Les Ballons verts

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 Il y avait ces gens à côté, rassemblés autour de grandes tables. À travers les grandes baies vitrées du restaurant, on pouvait les voir boire et manger sous des guirlandes de ballons verts qui semblaient avoir été accrochées là pour une certaine occasion. Occasion que j'essayais de deviner comme un jeu, tout en sirotant un thé dans la gargote d'en face. J'imagine...:

Ainsi donc sont célébrés au bouchon des Trois cochons, les quatre-vingt-dix ans de Mamie Ginette. Anciennement lavandière, mère de cinq enfants, mariée à feu Edmond Foucher, et réputée comme étant à ce jour la meilleure confectionneuse de tarte à la rhubarbe du pays. Récompensée par de nombreux prix, elle n'aura d'ailleurs pas manqué de les montrer à tous ses camarades de la maison de retraite qui, lui vouant un culte démesuré, étaient allés jusqu'à faire la demande d'ériger une statue à son effigie au milieu de la cour intérieur. Bien évidemment, on refusa et, après avoir maté les rebelles à coup de verveine, on leur imposa pendant trois jours un régime excluant toute viande rouge (les médecins y voyant une explication à cette brusque montée des antagonismes).

Notre très compétente pâtissière est entourée, à sa gauche, de sa famille et, à sa droite, des amis qui lui ont survécu, du moins pour l'instant : « Winter is coming ». Soudain, tante Aglaë, piètre photographe à ses heures perdues, s'élève au milieu des tables et demande à tous un « Ouistiti, spaghetti, ravioli » avant de prendre un admirable cliché qui sera transmis de génération en génération. Il finira dans les mains de Jean-Eudes, encore jeune garçon ignare à cette époque, qui se remémorera toute sa vie grâce à cette relique la violence du râteau que lui avait infligé en ce jour malheureux sa cousine Berthe dont il était amoureux fou.

A côté de lui, Madame Plantou, la voisine de chambre de la récipiendaire qui avait sorti du placard son plus beau tricot couleur gazon, vantait ses hypothétiques racines espagnoles et encore plus hypothétiques liens de parenté avec la famille royale d'Espagne. Elle s’entraînait à parfaire son accent sonnant comme celui d'une vendeuse de poisson qui roule les -r pour vendre la fraîcheur de sa marchandise. La señora Plantú avait apporté avec elle un éventail et, alors que le climatiseur soufflait un air glacé, elle ébouriffait le sac de nœud qui lui servait de cheveux en l'agitant au moyen de grands mouvements de bras. Si son gabarit le lui avait permis, elle se serait certainement envolée. Peut-être même qu'avec son pull, on l'aurait confondu avec les ballons et personne n'aurait pensé à la décrocher des guirlandes.

Mais voici qu'on apporte le gâteau sous un tonnerre de « Ah ! Oh ! Qu'il est beau ! ». Avec les cinq couches de crème qui le recouvraient, la moitié de l'assistance aurait pu mourir d'hyperglycémie, ou d'étouffement si l'on y ajoute les épaisses génoises qui structuraient le tout. Loin de ces préoccupations diététiques, on fait souffler ses quatre-vingt-dix bougies à Mamie Ginette, et, après l'avoir aidé pour les quatre-vingt-neuf restantes, on coupe et on distribue des parts. Puis vient la traditionnelle distribution des cadeaux. Une cérémonie qui n'a pas tellement changé depuis l'époque des rois : chacun se félicite d'avoir trouvé le plus beau présent et s'accapare toute l'attention : « Une bricole de chez Givenchy. Je me suis dit que ça te ferait plaisir. », « Je n'ai pas réussi à trouver la montre en argent que tu voulais mais j'en ai trouvé une encore plus belle en or. », « Avec les enfants, on s'est cotisé pour t'offrir ce voyage aux Seychelles. Tu es contente? ». Plus la mort approche, plus les gens se ruinent pour faire plaisir à l'être cher. Une façon de le retenir plus longtemps ? Or si Saint Pierre était aussi facile à corrompre, tout le Paradis serait au chômage technique, et allez savoir si les Seychelles existent là-haut.

Enfin, la famille, les amis, les jeunes, les moins jeunes, les joyeux, les déprimés, les amoureux, les divorcés... tous s'étaient réunis, parlaient, mangeaient, riaient, chantaient et Mamie Ginette était heureuse.

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