Chapitre 5

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Cinquième Chapitre

Sale temps pour les faibles !

Déjà de nature craintive et de caractère instable à la limite du borderline, Esméralda craignait que la confirmation des viols ne la fragilise davantage. Et cela arriva ! À partir du jour où elle sut, elle bascula dans le pire. Les jours, les semaines et les mois qui suivirent furent abominables, pénibles et chaotiques. En état limite, Esméralda avait les humeurs en dents de scie. De vraies montagnes russes ! Un jour, elle était sur le fil et tenait à peu près debout, le lendemain elle était effondrée, en larmes et abattue. Quelquefois, ses émotions viraient et fluctuaient d'une heure à l'autre. C'était épuisant. Et pour elle, et pour sa famille.

Apprendre la vérité dans le cabinet du docteur Bardeau avaient rouvert les vannes de sa mémoire. Ce qu'elle avait refoulé des années durant, remontait peu à peu en surface. Des scènes de son enfance lui revenaient en séquences de plus en plus fréquentes. Elle s'en voulait d'avoir voulu savoir. Revivre l'inceste, les agressions, les hommes en cagoules noires, les frayeurs associées aux supplices était plus qu'insupportable. C'était monstrueux ! Les trois premiers mois furent un temps de révolte, mais les neuf mois suivants furent un chaos. Esméralda s'empiffrait, se faisait vomir puis se privait de manger durant des jours. De manière compulsive, elle s'arrachait les cheveux par poignée et se griffait le corps au sang.

Esméralda pensait perdre la raison. En plus de ses nuits blanches peuplées d'images obscènes, sa peau avait mémorisé les souffrances endurées et savait le lui rappeler. À chaque évocation du passé, il lui semblait que des dizaines de mains malaxaient son corps comme de la pâte à modeler. Elle se sentait sale et coupable.

Quelle impression horrible...

Oh, combien elle regrettait ! Esméralda avait cru que la vérité la libérerait, mais c'était l'inverse qui se produisait. Tant qu'elle l'ignorait volontairement, son martyr n'envahissait pas toute sa vie. Les images du passé qui de temps à autre, forçaient son esprit, elle s'y était adaptée. D'ailleurs, elle se fichait pas mal de n'avoir aucun souvenir précis de son enfance. Du passé, elle n'avait en tête que l'indifférence de ses parents, leur manque d'amour et leur sévérité. Souvent, elle trouvait avantageux d'avoir perdu la plupart de ses souvenirs. " Fouiller la merde " comme elle disait, " Ce n'est jamais bon...ça ne profite à personne ". Et puis, ses parents étaient morts, alors à quoi bon !

Selon Esméralda, ce trou dans son passé était le résultat d'une mémoire défaillante. Elle qui était du genre " mémoire passoire ", estimait qu’un cerveau d'enfant était trop immature pour retenir les informations. Pour elle, la cause de ses oublis venait de là. Oui ! Sauf que leurs amis à Christian et à elle, racontaient leurs souvenirs d'enfance avec un plaisir renouvelé. Et tandis qu'ils évoquaient leurs moments essentiels, Esméralda s’en étonnait. Elle se questionnait sur son propre cas, puis acceptait d’avoir une piètre mémoire.

Au quotidien, ça se vérifiait. Tête de linotte, Esméralda devait tout noter pour ne rien oublier. Et que dire de sa mémoire des noms ? " L’Alzheimer me guette ", se disait-elle fréquemment quand l'identité de celui qu'elle croisait lui échappait et que les informations le concernant restaient aux abonnés absents. Fataliste, Esméralda composait avec ses déficiences, ne s'agaçant que sur l'embarras et l'ennui que cela engendrait.

Depuis l'annonce du docteur Bardeau, des fragments de son enfance lui revenaient comme un boomerang. Pour son malheur, ce fut le début de sa descente aux enfers.

Jambes croisées sur son canapé, Esméralda poursuivait sa réflexion. Elle se souvenait qu'à cette période de grand n'importe quoi, sa peur des hommes allait croissant. C'était spectaculaire ! Elle n'avait plus seulement peur des hommes d'un certain âge, mais de tous les hommes en général. Sur la défensive, elle se terrait chez elle par peur d'être agressée ou violentée. Pour ne rien arranger, elle menaitla vie dure à son mari. En plus de le rejeter en tant qu'homme, elle était devenue haptophobe. Plus moyen de l'approcher. Dès que Christian voulait la toucher, elle tremblait de tous ses membres et pleurait comme une enfant. De toute évidence, les relations sexuelles étaient impossibles et donc... inexistantes.

À la rétrospective de sa vie, Esméralda regrettait son comportement caractériel et ses emportements cyclothymiques. Ses excès en tous genres avaient mis à mal toute la famille. Avec un supplément de tristesse, elle se rappelait que Christian et les enfants n'en pouvaient plus de la voir souffrir autant. Ils étaient à bout. Ils n'avaient de cesse de lui dire d'aller se faire soigner mais elle refusait, craignant que des séances de psychothérapie n'explosent ses dernières barrières de protection et qu'à nouveau, elle doive faire face à ses bourreaux d'antan.

Au bord de la scission, Christian avait pris le taureau par les cornes. Il avait téléphoné au médecin préconisé par le docteur Bardeau et avait menacé de quitter son épouse si elle n'honorait pas le rendez-vous. Terrifiée à l'idée d'être abandonnée, Esméralda avait cédé à l'injonction et s'était rendue chez le guérisseur d'âme. En l'occurrence, c'était une guérisseuse. Une jeune femme d'à peu près son âge, aux gestes doux, à la voix douce, au visage doux. Cette douceur en concentré avait plu à Esméralda. Elle s'était sentie en confiance avec cette psychothérapeute, mais les premières séances n'avaient pas été fructueuses. Esméralda faisait sa mauvaise tête. Elle refusait de se livrer et préférait garder ses peurs. Et puis, il y eut la proposition de l'hypnose.


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