Chapitre 11

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Onzième Chapitre

Esméralda n'arrêtait plus de parler. Face à son interlocuteur bouche bée, elle se livrait sans honte.

— Il vous est aussi possible de m’appeler Alice. Alice, cette petite écervelée avec ses cheveux impeccablement coiffés, son beau tablier blanc et ses jolies chaussures vernies, qui suit sans réfléchir un lapin blanc en veston et montre à gousset. Pourquoi Alice, me direz-vous ! Eh bien, je suppose qu'Alice s'est développée en moi quand j'ai dû m'extraire de ma triste condition et survivre... Oui, Alice est mon échappatoire. Elle me permet de m’évader de la vie réelle et de me réfugier dans un monde magique à la rencontre de curieux personnages. Un monde surréaliste, extravagant et sans logique. Un monde absurde mais en même temps, très amusant. Toutefois, à la différence de la jeune Alice décrite par Lewis Carroll comme étant une fillette curieuse, courtoise, patiente et généreuse, moi je suis plutôt une Alice insouciante et naïve ! Une Alice qui plonge tête la première dans le puits quand les souffrances deviennent trop lourdes et la douleur trop intense. J'aime bien être Alice ! Oui, être Alice me fait du bien ! Vraiment beaucoup de bien !

Esméralda marqua une pause dans son discours hallucinant. Andrès la regardait sans rien dire. Elle l'interrogea :

— Dites, ça vous plairait d’aller jouer avec Alice au pays des merveilles ?

Que répondre à une telle question ? Andrès ne le savait pas. Il se disait que s'il répondait par l'affirmative, Esméralda le qualifierait sans doute de pervers, et que répondre par la négative c'était risquer de la froisser. Hésitant, il haussa négligemment les épaules.

—Voici tous mes alter, poursuivit Esméralda. Enfin, selon les dires de ma psy qui a su les détecter et me les a révélés. Je suppose que chacun d'eux a son utilité selon mon état et selon les difficultés que je traverse. Depuis mes premiers traumatismes, je me suis créé de nouvelles identités. Ainsi, quand la vie m'est trop pénible, je me fonds dans une de ces personnalités.

Esméralda commanda un autre whisky. Andrès fit de même. Il dévisageait Esméralda en songeant qu'elle délirait. Il se disait qu'elle était encore sous le choc de la rupture et qu'elle avait trop bu.

— Ah... Si seulement vous étiez monsieur Cohen...

— Pourquoi focaliser à ce point sur ce monsieur Cohen ?

— Je ne sais pas. Cet homme me rassure. Il m'est familier... Mes origines probablement. Ma mère est juive. Peut-être ai-je besoin de me rattacher à mes origines ; à la terre de mes ancêtres… Une terre lointaine, comme un idéal…

— Vous êtes croyante ?

— Non, pas vraiment… Pas exactement…

— Pas exactement ?

— Enfin, je crois mais je ne suis plus certaine de ce que je crois. Je ne sais pas. Parfois, je me dis qu’il y a bien une puissance supérieure là-haut qui dirige notre monde, mais dans ma tête tout se mélange. Réincarnation, résurrection, je ne sais pas. Pourquoi cette question ?

— Ce que je veux dire par " Être croyant ", c’est avoir la Foi. Croire en Dieu.

— Oui je sais, répondit Esméralda. Elohim, Dieu Tout-puissant. Je me souviens d’ailleurs d’une chanson que me chantait ma grand-mère maternelle qui était juive messianique. Une chanson qui disait : Evenou shalom alerhem ! Evenou shalom alerhem ! Evenou shalom alerhem ! Evenou shalom, shalom, shalom alerhem !

Esméralda chantonna à voix basse. L’homme se joignit à elle pour la chanter en français :

Nous vous annonçons la paix. Nous vous annonçons la paix, la paix, la paix de Jésus !

Esméralda s'étonnait qu'Andrès connaisse ce chant. Elle lui adressa un large sourire, et à capella, ils chantèrent dans ce bar de nuit où les chansons paillardes résonnaient plus souvent que les chants à caractère religieux.

Nous vous annonçons la joie... Nous vous annonçons l'amour... Nous vous annonçons la paix,...la joie,... l'amour. Nous vous annonçons la paix, la joie, l'amour de Jésus !

— Incroyable que vous connaissiez ce chant ! s’exclama Esméralda. Vous avez dû avoir la même grand-mère que moi ?

— Rien d’étonnant, sourit l’homme. C’est un chant juif traditionnel.

— Ah ? Et vous êtes juif ?

— Je l’étais…

— Ah bon ? Parce qu'on peut être juif et ne plus l'être ? Je ne comprends pas.

— N’essayez pas de comprendre…

Visiblement peu enclin à discuter sur ce sujet, Andrès détourna la conversation sur Esméralda :

— Qu’est-ce qu’une femme telle que vous, fait dans un bar à cette heure ci ?

— Je vais mal. Très mal. Il y a une heure à peine, j'ai avalé un grand nombre de cachets, suffisamment pour mourir... Et puis je les ai recrachés parce que je me suis revue quelques années en arrière... J'ai repensé à la jeune fille qui ne voulait plus être une victime et j'ai eu un sursaut de vie...

— Mais pourquoi vouloir mourir ?

— Parce que ma vie est un grand n'importe quoi… Un immense gâchis…

— Tant que ça !

— Oh que oui, et même bien plus que ça ! Si vous saviez !

— Si je savais !

— Oui.

— Vous avez envie d’en parler ?

Esméralda dodelina de la tête.

— Me confier à vous ? Là, maintenant... Sans même vous connaître...

— Si ça peut vous aider et vous soulager. Pourquoi pas ?

— Oui, pourquoi pas. Après tout, le soir tout se dit et le matin tout s’oublie.

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