82.3

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Dans le miroir, une poupée chiffonnée se ratatine sur ses propres plis. Elle a les yeux ronds comme des billes. Je ne me reconnais pas. Ma vitrine inversée réfléchit le scintillement des molaires arrachées qui donnent des cœurs dorés aux fleurs tapissées.

Les yeux roulent. Ils évitent à tout prix de tomber par terre, sur le pantin désarticulé. Les sanglots s’amoncellent sous sa glotte, comme un bug, comme un aller-simple pour la déchetterie, mais aucun bouton, aucune tirette ne permet au jouet articulé de laisser couler sa tristesse, son dégoût, sa colère. Ses émotions-là ne font pas partie du cahier des charges.

La porte s’ouvre dans son silence habituel, rien qu’une caresse sur la moquette. Et quelqu’un entre. Quelqu’un vient pour moi. Moi, je reste immobile à jouer les sextoys en mode veille. Je joue si bien que j’ai froid, chaud, froid – comme si mes piles avaient coulé. Je suis parfaite dans le rôle.

Je suis parfaite.

Parfaitement dans la merde.

La pute-de-nuit referme la porte aussi discrètement qu’elle l’a ouverte, s’avance jusqu’à moi dans son déguisement de Reine des Glaces gothique et s’accroupit à ma hauteur. Son tulle noir me gratte les genoux, je grimace. Un sourire craquèle la cire d’ébène qui peint ses lèvres.

Un frisson me secoue.

— C’est tout Roxane, lâche la bride, laisse-toi aller.

Les yeux en billes de la poupée se gonflent d’eau et désenflent. Le visage dans le miroir dégouline et je ne le sens même pas. À voir l’autre croqueuse d’homme qui inspecte le crâne percé sous toutes ses coutures, un peu comme Papa disséquait ses bestioles, je serais presque tentée de croire qu’elle a eu le malheur de débarquer comme une fleur, par hasard, auprès de tous les clients dont on lui attribue les meurtres. Après tout, la poisse, ça existe, je suis bien placée pour le savoir…

— Roxane, insiste-t-elle un peu plus fermement. Reprends-toi s’il te plaît.

— N’appelle pas la police.

Ça ressemble à une phrase enregistrée, tellement ça me tourne dans la tête depuis qu’elle est entrée.

— Tu me prends pour qui, enfin ? s’indigne-t-elle. Je te l’ai dit, un jour, mais tu ne t’en souviens pas : une amie veille sur toi.

— En quoi on est amies ?

— Je manque de temps pour t’expliquer, malheureusement. Pour l’heure, il te faut t’en remettre à ma parole. Crois-moi, personne d’autre n’est en mesure de gérer ça.

Si Ça c’est la marque du pantin adipeux qui imbibe le tapis, alors oui, je veux bien croire qu’elle est qualifiée pour m’en débarrasser. D’ailleurs, elle n’attend pas que j’approuve pour dévisser l’œil horrible qui décore sa coiffe flippante : elle triture le cercle de l’iris et un rayon laser jaillit par la prunelle.

— Je déteste vraiment me salir les mains…

— Hein ? Non, tu vas pas le…

Si. Elle commence son découpage juste sous mon nez. Mes yeux fuient, ma gorge se tord.

— Arrête ça, je vais ger…

Sa main gantée avance un vase devant ma bouche. Ses lentilles mauves me mentent, plus fort que d’habitude. Elles m’assurent que tout va bien, que je dois rester calme, alors que toute la pièce me désigne comme la plus glauque des meurtrières. Je voudrais croire à ses bobards mais, juste comme ça, pour être sûre, j’approche le doigt de son œil. Elle se retient tout juste de reculer, pourtant elle ne cligne pas. Elle me laisse cueillir puis glisser sa lentille, découvrir sa vraie couleur. Aquamarine.

— Je te préviens, ce n’est pas mon kink, raille-t-elle.

Je ne capte pas grand-chose à sa tentative d’ironie.

Let it go, come with me.

Faut être sacrément barjot pour soupirer dans une langue morte à un moment pareil ! En même temps, j’ai l’habitude que des détraqués défilent dans ma suite princière. Entre ses bras, je redeviens la poupée de chair : je la laisse me soulever, me traîner jusqu’à ma salle de bain, m’asseoir au bord de la baignoire. Elle ouvre le robinet. J'inspecte tout le métal qui compose son attirail, car l’angoisse grince de partout et je pourrais l’exploser à son tour, sans y faire attention.

— Tu… tu vas le dissoudre ?

— Non.

— Tu vas me dissoudre ?

Calm down, Honey. Ça s’appelle un bain. Le concept t’es familier ?

Les bains, ça me connaît. Les sels, les pains moussants, les bombes colorées, je maîtrise. Le flacon artisanal qu’elle va pêcher sans son décolleté, par contre, je n’en ai jamais vu de ma vie.

Liquid peace of mind.

Son dialecte vintage me sort par les trous de nez ! Mais soudain, alors que mes nœuds se tordent, paniquent et que tout va se déchaîner, une odeur tranquille m’enveloppe comme une serviette chaude. À mesure que Fugu verse sa potion magique dans l’eau mousseuse, tous mes canaux se dégrippent.

Suis-je une poupée de chair ou de chiffons ? Je la laisse encore m’ôter le peu qui me reste de vêtements, me hisser dans la baignoire, m’y allonger. Je suis spectatrice, comme je l’ai toujours été quand on me manipule.

Mais toujours, ça remonte à quand ?

— Détends-toi, murmure-t-elle. N’y pense plus et ne bouge surtout pas de là. Je serai de retour dans vingt minutes.

C’est quoi le temps record pour faire disparaître un corps ? Cinq secondes pour le mien. La pute-de-nuit me colle un casque sur les oreilles pour que je n’entende que la radio, et en un couplet chrono mon corps disparaît sous une montagne de mousse.

Les rêveurs clament « Viens, on s'arrache !

On veut pas vivre comme des lâches. »

Mais les murs qui nous emprisonnent,

Quand on les passe nous empoisonnent.

Révolution. Corruption !

Information, prohibition.

On veut nous réduire en pantins par un ballet de tentations

Pendant qu'on tabasse le bonheur à coups d'excommunications.

Ta vie est ton fardeau !

Une mort prématurée prescrite par les Cieux.

Ta vie est ton fardeau !

À la sortie d’Éden les grands te crèvent les yeux.

Vautrés dans leurs palais d'ivoire et de défense,

Ils nous bombardent d'intox et sèment la démence.

On fuit comme des hamsters, toujours dans la même sphère,

Prisonniers de nos pairs, prisonniers de notre ère,

Des lois qui nous destinent à tuer…

Ça ressemble à ce groupe que Luna aime bien. Pourquoi cette chanson-là me fait un drôle d’effet ?

L’odeur chatouille mon nez, le savon me pique les yeux. Il y a des larmes plein mon bain, et des tas d’hôtes ici qui s’y baigneraient sans scrupule. Les larmes ça pue. Ça a l’odeur grasse du blanc d’œil, le goût de la charcuterie et ça colle à la peau comme un masque bon-marché. C’est vraiment la fonction la plus conne qu’on ait jamais incluse dans une poupée à plaisir.

— Roxane. Get up, Honey.

On me tire hors de l’eau. C’est dingue toute la force qu’il peut y avoir dans les bras de Fugu. Ils sont si maigres qu’on voit toutes les veines qui se tendent sous la peau nacrée. Une marionnette de qualité ne devrait pas non plus avoir ce genre de malfaçon.

— Allez, hurry up, on se magne !

Elle me passe un peignoir, attrape la brosse à cheveux et me ramène jusqu’à mon lit. L’heure, j’imagine, de me ranger dans ma boîte. L’emballage n’est pourtant plus tout à fait le même. Il manque le tapis et ce qui dégorgeait dessus. De jolies perles de culture ont enjolivé la tapisserie. Son collier à elle a disparu. J’imagine qu’elle a tenu parole.

Fugu guide mon fessier jusqu’au matelas et prend place derrière moi. Elle passe la brosse dans mes cheveux. Une fois, deux fois. On me coiffe comme une p…

— Personne normale.

— Plaît-il ?

Je ne répète pas car c’est idiot. Il a suffit que je sente sa main prendre soin de démêler mes boucles, de ne pas tirer dessus, de ne pas me faire mal et, pendant une seconde, j’ai eu la certitude que mes sentiments comptaient.

— Tu n’es pas leur jouet, Roxane, affirme-t-elle comme si elle lisait dans mes pensées. On ne batifole pas avec une arme létale. Vois-tu où je veux en venir ?

— Pas trop.

— Ce corps malmené soir après soir, non seulement il t’appartient, mais il est également ton meilleur allié. Tu détiens le pouvoir d’assujettir n’importe lequel de ces porcs. À présent, éclaire-moi : quelle sorte de créature es-tu précisément ? Psyko ? Cyborg ? Autre genre d’augmenté ?

— Je… ne sais pas.

— Voilà qui est fâcheux. Je t’ai donné la preuve de mon amitié sincère, cependant tu t’obstines à me faire des mystères. Nous sommes dans le même bateau, toi et moi.

Elle ose dire ça alors qu’elle paye Boss en pourboires pour mettre son corps sur le marché. Mais bizarrement son œil nu semble dire vrai. J’incline la tête pour qu’elle puisse mieux me peigner la nuque.

— Je jure que je ne sais pas.

— Admettons. Comment diable as-tu retourné les dents de ce salopard contre lui ?

Malgré toute la douceur qu’elle y met, ça a salement l’air d’un interrogatoire. Est-ce qu’elle a vraiment découpé Sancho pour me sauver la mise ? Qu’est-ce qui me le prouve ? Qu’est-ce qu’elle y gagne ? Pourquoi toutes les pouffes de ce trou veulent être mes meilleures copines ?

Je tousse un bon coup, le palais encore pâteux après la surdose de son drôle de flacon.

— D’abord, tu vas me dire si tu as vraiment tué tous ces types, pourquoi et comment tu t’es démerdée pour pas te faire griller.

— Tu es maligne.

— C’est la première fois qu’on me la sort, celle-là.

— À tort. Tu es naïve – désespérément naïve – mais loin d’être idiote. Quelle aubaine, on dirait que nous venons toutes les deux de trouver une alliée !

Elle dit ça maintenant, mais elle vient aussi de clamer que mes décisions n’appartenaient qu’à moi. J’ai passé tout un chapitre de ma vie à mettre au point des plans pour faire fondre des garçons. Je sais comment fonctionne ce genre de manipulation. Si elle croit m’avoir avec des flatteries et des sourires…

— Ce que j’ai dit l’autre fois au banquet, déclare-t-elle en suspendant les glissades de la brosse, ce n’était pas une mascarade.

Comme si je me souvenais de toutes les grandes phrases qu’elle débite !

Look, Honey, un jour, je dirigerai cet endroit. Et qui dirige le Temple exerce son influence sur toutes les maisons de passe de l’archipel. D’ici moins longtemps que tu ne l’imagines, ce sera ma loi. Alors il n’y aura plus de dette qui tienne, plus de détonateur.

Ses ongles éraflent ma peau juste au-dessus de la puce.

— Ça prendra moins de trois ans ?

— Moins d’un an.

— Et qu’est-ce qui se passera, ensuite ?

— Une personne qualifiée tiendra les rênes avec ce qu’il faut d'éthique, d’empathie et de sérieux.

— Toi, j’imagine.

— Pfff… Je songeais plutôt à Jeringa.

Son rire n’avait rien d’une feinte. J’ai dû mal entendre.

— Jeringa ?

— Oui.

— Mais tu la détestes.

— Pour être absolument exact, c’est elle qui m’a en horreur. Je tiens cela pour une preuve de son intégrité.

— Je pensais que t’étais tordue, mais quand même pas à ce point.

Je parle sans peser mes mots et Fugu ne se vexe pas. Au contraire, elle paraît s’en réjouir. Sa main sur ma tête tâte le travail bien fait. Elle dépose la brosse sur la table de chevet et s’installe au bout du lit, les jambes de côté comme une sirène. J’enroule les bras autour des miennes et les serre contre ma poitrine. Cachées sous le baldaquin, on a vraiment l’air de deux copines sur le point de se confier des secrets.

Fugu prend une grande inspiration.

— Commençons par le commencement. Le Temple est la propriété de puissants financiers qui ont délégué la gestion à Monsieur Nikonov.

— Ah, le patron invisible.

— C'est juste. Il se trouve que Monsieur Nikonov m'a dérobé quelque chose. Alors, sous le coup de la colère, je lui ai arraché de façon définitive tout ce qu’il possédait. Je lui ai ôté la vie. J'aurais pu m'arrêter là et avoir pour ma conscience un motif de vengeance à peu près légitime. Cependant, cette même conscience me criait qu'en tournant les talons, j'abandonnerais à leur sort tant d'autres dont ces maisons ont sacrifié la vie. Cela, je n’ai pu m'y résoudre. Je me suis donc rendue au Temple, riche de ce que j’avais extorqué à mon vieil ennemi. J'ai orchestré son départ en achetant à ses frais un billet pour le Brésil, puis j'ai offert le vol et toute sa garde-robes à un clochard de Pantar. Depuis ces quelques mois, je rédige régulièrement des courriels en son nom, en imitant le style mortellement plat de ses correspondances passées, et les actionnaires continuent de se réjouir des propositions exotiques de leur homme de confiance.

Sa voix est si claire que n’importe qui boirait ses mots. Confession ou comédie, je suis tentée d’y croire, de lui poser un tas de questions.

— T’as découpé Nikonov au laser ?

— Ça se pourrait… Mais je fais toujours en sorte de m’épargner cette peine, désormais.

— Et t’as récupéré ce qu’il t’avait volé ?

— D’une certaine façon, oui, mais ça ne peut pas revenir à son état d’origine. Je pourrais aisément m’en procurer une copie, si je le souhaitais. Ça ne m’intéresse pas tellement.

Il faut vraiment être une folle-furieuse pour trucider un type au nom d’une babiole à laquelle on ne tient même pas. Fugu a beau me faire froid dans le dos, je veux quand même connaître la suite de son histoire.

— Dans un premier courriel, le faux Nikonov a indiqué laisser la maison aux mains de Jovany Pérez durant son absence. Pourquoi pas Jeringa ? me demanderas-tu. Car elle n'a pas le luxe de tenir tête à nos mécènes. Personne n'était plus approprié qu'un petit connard arriviste pour arranger mes projets. J'ai donc placé Boss à la tête du Temple et j'ai passé un marché avec lui. En échange de cent plaques, il me laisse vendre mes services au salon chaque fois que je le désire. Ce n'est pas cher payé mais, pour lui qui est né sans rien, ça ressemble à du luxe. Je profite d’arrangements similaires avec les tenanciers de différentes maisons.

Son récit ressemble à ceux de « Une vie, un succès » que je lisais dans Cosm’ik. Sauf qu’au lieu de percer dans l’art ou la finance, cette fille-là a gravi les échelons du crime jusqu’à être capable de faire disparaître un inconnu de sang-froid.

— Comment tu choisis tes cibles ?

— J’écoute aux portes.

— Tu écoutais à ma porte, ce soir ?

— J’écoute à toutes les portes en continu. Mon RF filtre les conversations du Temple et d’autres en permanence. Certains termes ou faits la forcent à me transmettre une alerte. C’est ainsi que je dresse la liste de mes futures victimes et c’est ainsi, il est vrai, que j’ai eu connaissance de ta mésaventure.

Je roule des yeux.

— Je te prie d’excuser le terme, Roxane. Le meurtre est une besogne quotidienne à mes yeux. Je ne m’émeus plus devant un cadavre, aussi sanguinolent soit-il.

— Tu as dit que tu détestais te salir les mains, que tu t’arrangeais pour n’avoir à découper personne… Alors tu les forces juste à boire du poison ? Et après ?

— Ahah, boire. Tu es mignonne… Je ne les force à rien, voilà pourquoi je n’échoue jamais. Comment dire ça proprement ? Le poison est… en moi. Sur mes parois utérines, sous ma langue, dans mes veines. J’ai développé une immunité à la plupart de ces substances, inoculé assez de venins mortels pour me rendre toxique. Dès qu’un de ces primates cède à l’envie d’unir sa chair à la mienne, il signe son arrêt de mort.

— Et ensuite ?

— Mes accords avec les tenanciers ont tous une clause commune : leurs maisons sont mon terrain de chasse, mais pas un abattoir. En d’autres termes, j’escorte mes proies jusqu’à leur carrosse, leur hôtel favori ou même leur domicile. Je laisse les cadavres sur place. Ils constituent mon message, pourquoi les dissimulerais-je ? Ironie du sort : ce sont les familles honteuses qui déguisent mes crimes en malheureux accidents. Oups.

Elle a un je-ne-sais-quoi de théâtral, une sorte de fausse innocence. Je sais qu’elle tue plusieurs fois par semaine et qu’elle ne sort jamais sans ses gadgets d’assassin, et j’ai quand même envie de lui donner le bon dieu sans confession. Cette garce est en train de me séduire ou quoi ? J’arrive pas à y croire. Pour couronner le tout, à l’instant précis où je me dis que c’est mon tour de me livrer, la voilà qui me ressert un plateau d’aveux, comme si, après tout ça, elle me devait quoi que ce soit. En fait, je crois que ça m’agace les gens qui pensent d’abord aux autres. C’est déjà assez dur de s’occuper de soi-même.

— Tout à l’heure, je t’ai demandé si tu étais psyko. En ce qui me concerne, j’en suis une.

— T’as un don ? Je veux dire, à part pouvoir sucer un crotal sans mourir sur-le-champ.

— Oui. Un don si rare qu’il passe pour légendaire. On l’appelle l’ubiquité.

— Ça veut dire que t’es genre toute-puissante ? Ave Fugu. Imen.

Même si elle lève les yeux au ciel, elle ne peut pas s’empêcher de rire. Si on met de côté le fait que je viens d’abattre par pur automatisme un type que je connais depuis dix-huit ans, qu’elle a plus de sang sur les mains que dans ses artères et qu’elle a très bien pu me droguer, ça a tout d’une soirée-pyjama. Pas du genre de celles que je passe avec Vernis, non. Plutôt de celles qu’on improvise avec sa meilleure ennemie d’école, le jour où on s’aperçoit qu’on a le même parfum de glace préféré.

— Au sens littéral, ça signifie que je peux être partout à la fois, explique Fugu. Les parascientifiques ont eu l’art et la manière de vendre les potentiels psychiques comme s’il s’agissait de super-pouvoirs codifiés. Sans doute ont-ils étudié un ubique capable de se dédoubler, ou au moins de leur faire croire à son dédoublement. À mon niveau, ce don consiste tout au plus à marquer un lieu de ma présence. Je peux créer l’illusion que j’y suis toujours, jusqu’à plusieurs heures après l’avoir quitté.

— Et concrètement, ça sert à quoi ?

— À toujours être ailleurs en même temps que sur le lieu du crime.

C’est peut-être le murmure de sa voix, c’est peut-être le matelas moelleux. Je sens que je somnole. Tout a l’air d’être un rêve. Maintenant que c’est enfin mon tour de me confier à elle, je ne peux que baragouiner des choses vagues et incertaines.

— Je ne sais pas trop ce que je suis. Je sais juste que… il y a une part de moi qui n’est pas humaine. Personne m’a jamais dit laquelle. Peut-être bien celle qui arrache des dents et explose des cervelles.

— Ne te flagelle pas, Roxane. Tu t’es défendue très fort, oui, mais ce n’était rien de plus que de la défense. Tu n’as plus à te soucier de cet homme.

C’est vrai. Maintenant que j’y pense, la présence de Fugu a quelque chose d’irréel. Est-ce qu’elle est vraiment là ?

— Eh, Fugu ?

Yes, Honey ?

— Puisque t’es assez riche pour filer des pots-de-vin à tous les couillons des bordels, pourquoi tu rembourses pas ma dette ?

— Si je te faisais cette fleur, je devrais en faire autant pour des centaines d’autres filles. Mes moyens ne sont pas illimités – du moins pas encore.

— Pff, tu parles d’une amie !

Je m’endors en colère. Je rêve qu’elle paye tout de même et me réveille, toujours ici, plus en colère encore.

« Hey Honey, tu m’aiderais à griller un cyborg ? Les RF s’effacent en un mot, mais eux… »

Et puis quoi encore ? Elle peut courir, la veuve noire. Je ne lui en dois pas une, je ne lui ai rien demandé.

Fugu s’est carapatée avant que j’émerge mais, c’est vrai, elle est encore présente. Je reste plantée un long moment à fixer la tapisserie, les perles qu’elle a semées à la place des molaires ; à me demander si c’est normal d’avoir si bien dormi alors que tout dérape, à me demander ce que je vais prendre au petit-déjeuner.

Il est déjà tard, car l’androïde aux cheveux roses fait son entrée sans frapper pour m’annoncer les réjouissances du jour.

— Ce soir…

— Pas une partie de plaisir, hein ? Mon cul ! T’avais rien de mieux à me dire ? Je sais pas moi : « On ne va pas laisser celui qui t’a vendue se payer le luxe de te violer. » Nan ? La trahison, le consentement, c’est pas des concepts de ton code à la con ?

— Mes excuses, Jewel. Je n’étais pas autorisée à vous communiquer plus amples informations.

P

U D

T E R

A O D

I B E M

N O E

T R

D

E

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