Chapitre 15: Le Nettoyeur

8 minutes de lecture

NDA

/ ! \

Violence dans ce chapitre


Ma main fuse, saisissant le poignet brandissant la dague. Sa lame était sur le point de poignarder l’éclaireur qui s’était interposé entre Maître Geloof et l’étranger.

Emplie de rage devant la tentative d’assassinat, je lui fais une vicieuse clé de bras, l’obligeant à lâcher son arme, avant d’avertir le groupe :

- Attention, il est armé !

Malheureusement, il est aussi rapide et je n’ai pas la force de l’immobiliser depuis ma position. Il roule de la paillasse d’un mouvement fluide et se précipite sur le vieux maître. D’une charge brutale de l’épaule, il écarte l’éclaireur sur son chemin et l’envoie percuter un autre soldat. Sans perdre un instant, il saisit le doyen à la gorge.

Les choses s’enchaînent trop vite. Je me lance dans sa direction sans réfléchir, mais avant que je ne parvienne à son niveau je me retrouve face au canon d’un revolver. L’homme, dos au mur, utilise Maître Geloof comme un bouclier humain, et nous tient en joue d’un bras remarquablement stable. Sa posture imparable est quasi-professionnelle. Je jure, et les soldats à mes côtés partagent le sentiment.

L’inconnu, lui, ne trahit rien de ce qu’il pense : pas de surprise, pas d’inquiétude. Ses yeux nous passent chacun en revue, presque méthodiquement. Ils luisent cependant d’un éclat mauvais, presque dérangé. Je serre les poings. Peu importe qui il est, il ne reculera devant rien. Si les déclics que j’entends autour de moi, mes compagnons ont les mêmes soupçons, et ne prendront aucune chance.

En dépit de sa position dans la ligne de mire d’au moins sept armes à feu, l’assaillant enlève la sécurité de son propre revolver, avant de prendre la parole d’une voix monotone, mesuré :

- Vous allez demander au chauffeur d’arrêter le camion, et vous allez me laisser partir avec mon vieil ami ici présent.

A ces mots, il resserre sa prise sur le col de Maître Geloof, lui coupant son arrivée d’air. J’avance d’un pas en réaction, détestant voir le vieil homme en détresse, mais l’intrus me remet aussitôt en joue, le doigt sur la détente. Je le foudroie du regard, et si je me fige je ne compte pas laisser quelqu’un mourir sous mes yeux une fois encore.

Un silence enragé s’abat sur la remorque. Devant l’absence de réaction de la part des militaires, ses lèvres se pincent avec impatience. Il menace alors avec indifférence, comme s’il parlait de la moisson :

- Et si vous refusez, je ferai sauter ma ceinture d’explosifs et personne ne sortira d’ici en un seul morceau.

La tension qui régnait déjà sur notre groupe semble s’envoler à travers le toit de lin, emportant notre souffle avec elle. Je me force à inspirer longuement, ne pouvant plus supporter la situation. La formation de combat des soldats ne vacille pas, mais l’incertitude teinte leur posture désormais. Ils ont les pieds et poings liés tant que le Maître est tenu en otage.

J’imagine qu’ils peuvent difficilement se permettre de perdre deux guérisseurs et le matériel que nous transportons.

La mâchoire crispée, l’officier en logistique retire une main de la crosse de son arme, lentement. Il s’assure que le ravisseur garde ses yeux sur lui, que ses intentions ne soient pas interprétées comme une attaque. Il active son oreillette, et prend la parole, calme en apparence :

- Jeevant ?

Une pause. Un grésillement lui répond. Le silence est oppressant, et la sueur commence à s’écouler le long de la nuque des guerriers. Le ravisseur, aux aguets, glisse le long de la paroi pour se rapprocher de la sortie. Subtilement, je rajuste ma position pour gagner quelques centimètres sur lui, maintenant ma respiration profonde, lente et régulière.

Enfin, une voix ouvre la communication dans l’oreillette du militaire. Toujours aussi calmement, celui-ci ordonne alors :

- Ralentis le camion puis arrête toi. Le réservoir a une fuite et laisse des traces derrière nous.

Je sens le groupe se contracter devant le mensonge, devant la reddition de leur supérieur. Mais déjà, nous perdons de la vitesse, et l’officier hoche le menton vers l’étranger, signifiant sa coopération. Des protestations naissent sur les lèvres des soldats, mais elles sont ignorées. Je fronce les sourcils, mais garde mon attention braquée sur la silhouette des deux hommes sur fond de dunes, devant l’ouverture de la remorque.

C’est pour cela que je vois l’ombre des soldats dépasser de celle du toit, et je comprends notre avantage en un éclair.

Alors qu’un relief secoue brusquement l’habitacle, je bondis. Mes muscles, sur la détente depuis que Maître Geloof a été capturé, me propulsent en avant et je me saisis du revolver de l’intrus avant de lui briser le poignet d’une violente torsion. Ce dernier, momentanément distrait par la secousse, ne me voit pas arriver et essuie mon assaut de plein fouet.

Il laisse échapper un cri de douleur, avant de l’étouffer avec un air assassin. Il m’assène un coup de pied explosif qu’il utilise pour reprendre ses distances et je peine à parer. J’ignore la douleur dans mes avant-bras et sautent à sa suite, saisissant les robes du vieil homme. De là, d’une rotation brutale de mes hanches, j’arrache l’Invité des mains de son captif, et l’envoie valser sur mes alliés.

Mais je me retrouve dos à l’intrus, et il en profite. Je sens brusquement un bras m’écraser la trachée, et une lame m’effleurer le bas du dos. Il rugit alors :

- PLUS PERSONNE NE BOUGE ! Un geste et j’active le détonateur, c’est mon dernier avertissement.

J’étouffe. Ma vision commence à s’obscurcir dans sa périphérie. Alors que je plante mes ongles dans sa chair pour me gagner quelques secondes, je fais le point sur la scène devant moi. Maître Geloof a été mis en retrait avec Ndara, derrière la ligne de soldats en joue. Du coin de l’œil, je distingue un boitier, confirmant ses menaces.

Peu importe. Qu’il s’agisse d’un bluff ou non, mes actions resteront les mêmes. Si du sang autre que le mien doit couler aujourd’hui, ce sera le sien.

Sans signe avant-coureur, je me jette en arrière, percutant mon agresseur avec une force qu’il ne soupçonnait pas. En essayer de rétablir son équilibre, il trébuche sur ma jambe bien placée et bascule en arrière, par-dessus le portail de la remorque. Avec une sensation d’apesanteur, nous passons par-dessus bord.

J’ai la sensation de voler pendant un instant, libérée de l’emprise du lunatique qui m’a lâchée dans sa chute. Mais trop vite, le ciel s’éloigne et les dunes grandissent. J’ai à peine le temps de relâcher mes muscles et de rentrer le menton entre mes clavicules avant de percuter lourdement le sol. Le choc chasse l’air de mes poumons et je roule sur plusieurs mètres, rebondissant tout du long sur mes épaules et hanches.

Quand enfin je m’immobilise, je suis à moitié enterrée sous le sable brûlant, désorientée et engourdie. Je tousse copieusement, crachant la poussière, et tente d’insuffler de grandes goulées d’air pur. Je me redresse à quatre pattes en dépit de ma tête qui tourne, et sonde l’environnement à la recherche du scélérat.

Et je le trouve, à une douzaine de mètres plus loin, s’extirpant de sa propre couverture de sable. Il est vite sur pied, malgré sa respiration haletante et la brûlure ornant la moitié de son visage. Il se dirige vers moi avec une aura si meurtrière qu’elle semble déformer l’air autour de lui. Dans sa main gauche, celle qu’il peut encore bouger, une épée courte luit au soleil, réclamant mon trépas.

Mais je ne suis pas une proie. Et s’il décide de me tuer plutôt que de saisir l’opportunité pour prendre la fuite, je ne vais pas le contredire. Au contraire. Je me hisse sur mes jambes, ignorant le tiraillement de mes articulations et le sang sur mon flanc. D’une voix moqueuse, je le nargue :

- Alors, à quand le feu d’artifice ? Après cette chute j’espérais au moins partir avec panache !

Il a l’intelligence de ne pas répondre à mes provocations, mais il ne ralentit pas, ne rebrousse pas chemin. La distance entre nous ne suffit plus à me protéger s’il attaque. Avec une profonde respiration, j’ajuste ma posture, détendant mes épaules et plaçant mes pieds à hauteur de mes hanches. Je l’observe se déplacer devant moi, enragé sous sa façade contrôlée. Je lui offre un rictus méprisant.

- J’avais l’impression que tes explosifs n’étaient que de l’esbroufe, mais c’est bon de confirmer mes soupçons.

Sa lame surgit du côté de ma plaie rouverte, et j’esquive d’un pas fluide en arrière, le maintenant à distance en face de moi. Sans attendre, ils multiplient ses assauts, brandissant son épée avec talent sur ma silhouette insaisissable. J’arrive à anticiper ses mouvements, et évade les coups mortels, les blessures invalidantes. Je danse autour du fer, indifférente aux coupures superficielles qui fleurissent sur ma peau. Finalement, je l’oblige à reculer d’un coup de pied dans le sternum, réinstaurant une distance entre nous.

Il ne se jette pas de nouveau sur moi, mais tente de reprendre son souffle. Je hausse les sourcils, surprise par son manque d’endurance. Mais après un rapide examen de son état, je comprends ce qu’il se passe. Si j’en crois sa difficulté à respirer, il a dû casser une côte en tombant du camion en marche.

Comme quoi, cela m’arrive d’avoir de la chance. Je vais pouvoir en finir plus vite que prévu.

Lentement, je trace des cercles autour de lui d’un pas léger, étrangement gracieux. Il m’appréhende avec une méfiance nouvelle dans son regard. Mais c’est trop tard.

- Je n’ai pas à ménager mes coups dans ce cas.

Sur ces mots je franchis la distance qui nous sépare d’une foulée, à l’intérieur de sa zone de défense. Nez à nez avec son visage sous le choc, j’utilise ses tuniques pour lui immobiliser les bras. Avant qu’il ne puisse se dégager, je tire sur ses liens et bondis, pour lui asséner un impitoyable coup de genou dans son buste déjà blessé.

Le souffle coupé par la douleur, il se contracte et se recroqueville sur lui-même. Utilisant tout mon poids pour faire le plus de dommages, j’en profite pour abattre mon coude sur sa nuque exposée, avec une violence à peine contenue. J’entends un craquement, et ses membres ont un spasme avant qu’il ne s’écroule en avant. Je ne relâche pas la pression avant qu’il ne soit au sol où je l’épingle sur place.

Le genou entre ses omoplates, j’arrache l’épée de ses doigts inertes pour la placer sous sa gorge. Je garde ma prise sur les restrictions formées par la tunique, m’assurant qu’il ne peut pas bouger s’il le peut encore. Il tente brusquement de me désarçonner, mais il hurle de douleur avant de pouvoir me déséquilibrer, et retombe, flasque.

Je fais glisser la lame sur sa trachée, faisant couler paresseusement son sang écarlate sur le sable clair. Je me penche en avant, avant de lui murmurer sombrement à l’oreille :

- Donne-moi l’excuse de t’achever, tu me rendrais service. Je veux tes informations sur ces monstres, mais ta mort ferait un décent hors d’œuvre pour ce que je leur réserve.

Il ne peut qu’ouvrir et fermer la bouche, incapable d’émettre un son. Pour la première fois, ses yeux exorbités trahissent de l’incertitude, de la haine, et la peur de mourir. Une terreur abjecte, viscérale. Une terreur que mon ombre sur lui a inspiré. Je déglutis.

Je me redresse, et lui souris froidement, le cœur lourd.

- Tu as de la chance. La cavalerie arrive.

Et en effet, autour de nous, les quads et l’ensemble du détail de protection nous a encerclé, leurs armes braquées sur nos corps ensanglantés.

Annotations

Vous aimez lire Al. W. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0