Prologue : Valsons ensemble

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Tac... Tac... Tac...

Je sursaute, les sens en alerte. Quelque chose m'a brutalement arraché à mon sommeil profond, mais je peine à en identifier la source. Plongée dans l'obscurité, ma chambre témoigne du fait que la nuit règne en maître, car je ne suis jamais adepte des volets clos.

Tac... Tac... Tac...

Immobile sous ma couverture, je suis convaincue que c'est ce bruit qui m’a réveillé. J'attends en espérant qu'il cesse, mais tel un métronome obstiné, il persiste. Mon esprit s'échauffe alors, laissant place à des suppositions de plus en plus farfelues. Je pense instinctivement à un cambriolage, voire pire, un meurtre qui se déroulerait juste sous ma fenêtre. Plus je me perds dans les méandres de cette énigmatique cacophonie, plus des formes étranges se dessinent dans ma chambre. Les ombres de mes meubles, éclairées par la lueur de la lune, se métamorphosent peu à peu en créatures monstrueuses assoiffées de sang.

Le peu de courage qui me reste me pousse à tendre la main vers l'interrupteur de ma lampe de chevet, et d'un geste brusque, je l'actionne. La douce et chaleureuse lumière envahit ma chambre, dissipant les chimères sanguinaires créées par mon esprit. Rassurée, je tourne la tête vers ma commode pour vérifier l'heure affichée sur mon réveil. Il est seulement 3h30 du matin. Le bruit persiste, de plus en plus insistant, et je réalise que je ne parviendrai pas à retrouver le sommeil tant que je n'en ai pas découvert la source.

Tac... Tac... Tac...

Avec précaution, je me lève, prenant soin de m'envelopper dans ma couverture et d'enfiler mes chaussons. Mes yeux se dirigent instinctivement vers la fenêtre de ma chambre. Une pensée perturbante s'insinue alors dans mon esprit : comment puis-je entendre ce bruit alors que ma fenêtre est fermée ? Lentement, emplie d'appréhension, je tourne la tête dans sa direction. Elle est entre-ouverte. Un nœud se forme dans ma gorge. Je suis au premier étage, donc il est impossible qu'une personne extérieure l'ait ouverte. La curiosité et la peur s'entremêlent en moi. J'hésite. N’est-il pas plus sage de simplement la refermer et de retourner me coucher ?

Je m'approche alors de ma fenêtre en veillant à faire le moins de bruit possible. Arrivée à son niveau, je la claque brusquement pour la fermer. Depuis ma chambre, j'ai une vue imprenable sur l'entrée de ma maison et le début de notre impasse privative. Avec minutie, je déplace les rideaux opaques pour scruter l'extérieur, mais rien. Il n'y a pas âme qui vive. À quoi diable m'attendais-je sérieusement ? Il est si tôt.

Tac... Tac... Tac...

Je suis soudainement secouée par ce vacarme qui reprend de plus belle. À y réfléchir, il résonne comme les trois coups annonçant le début d'une pièce de théâtre. Il devient évident que tant que ce bruit persiste, je ne peux pas me rendormir. Réveiller mes parents est une mauvaise idée. Ils ne vont pas manquer pas de me gronder si je les dérange pour une peur enfantine. Après tout, je ne suis plus une petite fille de huit ans.

La décision prise de découvrir ce qu’il se trame, je quitte ma chambre et je me retrouve plus vite que je ne le souhaite dans le hall de notre maison. Je suis presque sur le point d'ouvrir la porte lorsque soudain, la peur m'envahit, me prenant à l'estomac avant de s'élever sournoisement le long de mon œsophage jusqu'à s'installer dans ma gorge. L'atmosphère devient oppressante, comme si un mur invisible se dresse devant moi. Il paraît animé d'une vie propre, luttant pour m'empêcher d'ouvrir cette porte. Ma respiration s'accélère, et la panique m'enserre sans que je puisse m'en défaire. Je me sens submergée. Les yeux clos, je tente de crier, mais le son se meurt instantanément sur mes lèvres. Mon cœur s'emballe, menaçant de s'échapper de ma poitrine. Un combat invisible se livre entre mon corps et moi. Je me noie.

Tac... Tac... Tac...

Tout en maintenant mes yeux fermés, je m'efforce de me concentrer sur ma respiration. Mes inspirations et expirations sont laborieuses, mais, quand, soudain, une chaleur se diffuse dans mes poumons, suivant le tracé de mes vaisseaux sanguins pour se propager lentement à travers tout mon corps. Une montée d'adrénaline me sort de ma torpeur et j'entrouvre brusquement la porte. Dans le plus grand silence possible, j'observe l'extérieur. Rien n'a changé. Pourtant, le tumulte persiste, amplifié de deux fois sa puissance précédente.

Tac... Tac... Tac...

Je franchis la porte et sursaute. Le froid est glacial, anormalement intense. Nous sommes en plein mois d'octobre, mais cette fraîcheur est tout simplement déconcertante. J'ouvre discrètement le portail et, pas à pas, je m'avance le long de l'allée. À chaque pas, le regret s'empare de moi, mais la curiosité est trop puissante. Je dois découvrir l'origine de ce bruit, car au fond de moi, je sais qu'il n'est pas normal. Son rythme parfait, ininterrompu, semble pénétrer partout. Il est infernal, bruyant, tout en étant léger et presque inaudible à la fois.

Tac... Tac... Tac...

Une fois arrivée au bout de l'impasse, haletante, je prête l'oreille. Le son semble provenir de ma gauche. Je sais qu'il n'y a plus de retour en arrière possible. Je n'ai pas parcouru tout ce chemin pour repartir bredouille et attraper un bon vieux rhume. Je tourne discrètement la tête vers la source de ce mystérieux bruit. Et là, l'horreur se dévoile devant mes yeux. Un cri d'effroi se forme dans ma gorge, mais je le réprime instinctivement, ma main venant se presser contre ma bouche.

Depuis ma cachette, éclairée faiblement par un lampadaire, je peux observer une silhouette sombre en train de planter un immense couteau avec une cadence régulière dans le corps de mon voisin. Incapable de détourner le regard, je vois l'ombre retirer la lame ensanglantée du cadavre. Le sang coule abondamment, formant une flaque sur le bitume. Je ressens une nausée qui me noue l’estomac, et je me force à ne pas faire de bruit.

Soudain, le meurtrier pose délicatement la lame dans la mare de sang. Un bruit étouffé se fait entendre lorsque la lame entre en contact avec le liquide. Puis, il soulève le corps inerte de sa victime et entame une valse macabre. Les quarts de tours et les demi-tours s'enchaînent, dans une mise en scène d'une cruauté insoutenable et rien ne perturbe cette danse infernale.

Je dois alors fuir, fuir avant que cet individu ne me repère. Par un miracle, mes jambes répondent malgré le froid glacial et la peur qui m’étreint de ses bras gelés. Tous mes sens sont en alerte maximale. Je commence à faire demi-tour, retenant ma respiration pour être aussi silencieuse que possible. Cependant, je n'ai pas pris en compte les feuilles mortes que j'avais soigneusement évitées à l'aller. J'en écrase une sous mon pied, produisant un sinistre craquement. L'écho résonne lugubrement dans l'allée.

Derrière moi, j'entends le meurtrier laisser tomber quelque chose de lourd au sol. Il m'a entendu, j'en suis certaine. À cet instant précis, je sais que ma condamnation est actée. Je me mets à courir le plus vite possible vers ma maison. Aucun bruit ne se fait entendre derrière moi, mais je sais qu'il est là, je le sens, il me rattrape. Alors que je suis à quelques mètres de chez moi, quelque chose s'enroule autour de ma jambe, me faisant chuter violemment. Je me retourne, suppliant mon agresseur de me laisser en vie. Mes supplications se transforment en un hoquet d'horreur.

Je suis au bord de la folie. Un liquide chaud coule le long de mes jambes. Face à moi se dresse non pas un homme, mais un monstre. Il est dépourvu d'yeux et de nez, quant à sa bouche, elle est remplie de dents longues et acérées. Sa peau me semble visqueuse. Alors que je m'apprête à hurler, sa main se plaque sur mes lèvres. Ses bras sont étonnamment extensibles. Je me dis que c'est un cauchemar, que je vais bientôt me réveiller. Une créature pareille ne peut pas exister. Je frôle l'évanouissement. Pourtant, le monstre ne montre aucun signe de vouloir me tuer. Il me contemple avec un sourire terrifiant. Il ne fait rien, absolument rien. La panique m'envahit. Son sourire s'élargit.

Après quelques instants, il se penche vers moi et me caresse la tête, comme si j'ai accompli une bonne action. Il ne prononce aucun mot, ne fait aucun bruit, mais une forte intuition me convainc qu'il ne va pas me faire de mal. Un mélange de peur et de soulagement s'empare de moi pendant que nous restons face à face pendant quelques secondes.

Puis, sans prévenir, il s'éloigne de moi, sa tête se redresse lentement vers le ciel, comme s'il a entendu quelque chose que lui seul peut percevoir. Il se redresse comme si de rien n'était, puis il se met à marcher en direction de ma maison, ses bras pendouillant derrière lui de manière grotesque.

Je le fixe, les yeux exorbités, la bouche toujours ouverte. Je bondis sur mes jambes et je me mets à courir pour le suivre, n'ayant qu'une idée en tête : alerter mes parents. Je dois les sauver, les informer de la situation. J'entre chez moi dans un état second et je hurle :

« Papa, maman, sauvez-vous ! »

Une lumière illumine le couloir donnant sur le hall d’entrée suivie de pas hâtifs et des murmures. Je vois alors mes parents sortir de leur chambre complètement paniqués.

— Gabrielle, enfin, ne crie pas comme ça. Que se passe-t-il ? demande la voix fatiguée de mon père.

— Papa, maman, ne descendez pas ! Il est là, il va vous entendre, dis-je en essayant de chuchoter, mais ma voix ressemble plutôt à un gargouillement étranglé.

Je n'entends pas ce que ma mère murmure à mon père, mais je les vois descendre les escaliers. Ils se retrouvent face à moi, leurs yeux d'abord empreints de fatigue qui s'écarquillent de plus en plus à ma vue. Devant eux, je me tiens tremblante, le pantalon de pyjama mouillé d'urine et les yeux embués de larmes. Ils se précipitent vers moi, paniqués, me demandant si je vais bien. Leur contact me ramène à la réalité.

— Il y a un monstre chez nous, je ne plaisante pas. Il a tué notre voisin, je l'ai vu. Je l'ai vu, je vous dis ! martelé-je suppliante.

Des regards circonspects sont échangés entre mon père et ma mère. Celui-ci soupire et hausse les épaules. Il nous observe tour à tour, ma mère et moi.

— Gabrielle, il n'y a personne ici. Pour te rassurer, nous pouvons vérifier chaque pièce de la maison une par une, propose-t-il en prenant sa voix la plus douce.

— Le voisin, le voisin ! Venez avec moi ! Vite, avant qu'il ne revienne ici.

Je tire mes parents par la manche de leur pyjama. Ils me suivent silencieusement. Pourtant, je sens leur fatigue et je perçois déjà leur envie de retourner se coucher. Mais je reste inflexible. Nous arrivons rapidement au bout de l'impasse. Tremblante, je leur montre du doigt l'endroit où j'ai vu le corps sans vie de mon voisin. Ils regardent dans la direction que j'indique. Je scrute leur visage, à l'affût du moindre signe d'horreur, mais ils n'expriment aucune peur, seulement de l’épuisement. Je porte alors mon regard dans la direction que je pointais. Rien, absolument rien. Aucune trace de cadavre, aucune goutte de sang. Il a disparu, et mes parents me regardent alors comme si je suis folle.

—Gabrielle, il n'y a rien. Tu le vois bien. Tu as peut-être fait un cauchemar lucide, mais ce n'était qu'un cauchemar, me rassure ma mère en se frottant les yeux puis en baillant.

— Allez, rentrons. Tu dois être fatiguée, ajoute mon père.

— Gabrielle, il n'y a rien. Tu le vois bien. Tu as peut-être fait un cauchemar lucide, mais ce n'était qu'un cauchemar, me rassure ma mère en se frottant les yeux puis en baillant.ls font demi-tour. En remarquant que je suis toujours immobile, ils se retournent vers moi. Ma mère tend sa main, comme elle le faisait lorsque j'étais petite, pour me faire comprendre qu'elle m'attend et qu'elle est là pour moi. Je me précipite sur les quelques mètres qui nous séparent et je me réfugie dans ses bras. Son contact m'apporte un réconfort immédiat, une douce chaleur m'envahit, me rappelant tous les merveilleux moments que nous avons partagés.

Les souvenirs du bonheur familial défilent devant mes yeux clos. Ici, dans cette étreinte, je me sens invincible, prête à affronter n'importe qui, n'importe quoi. Je suis convaincue que je n'ai pas rêvé, que cette chose est réelle. Cependant, pour l'instant, je m'abandonne dans ses bras espérant secrètement qu'elle durera aussi longtemps que possible.

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