’elle et qu’ils partageraient certainement quelques cours au vu de son numéro de classe. La perspective de connaître un peu plus l’inconnu qui se tenait à ses côtés la fit sourire.

« Je suis prête à parier que ça pourrait être sympa si on faisait le trajet ensemble. Tu en penses quoi? Ca nous permettrait de faire connaissance et, au pire, rien ne nous empêche de rentrer chacun de notre côté si ça ne colle pas non ?... Ca te tente? » D’abord hésitant, Alexandre opina. En arrivant pendant les vacances, il n’avait pas eu le temps de nouer de relations et, même s’il avait l’habitude d’une certaine solitude, l’idée d’un trajet un peu raccourci, en bonne compagnie, bavassant à tout va le séduisit. Et puis, Mathilda ne manquait pas de charme… La jeune fille ralentit son allure une fois arrivée au coin de la rue.

« C’est ici que je m’arrête. Tu vas jusqu’où toi ?

- Pas loin, juste là. Il désigna la maison qui se trouvait à l’autre bout de la rue, encore quelques mètres et lui aussi serait rentré.

- Bon ben alors on est d’accord, on se voit demain? Même demain matin si tu veux ? Je pars de chez moi vers sept heures moins le quart, si tu veux on se rejoint ici à cette heure ?

- … Oui, pourquoi pas. Si tu peux attendre cinq minutes au cas où je n’arrive pas tout de suite… » Pas de soucis, ni pour l’un ni pour l’autre, ils se retrouveraient avec plaisir dès le lendemain.

En rentrant chez lui, Alexandre se sentait plutôt bien. Faire le trajet en bonne compagnie ne lui était jamais arrivé. Il avait pourtant fréquenté plusieurs écoles, trois pour être exact, mais les bouleversements de sa vie personnelle l’avaient peu à peu esseulé.

Dans le premier établissement, qu’il côtoyait depuis la maternelle, tout se passait pour le mieux. Alexandre était un enfant attentif et calme, cherchant à réussir, ayant une soif d’apprendre et une envie de bien faire. Comme tout enfant, il naviguait dans un petit groupe d’amis, sans vraiment avoir d’attache particulière. Sa vie fut bouleversée alors qu’il atteignait la fin de sa huitième année. Sa mère qui, jusque-là, avait toujours été attentive à tout ce qui pouvait lui arriver entra dans une phase de dépression. Le père de famille venait de les quitter, face aux aléas de la vie qu’il lui faudrait affronter, sans personne à ses côtés. Pour la jeune femme de vingt-six ans, impossible de supporter cette solitude; elle passa la majeure partie de son temps enfermée dans sa chambre, sanglotant et délirant des effets de l’alcool qu’elle ingurgitait à longueur de journée. Elle était totalement anéantie.

Le garçon, livré à lui-même, tentait de faire face. Tout jeune qu’il était, Alexandre sentait la dérive maternelle et alors, plein de volonté, essayait de maintenir sa mère à flot. Malgré son jeune âge, il la soutint autant que possible, préparant les repas, s’occupant d’instaurer un semblant d’hygiène dans la demeure, comme sa mère le faisait si bien avant. Si toute sa volonté se vouait à sauver sa mère du naufrage, scolairement, il n’assuma plus rien. Après tout, est-ce que tout ça avait de l’importance face à la détresse de sa mère? Plus de cours, plus de devoirs, plus d’école, le garçon restait au domicile la plupart du temps, accaparé par l’essentiel. Le peu de fois où il se rendait en classe, son esprit vagabondait, il ne comprenait plus rien ne cherchait pas à comprendre d’ailleurs, n’y trouvant aucun intérêt. Ses nombreuses absences tout comme son manque de travail alertèrent son institutrice qui envoya lettres de rendez-vous sur lettres de rendez-vous à une mère complètement absente.

Peu à peu, Alexandre devint moins amical, ses nuits s’écourtèrent aux cris de sa mère qui l’appelait angoissée dans son lit, le suppliait de rester tout en l’entourant d’un amour nouveau. Sa joie s’estompa, son regard se durcit.

Si l’école avait été durant toutes ces années un lieu d’échange, de rire et de partage, elle semblait aujourd’hui beaucoup plus sordide ne devenant que le seul moyen d’éviter son quotidien. Loin, il respirait de nouveau, échappant alors à l’enfer de sa nouvelle vie. C’est tout ce qu’il recherchait, cette solitude, ce moment rien que lui et lui seul, sans personne à épauler.

Ses amis essayèrent bien de garder le contact, mais plus rien en lui ne réclamait cette attention. Fermé, perdu en lui-même, il les repoussa, petit à petit, gardant le silence, s’isolant et les évitant dès que possible. Si certains s’accrochèrent, il ne fallut que quelques mois pour que l’oubli s’invite et ne chasse les interrogations de ses petits camarades.

L’insistance du corps enseignant interloqué par ce brusque changement poussa la petite famille à déménager à la fin de son année scolaire. Ils s’installèrent dans une ville à des kilomètres de là. Alexandre était alors âgé de dix ans. Ils n’y restèrent que deux années, l’atmosphère des grandes villes ne semblait plus leur convenir. Le jeune préadolescent s’était totalement fermé dès son arrivée, il ne noua aucun contact, ne s’activa plus en classe tout comme chez lui, ne s’accorda que du minimum vital sans prononcer un seul mot des journées complètes parfois. Les implorations quotidiennes de sa mère l’étouffaient complètement. Au fil du temps, elle s’appuyait de plus en plus sur lui, ne lui laissant que peu de répit, torturant son être autant que son âme.

Doucement, elle devint plus collante, envahissante, le rassurant à chacune des absences scolaires qu’elle orchestrait. Dans son besoin d’attention, la mère grandissait, tactile chaque jour un peu plus, faisant naître des interrogations justifiées dans l’esprit de son fils. Les nuits passées dans le même lit, les blottissements contre son corps, les caresses presque incessantes le maintenaient des heures éveillé. Il sentait parfaitement ce désir d’affection, mais restait incapable d’y faire face se faisant alors dévorer par ses envies sexuelles maternelle chaque fois plus précises. Si tout en lui criait à la confusion, il n’était pas capable de mettre un frein à ce qui obscurcissait son avenir.

Ses dernières années de collège se déroulèrent dans une troisième ville. La population ici était moins dense et on y trouvait plus de verdure, ce qui apaisa un peu les tensions maternelles. La routine était établie au sein de la famille et personne n’y dérogeait, chacun paraissant, y trouver une certaine sérénité. Alexandre ne changeait pas ses habitudes et passait son temps entre l’école et la maison. Il avait appris à gérer ce qui se jouait dans l’intimité même s’il s’en sentait prisonnier; entre embarras et plaisir, il ne maîtrisait pas sa jouissance et en éprouvait une certaine culpabilité.

En dehors des cours, il ne vivait aucune sortie, ne liait aucune connaissance, n’avait aucun hobby. Son travail scolaire avait repris un rythme normal à son entrée en cinquième. Ca avait été comme un déclic, l’envie de gérer quelque chose, une évasion qu’il s’évertua à garder intacte. Ses résultats n’avaient rien d’exceptionnels, le garçon était moyen, mais ces instants hors de chez lui lui offraient un sentiment de liberté, la sensation de vivre normalement sans compter qu’en étant un élève dans la moyenne, aucun de ses professeurs ne s’intéressa plus à sa situation. Il lui arrivait parfois de demander un peu d’aide sur des cours litigieux, ce qui constituait en somme toute sa vie sociale en dehors de chez lui.

Plus confiante, sa mère aussi avait mûri. Ses interventions auprès du corps enseignant étaient claires; son alibi était sûr, il n’y avait en surface nulle trace des difficultés franchies. Pour le reste, elle était à l’identique de son fils, sa vie sociale touchait le néant, elle ne sortait pas, ne travaillait plus depuis l’entrée au collège de son fils et ne nouait aucune relation stable. Trois hommes, uniquement trois hommes s’étaient succédés depuis sa rupture, trois dont le dernier avait fait naître une nouvelle intimité. Ils se rencontrèrent lors de la location du logement, alors qu’il cherchait, lui aussi, à obtenir la petite maisonnée. Echange de sourires, quelques traits d’humour, une oreille attentive et la vie de couple avait débuté dès leur arrivée dans le logement. Il ne fallut que quelques mois pour qu'il soit assez à l’aise et impose son idéal, laissant paraître son vrai visage. Les années se succédèrent auprès d’un homme égoïste, alcoolique et sans scrupule. Tout de suite, il se mit à régir la vie de famille entre deux bouteilles d’alcool. Plus que l’homme, c’était d’ailleurs la dépendance qui avait pénétré les lieux, l’envie d’être déconnecté de la réalité, de s’évader, de retrouver le sourire. Le couple gardait peu l’esprit clair, dès le matin le ton était donné pour une nouvelle journée de débauche et d’extase sans la moindre conscience du temps qui passait.

Pourtant, ce fut l’unique période durant laquelle Alexandre retrouva un semblant de vie normale. En couple, sa mère ne le sollicitait que très peu, uniquement quand elle se sentait seule, ce qui était généralement le cas après les disputes du ménage. Il perdit de l’importance, quitte même à ne plus exister lorsque les amants se réconciliaient. Le jeune garçon se délecta de ces moments, ne craignant plus les venues inopinées de sa mère en pleine nuit qui cherchait à être consolée ni ses appels incessants pour qu’il passe la nuit dans les draps, à ses côtés. Plus de caresses, de masturbation, ni même de chevauchement, non, s’il n’appréciait pas le nouvel arrivant, il appréciait au moins la liberté que sa présence lui procurait.

La relation prit fin brutalement, l’homme ne supportant plus ce qu’il avait finalement laissé entrer dans sa vie privée. Les choses avaient évolué en cette année; impossible de savoir pour quelles raisons, mais, le quotidien tant caché avait repris le dessus. La mère se lassait-elle de ce qu’elle vivait depuis deux ans ? Quoiqu’il en soit et l’état d’ébriété quasi quotidien aidant, elle avait fini par émettre l’idée d’une relation intime hors norme: elle avait besoin d’inclure dans sa sexualité tous ceux dont la présence lui paraissait indispensable ou plus précisément, d’y retrouver l’essence même de sa vie, son fils. Complètement ivre, l’homme accepta. L’idée était originale, il voulait lui faire plaisir, et tant qu’il pouvait assouvir ses propres pulsions, peu importait de quelles manières, l’arrivée d’un troisième partenaire ne devrait pas poser de problème et puis, s’agissant d’un jeune adulte, comme il aimait à le dire, il saurait lui faire garder sa place.

Alexandre fit alors son entrée au sein du couple, n’ayant aucune véritable place, distraction pour l’un, fétiche pour l’autre. Malgré la dureté de ce qu’il avait déjà connu, cette étape accentua son mal-être. Il finit par se détester lui-même, se négligea autant que possible, rata quelques overdoses médicamenteuses, occulta totalement sa vie scolaire. Plus rien ne valait la peine, la honte l’avait envahi, un vide fade et dévorant le pénétrait. Il assouvissait, sans jamais toucher ni prendre la moindre initiative, les demandes incessantes de sa mère, poussé par un beau-père qui n’était plus conscient de ce qu’il avait lieu sous ses yeux, jouet d’une libido perverse et capricieuse. Il voyait tout de leurs jeux amoureux, excité par un doigté précis, elle n’avait aucune peine à introduire en elle son sexe avant de se faire sodomiser par son propre compagnon. Six mois passèrent à jouer ainsi, parfois à deux, souvent à trois, puis de plus en plus gêné, jaloux de l’affection trop prononcée qu’elle portait à sa progéniture, l’homme chercha à tout arrêter. Il se sentait mal à l’aise devant ces jeux tordus, mais, trop tard, elle appréciait la tournure des choses et ne comptait rien changer.

Il finit par partir, sans un mot, du jour au lendemain, sans qu’elle n’en sache rien, déclenchant ainsi le départ d’Alexandre et de sa mère un mois plus tard inquiétés par les questionnements dus à la déscolarisation soudaine et imprévue du jeune homme, un aspect dont elle n’avait jusqu’alors plus conscience.

Se retrouver tous les deux seuls une nouvelle fois le rassura, comme une nouvelle bouffée d’oxygène, il reprit vie malgré le calvaire qu’il continuait de subir. Sa mère, en pleine boulimie sexuelle, quémandait toujours beaucoup d’affection, mais il y répondait avec un certain apaisement. L’alcool avait fui le foyer en même temps que l’homme et se retrouver dans l’intimité qui les liait depuis toujours le rassura. En s’installant dans la petite bourgade, il ne s’attendait pas à lier une quelconque amitié et la perspective lui plaisait. Son esprit serait préoccupé par autre chose que le quotidien, rien que l’idée de partager les moments de vie d’une personne, des moments tout à fait normaux, des disputes, des fêtes, des rires, oui, vivre par procuration ressemblait au paradis.

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