Chapitre 7 - Une simple façon d'haïr, difficile d'aimer.

10 minutes de lecture

- Ah te voilà enfin, t'as quinze minutes de ret... Oh merde, Rei, qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Yanagi se précipita à la rencontre du pauvre gamin, qui était blessé à plusieurs endroits. Mal en point, le p'tit gars respirait par à coups. Il avait quoi, seize ans et était déjà semi-grade un, malgré son état qui l'empêchait d'utiliser son énergie occulte. Pourtant, à son air, on l'aurait prit pour un vétéran de la guerre ; la douleur avait juste l'air de l'affecter physiquement, mais pas mentalement.

- Bah, je me suis frité avec trois fléaux à la fois, ricana l'exorciste. Et je pense que l'un d'entre eux était de grade 1.

Yanagi pesta, avant de l'aider à rejoindre la cuisine. Il le fit asseoir sur un chaise, et le somma de l'attendre avant de filer vers la salle de bain pour prendre la trousse de soins. Quand il revint, le gamin avait l'air d'être blafard, pourtant il gardait les yeux ouverts comme un drogué en manque de came. Avec des gestes vifs et précis (un exorciste devait savoir appliquer les premiers soins), il désinfecta les plaies du jeune homme qui siffla de douleur, puis appliqua un baume cicatrisant avant de bander son bras, sa jambe et son torse.

Son regard fut attiré par la marque ; celle-ci rougeoyait de plus belle, l'énergie occulte du jeune homme la magnifiant. Le pauvre p'tit gars ne pouvait pas utiliser le cinquième de ses capacités, et pourtant il était plus efficace que la plupart de ses aînés. Pas étonnant qu'il est été recommandé, pensa Yanagi avec un sourire.

- Qu'est-ce qui te fait rire ? grogna le gamin.

- Le fait que tu squattes encore ici alors que tu me dois trois mois de loyer.

- Argh... Merde, j'avais oublié... Bah, l'argent arrive à grands pas, le vieux, t'as pas à t'en faire.

Le "vieux" resta silencieux, ses doigts ralentissant dans le processus. Rei tourna un regard un interrogateur vers le père de famille, qui avait le visage aussi fermé qu'une huître.

- Tu sais très bien que je me fais du mouron, lâcha-t-il tout à coup.

Rei ricana, avant de tousser sous le coup de la douleur ; parfois, il tombait malade sans que les médecins spécialistes n'arrivent à déceler l'origine de cette condition de santé. Apparemment, c'était congénital, et ça s'aggraverait avec le temps. Pourtant, même si ça semblait étrange, plus Rei utilisait ses techniques, plus sa marque devenait rouge. Et plus elle devenait rouge, et moins ses toux étaient fréquentes.

- Tu devrais me rejoindre sur le terrain, le vieux ; on s'amuse beaucoup, et ça te ferait pas de mal de dérouiller cette carcasse.

- Je vais quitter le métier d'exorciste.

Rei le dévisagea avec un air stupéfait, sa bouche s'ouvrant comme un camion-benne. Yanagi sourit, tapota l'épaule du gamin et se tourna vers la bouilloire pour faire chauffer l'eau du thé.

- Mais... Comment tu vas... commença le jeune homme.

- J'ai été "réorienté" par le Conseil. Ils m'ont trouvé un poste de professeur de chimie, la matière que je déteste le plus, tu savais ?

- Ah, raison de plus pour ne pas arrêter ! s'insurgea Rei en se redressant, avant de se rasseoir en sifflant de douleur, puis ajouta : Tu vas pas me...

Soudain, un bruit se fit entendre à l'orée de la cuisine ; ils se tournèrent, et remarquèrent un doudou qui dépassait de l'embrasure.

- Uyeno, fit Yanagi d'un ton doux. Tu n'as pas besoin de te cacher.

Une petite fille rousse apparut, et entra dans la cuisine avec un air timide. Elle regarda Rei qui lui lança un air de défi, aussi se cacha-t-elle timidement derrière sa peluche en marmonnant :

- Papa va plus être aussi souvent à la maison ?

Yanagi sentit son cœur chavirer, puis il sourit tendrement et se pencha vers sa petite renarde pour lui caresser la tête. Celle-ci repoussa la main et se jeta sur sa jambe pour la serrer dans ses bras, étonnant le père qui voyait sa fille retenir ses larmes, la mine crispée, et demander quelque chose sans faire de caprice.

- Je ne vais pas partir, Uyeno, lui assura son père en la prenant dans bras. Je serais là tous les soirs, et puis on aura plus de temps les weeks-ends, et on aura les mêmes vacances !

La petite essuya ses yeux, qui brillèrent sous la joie réfrénée d'un enfant qui pèse le pour et le contre :

- C'est vrai ?

- Vrai de vrai, parole de Tonisuka ou j'irais me transformer en Tanuki, rit-il en lui faisant une grimace.

Elle rit, puis il la reposa au sol tandis qu'elle s'enfuit de ses petites jambes menues, avant de lancer un dernier regard à Rei, mélangeant crainte, curiosité et... quelque chose qui ressemblait à de l'admiration. Ce dernier lui rendit un regard noir, ce qui la fuit fuir pour de vrai cette fois.

- Tu n'es pas obligé d'être aussi dur avec elle, remarqua Yanagi en éteignant la bouilloire qui sifflait.

-...

Il regarda le gamin, et se rendit compte à quel point Rei était jeune : bien que le Conseil lui ait confié la garde de l'enfant, il ne l'avait pas informé de son passé en quoi que ce soit, stipulant que ses parents étaient partis à l'étranger. Alors que ces deux inconnus n'appelaient que rarement, pour donner des nouvelles vagues.

Rei était tout seul.

Soudain, Yanagi sentit un élan le prendre de court, et il serra le gamin dans ses bras. D'ordinaire, le gamin l'aurait frappé, mais là il ne fit rien. Il ne dit rien, ne rendant pas non plus l'embrassade. Malgré ça, l'exorciste à la retraite put presque sentir la tristesse et la colère immenses que ressentait ce p'tit bout de génie qui n'avait jamais rien demandé à ce que tout cela arrive.

Sans y penser, alors que c'était presque contraire aux règles fondamentales des exorcistes, il maudit les parents d'avoir laissé derrière eux un enfant aussi formidable.

Ce souvenir était remonté à la surface, pourtant Yanagi n'aurait jamais crû que Rei puisse le serrer dans ses bras en pleurant. Rentré à l'heure, cette fois. Il n'y avait pas de retards sur les factures, même que c'était le vieil homme qui lui devait de l'argent. Pourtant, Rei avait tellement évolué depuis.

Il était devenu un homme responsable. Quelqu'un qui se souciai d'autrui, contrairement aux autres exorcistes. Il protégeait sa fille pourtant aussi caractérielle que sa propre femme. Yanagi avait les larmes aux yeux, se disant qu'il avait bien élevé le gamin, mais que de toute façon il était déjà naturellement et profondément bon.

- Ils sont morts, grelotta Rei entre deux sanglots. Je...Je les ai tué.

- Non, lui répondit d'un ton abrupt l'exorciste à la retraite. Non, tu n'as rien à te reprocher : ils étaient des monstres, et le Roi t'a poussé à commettre cet acte abject en utilisant ta haine comme vecteur. Tu n'as été qu'un outil, tu n'as rien à te reprocher.

- Je suis un monstre.

Yanagi l'écarta de lui, plongeant son regard dans ces yeux larmoyants. On aurait dit un champ de blé inondé par les océans. C'est fou, pensa Yanagi tandis que Rei continuait à renifler, dégoulinant de tristesse. Il a les yeux de ma femme et d'Uyeno. On a clairement pas le même visage, le sien est plus fin, plus vif ; mes cheveux et ceux de ma fille diffèrent de loin des siens. Il n'a pas notre joie de vivre, n'a aucune manière et parle souvent trop fort. Yanagi serra les épaules du jeune homme, attirant son regard. Pourtant, il aurait très bien pu être un Tonisuka.

- Un monstre, oui, soutint Yanagi, et Rei baissa les yeux. T'es un putain de monstre qui aime se battre, qui cherche les ennuis, qui fourre son nez dans les affaires des autres. Tu mâches pas tes mots, tu parles souvent sans réfléchir. T'as aucune manières, tu respectes pas les règles.

Yanagi le serra dans ses bras, et il sentit Rei se figer. Pourtant, le vieil homme sentit tout le poids de ces années à attendre que ce gamin s'ouvre à lui. Non, c'était pas juste un gamin.

C'était son gamin.

- Mais t'es un monstre qui peut pas s'empêcher d'aider les autres, pleura-t-il. T'as toujours un train d'avance pour régler leurs problèmes, et tu te tues à la tâche pour des gens que tu connais même pas. Tu es intelligent, tu n'abandonnes jamais... et tu nous es cher, putain ! (il s'écarta une nouvelle fois, pour voir que les larmes du jeune homme avaient recommencé à couler, mais elles n'étaient plus remplies de tristesse) Reste avec nous, Rei. Finis le loyer, finis les centaines de missions périlleuses. Tu n'auras pas à payer si cher si tu vis ici en tant que membre de la famille.

Il voyait bien que le jeune tentait tant bien que mal de contenir ses émotions, les barrages qui s'étaient manifestement construit depuis si longtemps cédant un à un.

- Mais qui... qui voudrait d'un type maudit comme moi ?

- Moi ! fit une voix hors de la cuisine.

Yanagi se retourna, et crut voir Ayaka... avant de se rendre compte que c'était Uyeno, fière et montrant du doigt le jeune homme larmoyant. Son regard vert pomme était si vif et empreint d'une telle détermination. C'est bien ma fille, pensa le père en sentant son cœur se serrer. Elle aussi a tellement grandi...

- Tu vas pas me lâcher alors que tu dois m'apprendre toutes les techniques que tu connais ! continua-t-elle en gonflant ses joues et tapant du pied. Alors que je t'ai fait écouté mes meilleurs tubes, et puis Miwa et Maï veulent te rencontrer !

- Hé hé... Faut dire que je m'en serais passé, de tes tubes ! rigola Rei avec un sourire sincère et brillant.

- Que... Comment oses-tu utiliser ton sourire de chien battu contre moi ? rougit sa fille en balbutiant. Papa, on le garde pas !

- Ce n'est pas un chien, Uyeno, soupira Yanagi avant de se tourner vers Rei : je m'occuperais des papiers d'adoption. Pendant ce temps, tu devrais appeler le Conseil pour leur demander des explications. Geto est toujours en liberté, et le Roi Écarlate risque de refaire surface maintenant qu'il possède un ancrage dans ce monde.

L'air résigné de son interlocuteur montrait bien que l'idée ne l'enchantait guère, alors Yanagi affermit sa prise pour recroiser son regard et lui faire comprendre qu'il fallait le faire, pour son bien.

- Tu dois te reposer, maintenant. Va prendre une douche, pose-toi, ne pense pas au lendemain.

- J'y arrive, au fait.

Yanagi, qui s'apprêtait à partir, s'arrêta net.

- Je peux maîtriser mon énergie occulte.

Le vieux avait eut raison ; une douche après, et Reiketsu ne s'était jamais senti aussi détendu. Était-ce dû à la chaleur qui avait détendu ses muscles, ou découvrir la vérité l'avait rendu plus... calme ? Au fond de lui, le souvenir avait toujours été là, simplement réprimé par le déni de la scène. Mais ses idées s'étaient comme éclaircies, l'éclair noir l'ayant libéré d'un fardeau bien trop grand.

Dans le miroir de la salle de bain, il examina sa marque sur sa poitrine : elle avait terni, mais s'était élargie. Et avait changé de forme : elle ne ressemblait plus à un oeil qui semblait le regarder d'un air narquois, mais à un sceau. Comme quand on marque du bétail.

La marque n'était plus que rouge, mais avait des reflets or et obsidienne. À cause de sa taille, elle ressemblait plus à un tatouage qu'autre chose, donc fini les marcels et chemises trop dévoilées. Les cornes du Roi étaient tout de suite reconnaissables, mais d'autres designs l'intriguaient : des écailles, des chaînes et une sorte de lame ou de bannière avec un sigle étrange, mais trop petit pour qu'il puisse le détailler.

Il soupira ; il avait retenté l'expérience dans la douche, en faisant danser de l'électricité entre ses doigts, mais aucune douleur n'était survenue, et aucune réaction du tatouage. Son énergie occulte était revenue et désormais il n'aurait pas de mal à candidater pour un garde supérieur. Gojo va être aux anges, pensa-t-il en s'essuyant ; cet énergumène allait sûrement lui poser des milliards de questions suite à cette évolution, et allait sûrement le pousser à se faire examiner par Ieri.

Mais en attendant, il allait prendre une pause.

Il envoya un message à la commission pour leur dire qu'il ne serait pas disponible pendant une semaine, en leur stipulant qu'il s'était blessé ou quelque chose comme ça. Son répondeur et sa messagerie étaient inondés de la voix de Gojo et de ses suites d'emojis incompréhensibles. Après qu'il eut terminé de prévenir les gens importants, il mit un pyjama, chose qu'il n'avait pas fait depuis qu'il était arrivé la première fois chez les Tonisuka, et sortit de la salle de bain pour aller s'affaler sur le canapé du salon.

Yanagi et Uneyo étaient déjà couchés, pourtant Reiketsu ne remarqua pas immédiatement la grand-mère qui l'observait. Il ouvrit les yeux, la vit, elle et son regard étrange, et lui coucou. Soudain, elle se leva et partit dans la cuisine. Curieux, Reiketsu tendit l'oreille pour entendre des déplacements de boîtes et le bruit du micro-ondes, avant que la vieille ne revienne avec un bol rempli de biscuits et deux tasses de thé réchauffées, et en tendit une à Reiketsu.

Ce dernier la remercia, et but le thé. Il s'adossa contre le canapé, appréciant le moelleux qu'il n'avait jamais appris à connaître auparavant. Peut-être était-il un pacha dans l'âme ? Cette pensée le fit sourire, tandis que la grand-mère continuait de le regarder.

- J'ai jamais connu la mienne, vous savez, lança-t-il en regardant le liquide tourner dans sa tasse.

Son interlocutrice acquiesça, puis prit le bol de biscuits et le lui tendit, toujours aussi silencieuse qu'un pot de fleur. Devant cette gentillesse nouvelle, le jeune homme accepta et attrapa un biscuit, avant de croquer dedans, appréciant la texture qui fondait dans sa bouche à mesure que sa salive imbibait les miettes.

-...

Soudain, il se tourna vers la grand-mère ; il avait juré l'entendre, et sa supposition se confirma quand il la vit ouvrir la bouche à plusieurs reprises, la refermant comme pour choisir quels mots elle allait prononcer.

-...Protège Uyeno.

Reiketsu se tendit ; la grand-mère, à la présence aussi légère et agréable que la brise du printemps, le surplombait d'une autorité digne des plus grandes kami. Son injonction véhiculait un tel amour pour sa petite fille, la prunelle de ses yeux. Ses yeux lui lançaient à la fois une menace et un serment, une promesse bien plus forte que le sang, les larmes ou l'encre.

- Sauf votre respect, répondit-il en soutenant son regard. Uyeno est comme ma soeur

La grand mère garda un air insondable, puis sourit, avant de lui tendre un autre biscuit. Reikestu soupira de soulagement ; au moins, les choses étaient plus claires, maintenant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Reydonn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0