La Terre

6 minutes de lecture

Réponse au défi : Fil narratif

Un défi lancé à la communauté par OutisNemo

 

Ecrit en 5ième position.

 

 

La lumière s'allume et passe doucement d'un rose aurore à un jaune midi. Je me lève et d'un geste je fais disparaître mon lit dans le mur de ma capsule. Gain de place obligatoire. D'un autre, j'ouvre le mur en vis-à-vis et un unique costume en sort. Propre et recyclé de la veille. Une nouvelle journée commence.

Avant de changer de niveau, j'avale mon seul et unique repas de la journée. Beurk ! Je n'apprécie pas le nouvel arôme de ce breuvage. Passer de deux collations à un seul mets, pour parler comme les anciens, n'est pas une réussite.

Le rôt tarde à venir ce matin. Il arrive enfin et j'appuie sur le bouton vert, celui de droite car je suis daltonien, la capsule se vide de cet air vicié et je me mets à flotter. Go, c'est parti !

Je vole jusqu'au niveau suivant. Une fois que mes deux pieds reprennent contact avec le plancher des vaches, je m'élance d'un pas vif dans les couloirs tous identiques de la structure E. E pour "Elite". La structure réservée aux personnes de la haute, les gens comme moi. 

Le jour naissant filtre à travers les parois en verre des couloirs, donnant l'illusion que l'on avance en plein ciel. Sans mon GPS intégré, je me cognerai à tous les angles. 

Je trouve ce lever de soleil particulièrement beau. Peut-être est-ce parce qu'aujourd'hui est semblable à hier.

Bâtiment 24E, je m'installe à ma place dans l'open-space au cinquième étage. Comme à mon habitude, j'arrive six minutes avant les autres. Je profite de ce moment pour numériser l'ambiance de travail. Comme ce n'est pas un jour spécial et qu'il n'y a aucune demande particulière, je décide d'installer un thème de lever de soleil et le modifie manuellement de manière à ce qu'il ressemble au lever de soleil de ce matin. L'espace baigne dans un silence illuminé par la clarté factice d'un soleil qui avait réellement existé. Je souris. Cela faisait à peine trois mois que nous avions accès à ce numériseur d'ambiance, une grande victoire de notre syndicat !

Une fois l'ambiance installée, je parcours rapidement les sites d'informations. Je me demande pourquoi j'ai cette habitude d'y aller tous les jours, les informations sont insipides et ne me renseignent sur rien de neuf. Pourtant, je sais que je n'apprendrais rien puisque les journalistes dépendent directement de ce que je leur donne, car je suis moi-même Informateur officiel de l'état. Cependant, je garde cette même habitude, peut-être dans l'espoir de voir ou de lire quelque chose que je ne connaîtrais pas.

La porte s'ouvre, étant dos à l'entrée, je ne peux pas voir qui arrive et j'ai pour habitude de m'amuser à tenter de le deviner par sa démarche. Un bruit de talons perturbe le silence, puis avance jusqu'à moi d'un ton sec et déterminé.

Je reconnais aussitôt la voix féminine de H27, bien qu’elle soit saccadée, entrecoupée par sa respiration accélérée ; elle est venue ici en toute hâte. J’espère qu’elle n’a pas couru, car c’est interdit dans tout le bâtiment. Et la sanction peut s’avérer… sévère.

« C’est ici que tu te trouves, toi ? me demande-t-elle, exaspérée. Je t’ai cherché partout ! As-tu entendu les nouvelles au moins ? (Son exaspération laisse vite place à un enjouement intense.)

— Depuis ce matin, je n’ai entendu que le silence, réponds-je. Mais je t’en prie, raconte !

— Ils vont offrir une récompense ! Le meilleur d’entre nous va obtenir une… récompense, tu te rends compte ! »

Une récompense... Je pensais que ce mot avait été supprimé du dictionnaire tant je l’ai peu entendu durant ma courte existence. H27 elle-même semble peu sûre du terme. Elle hésite, mais reprend.

« Tu fais partie des nominés… tu vas participer à un concours ! Celui qui dénichera la meilleure information cette semaine en sera le vainqueur. »

En auscultant H27 de haut en bas, je remarque instantanément que, dans sa hâte, elle n’a pas pris soin de s’habiller correctement. Comme à l’accoutumée, sa tenue est superbe — chemisier turquoise avec une cravate bleu canard et un pantalon en lin cérulé, rappelant parfaitement la couleur de ses yeux et cheveux magnifiques (le bleu, soit dit en passant, est l'une des seules couleurs que je perçois correctement, et elle le sait) —, par contre, j’ai l’impression qu’elle s’est littéralement jetée sur ses vêtements, ce pourquoi ils ont l’air si froissés.

« Calme-toi un peu, dis-je avec douceur tout en rafistolant son col de chemise. Qu’est-ce qu’il t’arrive, tu es mal fagotée aujourd’hui.

 —    Alors, tu… rétorque-t-elle, intimidée. Tu n’as pas entendu les nouvelles ?

—     J’étais en train de les consulter, avant que tu m’interrompes…

—     Laisse tomber ces nouvelles-là, H38. La récom… pense, sais-tu au moins de quoi il s’agit ? »

Je baisse instinctivement la tête dès qu'elle me fixe dans les yeux, car les siens sont bien trop beaux pour que je soutienne son regard. Je l’écoute cependant avec attention.

« Le vainqueur… il pourra y retourner… il retournera sur la Terre ! »

Sa voix s’enroue. Je relève mon visage. Elle semble heureuse. Heureuse  pour moi au point d'en pleurer. 

Se tournant vers mon thème d’ambiance, que je viens juste d’installer, elle reprend, dans un sanglot.

« Tu vas peut-être enfin voir un véritable lever de soleil… pas comme ceux qu'ils nous diffusent tous les matins. » 

La Terre.

Ce mot résonnait dans mon esprit, le répétant à voix basse, le murmurant à peine du bout de mes lèvres, comme pour lui donner une texture, une réalité. 

H27 m'avait apporté ce matin non pas une nouvelle mais un espoir.

Le parfum du vent dans les roseaux, la saveur du sable sur la peau... Retrouverai-je le sol dont on m'avait arraché trop tôt dans mon enfance ?

Mais rien n'était joué, dénicher la perle rare était à la portée de plusieurs personnes en ce lieu et j'estimais mes chances à 40% de réussite. 

Je portais un regard circulaire dans la salle de travail, j'y voyais nombre d'agents affairés, tendus, crispés, fiévreux d'évasion. 

On y était !

Tous en état de syntonisation, les capteurs collés au crâne, la compétition avait commencé, pas un bruit, aucune perte de temps, chacun y allait de son potentiel cognitif.

En mode "search and reward" les loups reniflaient le méta-réseau en chasse de l'information proie. 

Si je voulais trouver l'information, il me fallait m'y prendre d'une autre façon. Naviguer à l'aveugle dans le labyrinthe des serveurs de MANTech. Industries. ne me semblait pas efficace. 

Je devais mettre en place un plan d'action, modifier mon cadre de référence. Si la Terre est mon objectif, alors je devrais reprendre contact avec l'Homme. 

Mais quel genre d'information pourrait-être utile à ManTech. Industries ?

Que recherchent-ils vraiment ?

Des nouvelles concernant des sites possibles d'extraction minière ? Non, ils ont déjà le monopôle des ressources.

Des informations sur les véritables effets des vagues solaires ? Hum... Non plus, et de toute façons ils ne voudraient pas exploiter cette information, financièrement trop risqué pour eux. 

J'avais beau me creuser les méninges, regarder autour de moi, dénombrer les objets posés çà et là sur mon bureau à la recherche d'une amorce d'idée, mais rien. 

L'heure du repas approchait, je quittais l'open-space pour me diriger vers le space-food. Assis à une table en bordure de la baie vitrée, je dégustais ma salade le regard posé sur une des constellations du zodiaque. 

Je n'ai jamais été très doué pour reconnaitre les constellations, mais puisque j'avais les yeux posés dessus je tentais de discerner les positions des étoiles. Un triangle, une ligne à gauche, peut-être une ligne descendante à droite. Je devais observer la constellation de la balance. 

La balance ! Bon sang ! Le symbole de la balance, la justice... Mais pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt !?

 La résistance ! Voilà l'INFORMATION !

Voilà ce qui susciterait un grand intérêt pour MANTech. Industries !

Au milieu de mes pensées, mon holograph s'alluma et le visage doux d'H27 apparu.

"Alors ? me dit-elle.

- Tu tentes ta chance ?

Je regardais autour de moi, je souhaitais rester très discret.

- Oui, ON tente notre chance !

Elle resta immobile et muette, ses joues passèrent du rose au rouge.

Une larme glissa sur sa joue.

- Je ne gagnerai que si je t'emmène avec moi.

- Rêve de la Terre H27, rêve donc..."

 

 

 

 

 

 

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