La Mer, la Sirène et Moi

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Je marchais sur la plage, vaste étendu de sable brun, humide par la mer qui s’allonge et se retire au gré de ses vagues capricieuses. À mes côtés une petite fille s’amusait avec son chien. Elle courrait, jouait, riait. Je la regardais sans la voir, cette petite sœur que jamais on n’écoute.

Puis elle s’arrêta soudain, ramassant un coquillage enfoui sous le sable à ses pieds qu’elle trouva jolie. Elle le hissa devant son œil pour mieux le regarder, lui et sa surface lisse de toute imperfection, magnifique déchet que la mer rejetait si souvent sur le rivage. Un sourire illumina son visage alors qu’elle courait vers moi pour le montrer, fière de sa trouvaille.

Elle le posa dans ma main pour que je le regarde. Il était beau. Il était froid. Il sentait la mer et les embruns, témoin du monde sous la surface, des secrets que l’eau jamais ne dévoile. Je le portais au-dessus de la mer, au-dessus de l’horizon qui s’étendait à l’infini dans l’obscurité d’un jour naissant. Pourquoi m’étais-je levé si tôt ? Je ne me souvenais pas. Je ne me souvenais plus.

Plus je regardais ce coquillage, plus je me sentais triste. Pourquoi ? Pourquoi ? Je l’ignorais presque autant que j’ignorais pourquoi cette petite s’évertuait à me sourire dans l’aube naissant de ce nouveau jour sans intérêt. Je le savais détaché de la mer qui l’avais forgé, imprégné de sa mélancolie lointaine d’un monde que jamais il nous serait possible d’apercevoir, caché dans les profondeurs obscures d’une mer au caractère bien trempé.

Que faisais-je donc sur cette plage ? Pourquoi accompagnais-je cette petite ?

Quel était son nom déjà ? Je ne me souvenais pas, je ne me souvenais plus.

Elle se détourna aussi vite qu’elle était venue et poursuivit son chien plus loin dans les dunes derrière nous. Elle semblait ne pas s’intéresser à la mer, à son bleu envoûtant qui berçait l’écume à sa surface dans une valse douce aux senteurs iodées. Moi je continuais de la regarder, la mer, cette mer à l’eau si mystérieuse. Pourquoi sentais-je en moi ce chagrin ramper dans ma poitrine jusqu’à mon cœur en voyant ce simple morceau de mer ? Pourquoi m’étais-je levé ce matin ?

Le vent soufflait avec force les embruns de la mer, soulevant, emmêlant mes longs cheveux bruns sans remord. Il jouait avec les vagues, les poussant toujours plus loin, toujours plus fort sur la plage, comme s’il cherchait à m’atteindre, me faire toucher l’eau sombre de l’océan devant moi.

Le soleil commençait à poindre à l’horizon quand je l’entendis. D’où provenait cette étrange mélodie que portait le vent à mon oreille et qui me semblait si familière ? La petite fille l’entendait-elle aussi ? Non, elle jouait avec son chien et courait dans le sable sans se soucier de la mer.

Je m’avançais alors vers l’eau, cédant à l’appelle du vent et des vagues qui semblaient me supplier d’approcher, de plonger, de me noyer dans ces eaux. Les vagues léchèrent mes pieds dans un bouillonnement d’écume et d’algues, comme pour m’inviter à entrer dans le vaste océan.

Pourquoi avais-je la sensation que je devais m’y plonger ?

Mon regard se posa sur le coquillage toujours posé dans la paume de ma main. Il faut rendre à la mer ce qui lui appartient. Et sans plus y réfléchir, je rejetai le coquillage à la mer. JE le vis plonger doucement entre les vagues dans un silence presque surnaturel alors que mes yeux ne pouvaient se détacher de la ligne d’horizon, là où la mer cédait la place au ciel. Là où deux mondes se faisaient face sans jamais se rencontrer. Illusion précaire d’un équilibre invisible.

Grand-père aimait la mer, il était pêcheur et me racontait souvent ses histoires. Les histoires de la mer, de ses enfants et de ses morts. J’aimais l’écouter presque autant que j’aimais la mer et ses eaux profondes. Parmi ces contes fabuleux, il en était un que jamais je n’ai pu oublier. C’était une histoire, comme ces fables qu’on raconte, immuables à travers le temps, nous prévenant des dangers du monde. Mais quel danger y avait-il dans la mer ?

Et voilà donc l’histoire de la sirène. Celle qui nageait dans les vagues, jouait dans la houle, dansait dans les tempêtes pour mieux chanter aux étoiles et attirer les marins perdus. Elle devenait pour eux un phare dans la nuit, un phare mortel, mais un phare magnifique, enivrant et impossible à lâcher des yeux. Créature enjôleuse à la voix mielleuse, elle vous emportait par les flots sans jamais laisser de trace. Personne ne pouvait l’arrêter, personne ne la voyait jamais. Et pourtant tous les marins la connaissaient, la craignaient autant qu’ils l’adoraient.

Grand-père m’avait tout dit de sa légende.

De ses malchanceux emportés il ne restait que les os, devenus coquillage par la force de la mer qui les polis et les tailles dans la houle de sa colère quand la sirène ne chante plus, rassasié après le festin qu’elle avait fait.

Et quand était-il des perles rejetées, abandonnées, perdues sur le rivage ? Rien de plus que les larmes des veuves de ces braves hommes tombés à la mer, charmés par cette créature centenaire qui jamais ne les laisse repartir, qu’elles laissaient tomber dans le vaste océan sans jamais cesser d’espérer retrouver un jours leur mari. En vie. Mais il n’en fut rien. Jamais leur attente ne cessa car jamais à la sirène on survit.

Et cette brume que l’on pouvait discerner sur l’horizon au petit matin ? Cette même brume qui rampait sur les flots devant moi, juste avant le lever paresseux du soleil qui étirait ses rayons dans le ciel comme on étire ses bras au réveil. Rien de plus que les âmes des disparus, guidés par la sirène des tréfonds de la mer jusqu’à l’autre monde. Ou du moins on l’espère. Car jamais vivant on ne voit son repère et gare à celui qui la cherche car la mort attend l’imprudent qui la dérange dans son antre où repose des secrets à jamais jalousement gardés.

Jamais la mer ne recracha sur le rivage autre chose que ces coquillages, nacres et écume éclatantes à la lumière du jour. Les vagues qui léchaient langoureusement le sable humide du petit matin de cette plage anonyme jamais ne vous livreront le secret de la créature qui règne sous ces eaux. Elles en sont les gardiennes et jamais vous n’entendrez d’elle plus que le chuchotis de sa légende glissant sur le sable jusqu’à vos pieds.

Moi je l’entendais distinctement, son chant mélodieux accouplée à celui des vagues, de la mer qui m’appelait loin de la terre calme et endormie à laquelle j’appartenais. Alors j’avançais, toujours plus loin, toujours plus profondément. Je savais que ma place était auprès d’elle.

La mer. Ma mère.

Alors je me plongeais tout entière dans son ventre, ignorant les cris de la petite fille, ignorant le hurlement du vent à la surface. Je n’entendis bientôt plus que le murmure de l’eau glissant autour de moi. Je sentais ses mouvements sur ma peau, son courant qui m’entraînait doucement loin de la plage et des coquillages. Quand révérais-je le ciel ? Le reverrais-je seulement un jour, emporté toujours plus profondément dans le ventre de ma mer ?

Lentement je m’abandonnais car je savais, je savais ce qui m’attendais dans les profondeurs de la mer. Je la savais tout près, cette créature et son chant ensorcelant. Je l’entendais depuis toujours. Comment le savais-je ? Comment l’avais-je reconnue ?

Il faut rendre à la mer ce qui lui appartient.

Les mots glissèrent dans mon esprit embrumé. Puis les souvenirs me revinrent en mémoire alors que je plongeais toujours plus profondément dans les ténèbres de la mer. Tout était si clair à présent. J’appartenais à la mer comme ce coquillage sur la plage, comme cette vague rejetant ses défunts sur le sable.

J’étais elle et elle était moi.

Nous n’étions qu’un, la mer et moi. Comment avais-je pu oublier ?

Les ténèbres et le froid m’engloutirent bientôt totalement. Je ne sentais plus rien, ni mon corps ni mon âme, juste l’eau, tout autour de moi comme un cocon protecteur qui m’engloutissait de toute sa douceur loin du monde. Je me savais déjà partir mais aucune peur ne montait dans ma poitrine. Je fermais les paupières, j’étais sereine, j’étais calme, j’étais prête.

J’avais repris ma place dans la mer.

J’avais retrouvé mon monde.

J’avais rejoint mon nid.

J’allais renaître.

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