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Une odeur de fumée parvint à leurs narines. Encore quelques pas et derrière cette abondante végétation se révélerait l’oasis tant attendue. Cruelle désillusion. Ils débarquèrent dans une clairière parsemée de quelques misérables huttes de bois aux toits recouverts de palmes. Anna ferma les yeux.

À quoi tu t’attendais ma chérie, à un hôtel quatre étoiles en pleine jungle ?

Désabusée et épuisée, elle s’approcha d’une vieille femme à la peau si ridée qu’elle semblait faite de bois.

— Dormir ? demanda-t-elle en mimant la position allongée sur un oreiller avec ses mains.

La vieille dame la regarda sans comprendre.Anna trépigna d’impatience et attrapa brusquement le bras maigre de l’amérindienne qui se mit à crier. Robert accourra à la rescousse de sa femme et la tira loin de la pauvre vieille. Il se tourna ensuite vers elle et s’inclina avec respect.

— Excusez-là, nous avons parcouru un long chemin pour arriver jusqu’ici et ma femme est exténuée.

Leur guide traduisit ses paroles et l’ancienne se calma. Elle désigna une petite hutte du doigt, un peu à l’écart des autres.

— Vous dormir là ce soir. Demain, continuer route dans jungle, leur expliqua Nahil.

Anna ne s’embarrassa d’aucun remerciement et se fraya un chemin parmi la population indigène regroupée en cercle autour d’eux. Les étrangers étaient rares dans la région. Les plus jeunes de la tribu, loin d’être effrayés, semblaient fascinés par leur apparence occidentale et curieux des objets qu’ils transportaient. Anna, agacée par tant d’intérêts à son égard, franchit d’un pas vif le seuil de la hutte. Elle avisa les lieux et lâcha un soupir éloquent de lassitude en découvrant une couche vétuste posée à même le sol. Elle s’écroula malgré tout dessus, sans prendre le temps d’ôter ses vêtements. De toute manière, cela n’empêcherait pas les moustiques de la dévorer.

Anna s’éveilla aux premières lueurs du jour. Son mari ronflait encore à ses côtés. Un rictus moqueur se forma à la commissure de ses lèvres quand elle aperçut le filet de bave qui dégoulinait le long du menton de Robert. Tout espoir n’est pas perdu si je peux encore sourire de cela, pensa-t-elle. Elle regarda ensuite autour d’elle et constata une fois encore la pauvreté de la hutte. Excepté la couchette de feuilles tressées se dressait un tabouret – un rondin de bois serait plus proche de la réalité – et une large souche d’arbre polie en guise de table. Elle distinguait dessus quelques victuailles. Son ventre choisit cet instant pour émettre un gargouillement de désespoir. Anna se sentait affamée comme jamais. Elle se leva et attrapa une banane qu’elle dévora avant de se jeter sur des tortillas fraîchement préparées et garnies de purée d’avocat. La meilleure chose qu’elle goûtait depuis des jours. Des jours... Anna s’en donnait encore trois pour retrouver la trace de son père ou de cette satanée Elyranthe avant de retourner à Charleston, dans sa Virginie occidentale. Loin des moustiques, des pumas et de la jungle inhospitalière.

Anna tendit le bras pour saisir un fruit du dragon, mais un geste maladroit de sa main le fit rouler derrière la souche. En maugréant, elle glissa son bras entre le tronc et la cloison de la cabane pour le récupérer. À tâtons, elle balaya l’interstice étroit de gauche à droite et ses doigts touchèrent quelque chose qui n’était manifestement pas ce qu’elle recherchait. Anna fronça les sourcils, elle exhuma l'objet de sa cachette et l’examina. Un carnet à la reliure de cuir naturel. Elle l’ouvrit et resta bouche bée. Anna se précipita sur la couche de son mari et le secoua sans ménagement.

— Réveille-toi, Robert !

Il ouvrit des yeux hébétés sur sa femme, hystérique.

— Que… quoi, mais qu’est-ce qu’il y a ? On nous attaque ? s’alarma-t-il en remettant nerveusement ses lunettes rondes sur le nez.

Anna lui colla le journal sur le visage.

— J’ai découvert les notes de mon père ! s’exclama-t-elle.

— Où ça ? répondit un Robert à présent tout à fait réveillé.

Il arracha des mains de sa femme le précieux document et le feuilleta avec fébrilité.

— Dans la hutte, caché derrière la souche.

— Incroyable, murmura son mari au bout de quelques minutes, tu réalises ce que ça signifie mon colibri ? Nous sommes sur la bonne voie ! Regarde ces illustrations… Elyranthe est certainement tout près d’ici. À nous le prix Nobel ! Nous deviendrons les nouveaux Pierre et Marie Curie.

— Oui ! Sans compter les possibles retrouvailles avec mon père !

Les yeux d’Anna brillèrent d’un espoir nouveau. Robert venait de rallumer sa flamme intérieure en évoquant Marie Curie, son idole depuis des années. Elle rêvait de marcher sur ses traces : devenir l’une des rares femmes à obtenir le fameux prix. La reconnaissance de ses pairs masculins, servir de modèle à d’autres femmes étaient là les plus grands souhaits d’Anna. D’après le fragment du manuscrit maya, Elyranthe offrirait l’immortalité par sa capacité à guérir toutes les maladies. Le rêve de l’humanité, condamnée par son impermanence.


En sortant de la hutte, Anna alla réveiller leur guide et le somma de la suivre. Elle se précipita ensuite sur les habitants des lieux en brandissant le carnet, ainsi qu’une photo de son père, devant leurs yeux plus intrigués qu’inquiets.

— Avez-vous vu cet homme ? Ce journal lui appartient et je viens de le trouver ici. Nahil, traduis ! ordonna-t-elle au pauvre hère qui obéit dans l’instant. Habitué aux clients américains grossiers, il ne s’offusquait plus de leurs manières impolies. Tant qu’il était payé.

Après quelques instants à examiner la photo, un homme prit la parole. Nahil traduisit ses mots à son exigeante patronne.

— Cet homme venir deux nuits ici, il y a plusieurs lunes. Lui partir vers nord, vers cité perdue : Naachtun, et eux jamais revu lui.

L’homme ajouta quelque chose qui provoqua un léger changement d’attitude chez le guide. Il tourna des yeux éteints vers la jeune femme.

— Lui, sûrement mort. Gardien sacré protéger secret de jungle.

Le visage d’Anna vira au rouge à l’évocation de ce sinistre présage. Elle arracha les documents de la main de Nahil et lui adressa un regard des plus odieux.

— Je suis une scientifique, je ne crois pas en vos stupides superstitions. En route, nous partons pour le Nord. Direction : les ruines de la cité perdue !

Nahil ne bougea pas d’un pouce tandis qu’Anna fonçait déjà vers la jungle. Elle s’arrêta au bout de quelques mètres, consciente de ne pas être suivie.

— Eh bien, Nahil ? Secouez-vous donc !

— Madame, moi rester ici. Pas déranger Gardien du wankil qaawa. Sacré.

Anna arbora un air offusqué qui faisait ressortir ses ridules sur le front, puis elle tapa du pied comme une enfant privée de son jouet. Un ange passa. La scientifique soupira bruyamment. Elle comprit, cette fois, qu’il ne céderait pas à son caprice. Elle plongea la main dans sa sacoche et la fouilla avec frénésie.

— Soit. Tiens, voilà pour toi, grommela-t-elle en lui jetant quelques billets à la figure. Attends-nous donc ici pour le retour. Robert ! cria-t-elle avec des trémolos dans la voix, nous partons !

Son mari, qui venait de sortir de la hutte, n’osa pas la contredire. Et, quelques minutes plus tard, ravitaillés et requinqués, ils pénétrèrent dans la jungle le sourire aux lèvres.

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