Chapitre 9

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 Ça s’est passé là… Au comptoir… Vers cinq heures. Très chaud encore à ce moment-ci. Un couple, joli, propre, jupe et chemise rien à y redire, vient à la caisse cependant que c’est moi qui y suis. Lui maigrichon toute, carencé de la silhouette. Rouquine elle, guindé pareil qu’un cadre de vélo, tringle de fer surmontée orange… Flamboyant cintre ! Toutefois moi jamais juge sur le physique, ça non, impartial inébranlable, pas d’exception dans les courbettes et l’attrition, professionnel vrai, chaque fois bal des faux-culs, grande messe de plastique : sourire, sourire rendu, espèces ou carte bleue, machine ou caisse on s’adapte, merci monsieur merci madame, plaisir plaisir vraiment, oh oui, oui ! Bien entendu ! À bientôt ! Sourire, sourire, porte, et au suivant. Seulement cette fois-ci différent : ils ne partent pas. Au lieu de ça ils me regardent béats, et si ahuris qu’on ne sait plus si c’est la Vierge Marie ou le Sergent Garcia qu’est venu les visiter. Me semble tout de même que leur bouche ouverte comme un ramequin à langue indique plutôt la félicité, un bonheur tombé dessus tout chaud et qu’ils s’empressent de gloutonner à grands coups d’air au gosier. Galvanisés silencieux ils sont, mais tout à coup lui se décide… Me tend la paluche ! Poli, moi, élevé à la crème de bienséance, lui malaxe les haricots tandis qu’un bifton tombe sans le moindre bruit dans les miens. Hop ! Ni vu ni connu, doublure renflée. Qu’est ce qui lui a fait se lancer ? Mystère… Toujours est-il qu’il continue, il se racle un peu, s’éclaircit l’intérieur. S’agit de pas rater son effet, bien se préparer : grrr, grrr pteuh. Et encore krrrraah ! Devait y en avoir une batterie complète là-dessous, la gangue en tapisserie de gorge ; les allergies, allez savoir ! Ah, c’est fini cette fois, il essaie pourtant encore mais n’en sort plus que des miaulements étouffés, des minauderies de larynx, des kof kof à peine audibles. Enfin, répit, il est tout à fait prêt :

-  Dites-moi voir monsieur, ce serait-il possible que d’parler au responsable d’ici ? demande cet individu d’une voix de gorge aussi nette que grammaticalement poivrée. Nous zavons z’à lui entretenir de quèque chose.

 Souriant, j’hoche une tête qui respire le « Mais certainement, cher monsieur. D’une course allègre, je m’en vais le quérir céans » qui l’enconfiance plus encore dans la légitimité de sa courageuse démarche. Ah, c’est qu’il en impose ! Extatique duo, action osée ! Liminaire d’une joie aussi permanente que la coiffure incendie de madame. Que si j’en avais dans le dos en m’en allant, j’y verrai deux convois de molaires aussi blancs que stupidement entrouverts. Allégresse toute ! Par chance je n’en possède pas… D’yeux derrière, entendu. Allègre ça m’arrive parfois.

À savoir… Jacquemin sort jamais de sa pièce et n’y reçoit personne. Veut la paix plus que tout. Son oreille mieux gardée que le slip du pape. Depuis que j’y suis au restaurant règle d’or. Faire rentrer bézef et pas déranger en cas de. Fondement absolu, essentiel. Déroger ? Atteindre à sa ? Hors d’imagination ! La porte ! Aussi quand les clients demandent, on sourit oui-oui, on s’envoie en promenade dans l’arrière-boutique, ou dans les cuisines ils sont habitués, enfin là qu’on peut pas nous observer depuis la salle, puis voilà qu’on leur réapparaît la mine désolée absolument, l’œil mouillant et contrit extrêmement. Ici, c’est une moue maîtrisée par tous. Inscrite si bien dans les rides que dans le curriculum. Une pause comme une autre. Bon à prendre, certain. Je reviens à eux. Entrechats, langue parfumée rose, larmes et miel ; arabesques et veloutés quand je leur tartine une quelconque excuse pour leur signifier l’absence du sus-désiré. Onguent, onguent toujours, et ainsi vont les choses sous les méridiens hypocrites.

-  M.Jacquemin ne peut malheureusement pas vous recevoir, que je leur sers. L’est en train de déterminer avec le chef le menu du jour de demain. Vous savez ce que c’est. L’un dit « moins cher », l’autre « Je ne peux pas travailler dans ces conditions ». C’est Rethondes tous les jours ici…

 Les deux se superposent les pupilles dans une courte œillade désemparée. Pas prévu au programme ça : paniqués pis que des poules devant un plat garni de pommes de terres et vide au centre. Regardent partout, gauche, droite, tourbillon d’effroi devant l’aléa. Mince ! Qu’il faut faire quelque chose, qu’il y a bien une solution. Et des yeux, des yeux ! Oh, bêtes oui, reflètent rien de l’intérieur. Calebasse évidée là-dedans, traitement de l’information zéro. Neige et néant. Air de vache. Les sens, les émotions en guise de Routard. Les voilà à brasser du rien, mais dans toutes les directions… Des boussoles larguées dans une orgie d’aimants. Pas méchants non, mais peine à voir, pour peu qu’on soit empathique. Fatalement, c’est sur moi que leur détresse converge. Ils me remaquillent en fusée éclairante moi qu’avait rien demandé… Veulent savoir si je peux prendre un message malgré tout, que je le transmette dès que possible. J’opine du chef ; bien qu’il ne daigne pas être là. Tout de suite délivrance : ouf gigantesque ! Regardez autour de vous, que les bienheureux qui sont capables de soupirer de soulagement aussi fort. Ainsi qu’on les reconnaît. Bien plus qu’à la largeur du sourire, le bonheur se mesure au son de l’angoisse passée. Ontologique peur de souffrir…

 Je leur demande l’air pénétré ce qu’ils souhaitent que je délivre, comme message, pendant que pour leur pérenniser la confiance je tire stylo, papier et une face compassée. Mine bleue, tout bien… Sérieux… Tchok, tchok, que j’impatiente du crayon contre le comptoir. Fais jouer le ressort… Mais quoi ? Qu’est ce que je vous entends dire ? Suggérer lâchement, à quart-de-voix ? Comment ? Que tchok, tchok c’est pas convenable pour un bruit de stylo ? Qu’est ce que vous croyez ? Qu’il va se mettre à faire papayoukoulélé comme bruit tout en dansant d’un coup la kalinka russe ! Tchok, vous dis-je. Ou tchac, enfin du genre, de l’approchant… Chipotages, cornedouilles, coquecigrues. Puis c’est moi qui tiens la plume, vous avez qu’à en faire autant si ça vous plaît pas. Tchok, tiens celui-là rien que pour bisque-bisque-rage. Vous apprendra…

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