85.4

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Dolorès passe une main dans mes cheveux en bataille et caresse mes oreilles de chat.

— Je t'aime, dit-elle.

— Je t'aime aussi.

— Même si tu es vraiment très bruyante !

Je vire au rouge, je cache aussitôt mon visage dans son cou. Je sens encore le feu qui brûle dans le bas de mon ventre et ne veut pas s'éteindre. Est-ce que je vais savoir lui rendre la pareille ?

Je déglutis.

Dans un élan de confiance, je fais glisser le shorty de Dolly en bas de ses longues cuisses. Elle stoppe mon geste en empoignant mon avant-bras. Je l'interroge du regard.

— Je flippe, Nolwenn, tu n'as même pas idée. Alors, est-ce que tu peux me faire une promesse ?

— Tout ce que tu voudras.

Je m'attends à tout : devoir lui jurer fidélité jusqu'à la fin de mes jours, satisfaire un fantasme bizarroïde ou encore devoir fournir un bilan sanguin pour preuve que je n'ai pas le coryza. Je suis prête à me plier à n'importe laquelle de ces requêtes. Je m'attends à tout, sauf à la demande la plus logique qui soit.

— Promets-moi de ne pas sortir les griffes.

J'éclate de rire – c'est plus fort que moi – pendant que Dolly tremble vraiment à l'idée que je puisse transformer son vagin en charpie.

— Arrête de te moquer, bougre de moumoute acérée !

— Pardon. Pardon. Je te promets de faire attention.

Faire attention, c’est tout ? Bon, je suppose que je vais devoir m'en contenter.

— Je te promets de faire trèèès attention.

Je dépose un baiser sur son front et elle me renvoie un sourire faussement exaspéré. Cette fois, c'est le moment fatidique. J'approche le visage du bas-ventre de Dolly. Je reste un instant fascinée par la drôle de fleur que je découvre entre ses cuisses. Ses lèvres, comme d'épais pétales, laissent entrevoir le petit bouton de son clitoris. Je rassemble le peu de connaissances que j'ai sur les zones érogènes. Alors je commence à lécher la petite boule, toute salée, et Dolorès se cambre en poussant un soupir. Je continue comme ça, en même temps que son poing agrippe mes cheveux pour enfoncer mon museau un peu plus en avant entre ses lèvres humides. Bientôt, j'ai la langue recouverte de sécrétions gluantes. Le goût ne me dérange pas. La texture m'amuse. C'est comme une soupe de mollusques, et j'imagine de minuscules escargots baver sur les pétales pubiens de Dolorès au petit matin.

— Qu'est-ce qui te fait rire ? souffle-t-elle.

— Les escargots... Non, rien.

Si je lui explique, un nouveau fou rire va nous prendre à la gorge. J'ai envie de rire toute ma vie avec elle mais, là tout de suite, j'ai seulement envie d'elle.

Je prends soin de rentrer les griffes avant d’aventurer l’index au creux de son pubis. Contrairement à moi, elle réagit tout de suite. Je la sens qui se crispe et frémis. Cette fois, c'est moi qui l’assomme à force de « Ça va ? Je ne te fais pas mal ? ». Je comprends ses inquiétudes maintenant ; chaque parcelle de chair molle semble si délicate, si fragile là-dedans. On aurait peur d'appuyer juste un peu trop sur un point sensible ou d'érafler un tissu. Un éléphant dans un palais de porcelaine, c'est comme ça que je me sens alors que je crains de déranger quelque chose dans les profondeurs secouées de ma petite amie.

Au fur et à mesure, je capte les bons gestes et les bons endroits. Je me fixe une limite à ne pas franchir. Pas tout de suite. Je fais attention à la cadence de mes mouvements : assez vifs pour l'exciter, mais pas trop brusques non plus. Quand je la sens qui se tortille d’inconfort, je masse plus tendrement la zone à soulager. Dedans, c’est tout chaud et incroyablement doux. Je pourrais la caresser pendant des heures, comme on caresse un chat. Je pourrais, en théorie. En pratique, une sale crampe au poignet m'oblige à abréger nos ébats.

Elle se love contre moi et murmure :

— Merci...

Je tourne le poignet et remue mes phalanges pour chasser les fourmis qui me montent dans la main. Le temps que je me retourne pour la prendre dans mes bras, Dolorès s'est endormie.

Un silence me réveille au milieu de la nuit. J’ai froid, alors je me redresse pour fermer la fenêtre. Dolly s’est allongée sur le dos, les mains croisées sur le ventre. Ses yeux grand ouverts fixent le plafond. Je m’allonge près d’elle sans oser interrompre ce qui a l’air d’une profonde réflexion. Si profonde que Dolorès n’est plus vraiment là, avec moi. Après trois bonnes minutes à subir sans rien dire son regard plein d’effroi, j’essaye de chuchoter :

— Où tu es ?

— Dans le Désert, murmure-t-elle. Là où les bombes pleuvent tous les jours. Je viens de dézinguer des dizaines de gamins, juste parce que leurs parents étaient des Sanfautes, juste parce que quelques-uns devaient avoir des dons et que ça nous faisait peur. Je n’ai pas cherché, je n’ai pas fait le tri. J’ai tout nettoyé au canon laser. Un type m’a tenu tête et j’ai failli mourir. Presque tout mon commando est mort. Il ne reste qu’Ashton, mon chef, qui est complètement en train de vriller, et Karin, qui est encore plus jeune que moi et qui empeste la pisse. Je ne lui en veux pas : si j’étais un peu plus humaine, moi aussi je me serais fait dessus.

Je rabats la couverture sur sa poitrine transie et enroule mon bras autour du sien. Je ne veux pas m'immiscer plus que ça. Ses lèvres tremblent, son rêve se disloque. Je suis obligée d’insister.

— Il va où ce camion ?

— On ne sait pas trop. On a juste pris la fuite avant que d’autres rebelles nous tombent dessus. On n’a plus l’effectif ni la force pour combattre. J’écoute AKA Poliss à fond à la radio en mitraillant tous ceux qui se lancent à nos trousses. Ashton a déjà lancé un SOS. On file vers la base de Kashi rejoindre une autre division. Quand on arrive là-bas, le commandant Descombes et ses troupes nous reçoivent en héros, en survivants. Je suis tellement en colère que j’ai envie de pleurer toute l’eau de mon corps, de me vider, d’être sèche comme la mort et enterrée sous le sable. Je bous comme une marmite et pourtant rien ne sort. Je me dis que peut-être je suis déjà morte, déjà sèche. Je me dis qu’en tous les cas je n’ai plus d’émotions et que je suis un monstre.

Les sanglots lui tordent la gorge. De grosses larmes coulent le long de ses joues mais je ne dis rien, de peur qu’elle se réfrène. Heureusement elle poursuit :

— Il y a ce gars dans la Division 8, Akio. On a été dans la même prépa et il sait très bien de quoi j’étais capable. J’ai fait beaucoup de choses dont je ne suis pas fière, Wennie. Je crois que trop de gens sont morts par ma faute… En arrivant à Kashi, j’ai peur qu’il cafte, mais il ne dit rien. Jamais. Au contraire, il me décrit même comme un soldat modèle. Je ne comprendrai jamais pourquoi.

— Et les autres, ils sont comment ?

— Victoire Descombes c’est l’intégrité incarnée : une main de velours dans un gantelet d’acier. On dit l’inverse, en général, mais elle, c’est vraiment un grand cœur derrière la fermeté. Elle ne considère pas ses recrues comme de la chair à canon et ça, pendant longtemps, Ashton a du mal à l’intégrer. Son second, c’est Ernst Buttmann, un grand blond barraqué. Il a déjà vingt-cinq ans. C’est un chouette type, le genre qui fait le barbecue et te demande quelle cuisson tu veux pour ta viande, le genre qui raconte qu’il appellera son fils Alban, parce qu’un prénom ça ne doit pas définir quelqu’un. On a du mal à croire qu’il baigne là-dedans depuis plus de dix ans, qu’il a participé aux purges du Centre-Europe, torturé des psykos et même fait partie des cellules de contre-espionnage. D’ailleurs, contrairement à beaucoup de soldats, Ernst n’a aucune haine envers les psykos. Il parle tout le temps de trouver des accords de paix et des lois justes pour tous.

Elle cherche sa veste à tâtons dans le noir et sort son téléphone.

— Tiens, regarde. C’est la dernière photo de la Division 8.

Ils sont tous jeunes et bien fringués, décorés de médailles. On dirait plus une équipe d’athlètes un jour de consécration qu’un commando Élite. Dolorès est toute jeune est porte une robe de soirée assez moulante pour qu’on remarque son incroyable musculature.

Je zoome sur les deux filles à la peau caramel qui entourent ma petite amie avec plus d’affection que de camaraderie.

— Et ces filles alors ? Vous avez l’air proches.

— Rehema et Yasmeen Assaf. Elles sont sœurs et partagent notre dortoir, à Karin et moi. Dès le jour de notre arrivée, Rehema nous prend sous son aile. On sent tout de suite que c’est elle la grande sœur. Les sœurs assaf… Comment dire ? À cette époque là, je n’ai jamais rencontré personne comme elles. Elles me racontent leur histoire dès le premier soir : elles ont grandi dans une communauté sanfaute, ont pris la fuite pour échapper à des mariages génétiques et ont trouvé refuge dans l’Armée de l’Union. Elles ont inventé une arme de corps à corps dont elles seules savent se servir : des genres de gants de combat qui canalisent la chaleur et la transforment en feu. Leurs détracteurs racontent qu’elles dissimulent leur don de psykos derrière un artefact bidon. Tout le monde dans la Division les admire, même Ashton et Karin. Rehema a les pieds sur terre, elle prend soin de tout le monde. Yasmeen est plus douce et rêveuse. C’est elle la première qui me glisse cette idée : ce n’est pas d’où l’on vient qui détermine où l’on va.

Je serre les dents. Je retiens la question dont je redoute la réponse. Mais je l’entends déjà, au fond de moi, et les larmes roulent toutes seules. Je renifle. Dolorès glisse sa main dans la mienne et exerce une pression qui clame « Je ne vais nulle part. », alors je respire et laisse sécher mon visage.

— Ça n’avait rien à voir avec toi et moi, explique-t-elle. Je ne connaissais encore personne d’aussi libre, d’aussi inconséquent, et je l’admirais sans vraiment me l’avouer. On ne connaissait pas grand-chose l’une de l’autre, en vérité. Je ne saurais pas te dire quelle chanson elle aimait, si elle croyait en un dieu, ni quelles étaient ses failles. Je n’aurais pas su la jouer au piano, ni…

J’ai enfoui mon visage contre son torse, noué les bras autour de sa taille, et je retiens mon souffle. Pourquoi ça me fait si mal, de l’imaginer avoir des sentiments pour quelqu’un qui appartient au passé ?

— Après ce soir-là, celui de la photo, j’ai commis une erreur fatale. J’ai conduit la Division droit dans un piège. Ashton, Karin, le commandant Descombes, Ernst, Yasmeen… ils ont tous perdu la vie à cause de mon manque de jugement. Et ça… ça fait partie des choses que je ne peux pas me pardonner… que ma conscience me condamne à revivre en boucle.

Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas ce que je ressens. Je déteste comme une infime part de moi se sent soulagée de savoir quelques-uns de ses fantômes enterrés pour de bon au fin fond du Désert. Mais je suis surtout triste, parce qu’elle n’est pas plus coupable que tous ces enfants qu’on a jetés dans cette guerre, parce qu’il n’y a aucun moyen de demander pardon à ceux qui sont partis et parce que moi, dans le présent, je ne trouve pas les armes pour mettre en pièces son fardeau.

— Je t’aime, répète-t-elle comme s’il fallait encore m’en convaincre, peut-être parce qu’elle a peur que je ne la voie plus pareil maintenant que je sais.

— Je t’aimerai quoi qu’il arrive, quoi que tu penses avoir fait, qui que tu aies peur d’être.

Une fois cette promesse confiée à son oreille, je me redresse, à califourchon sur ses abdos. Ma main rampe de son nombril, entre ses seins, jusqu’à ses clavicules. La plaque froide de son matricule tinte entre mes griffes.

— À partir de maintenant, laisse-moi le porter pour toi.

Dolly détache ses longs cheveux et incline la nuque, de sorte que je puisse lui ôter le collier. Je le passe à mon cou.

— À la place, si tu acceptes…

Je farfouille dans mon tas de vêtements.

— Est-ce que tu voudrais bien garder ça pour moi ?

J’ouvre le fermoir et pose contre sa peau le pendentif de clé.

— Qu’est-ce que ça représente ?

— Ton matricule, c‘est la clé d’un coffre, pas vrai ? Ça, aussi c’est une clé. La clé de qui je suis et pourquoi. Je n’ai pas les réponses. Je sais juste qu’elle a appartenu à une fille que mon père connaissait et sans qui, sûrement, je n’existerai pas.

Dolorès me laisse lui enfiler le bijou sans poser plus de questions. Ces chaînes qui nous racontent ne nous définissent pas. Maintenant elles nous rassemblent.

— Est-ce qu’on peut le refaire ? je demande.

Dolly éclate de rire et acquiesce. Nous faisons l’amour une autre fois, avec plus encore d’émotion, de confiance et de lâcher-prise ; c’est encore mieux que la première. Puis nous nous rendormons, accrochées l’une à l’autre, les narines pleines des odeurs de nos corps nus.

Je ne sais dire qui des premiers rayons de soleil ou du froid matinal me tire du lit d’aussi bonne heure. Dolorès s’agite près de moi, je lui embrasse le front.

Mes vêtements vite enfilés, je sors sur le balcon et respire la rosée. Mes oreilles de chat se dressent, alertées par un bruit.

Un grondement.

Raw-aw-aw-aw-aw.

En bas de l’arbre, Mr. Sprinkles tient quelque chose dans sa gueule. Pas un hamster, ni une tortue ou une araignée-rieuse. C’est flasque et pâle. Ça n’a même pas l’air de se débattre.

Cette fois, pas question de passer pour une folle. Je rentre presto secouer Dolorès. Elle, semi réveillée, et moi, à moitié félin, descendons du banian et fouillons la zone de conflit à la recherche du chat qui s’est carapaté.

Soudain, Dolorès me tire le bras.

— Là-bas, sous la fougère.

Nous nous penchons face à la plante, tout près du rocher des négociations. L’espèce de gelée gluante recouvre le museau du matou. Je tends la main pour l’aider à s’en dépêtrer. Mais Dolorès bloque mon bras. Juste à temps.

L’épaisse masse gélatineuse s’engouffre par la bouche et la truffe. Sprinky éternue, sans succès. Je suis paralysée.

— Ne le touche surtout pas, Wennie.

— Mais Dolly, c’est mon chat. C’était quoi ce truc-là ?

— Avec de la chance, une hallu collective. Si on n’a pas de bol, un de ces démons de nootaks.

— Pourquoi tu dis « si on n’a pas de bol » ? Les nootaks, je…

— Nolwenn, rappelle-toi le grimoire, les expériences de Thaddeus. Si ça existe vraiment, rien ne peut y survivre.

Mes joues se gonflent de pleurs.

— Pas Sprinky, pas Sprinky…

Les bras de Dolorès se referment sur moi avant que je ne vacille, en même temps que la joue du chat et ses longues vibrisses me caressent le mollet.

Moi j’y ai survécu…

Je ravale un sanglot. Mon ton est ferme, irréfutable :

— Il ne va pas mourir.

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