Montagnes russes

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27 avril 2020 - 4 mois avant toi

J’ai encore beaucoup de peine à réaliser ce qui m’arrive. Depuis l’annonce de ma grossesse, tout le monde attend impatiemment de savoir si c’est un garçon ou une fille. J’imagine les deux futures grands-mamans dans les starting-blocks, prêtes à se précipiter dans les boutiques pour faire flamber la carte de crédit. Comme s’il avait deviné cela, mon bébé a bien pris la peine de croiser les jambes à chaque échographie pour faire durer le suspense. Je souris en pensant qu’il a déjà mon petit côté rebelle. Mais aujourd’hui, moi, je vais enfin savoir.

Les premières semaines de grossesse ont été très difficiles à encaisser, notamment parce que ma fausse couche a eu lieu l’année précédente. Je n’avais pas un grand espoir en celle-ci.

Marc a également très mal réagi à l’annonce. J’avais cru que lors de mon dernier test positif, il avait été négatif par cynisme et non pas par conviction. En réalité, il ne voulait vraiment plus d’un autre enfant. Il pense qu’il est désormais trop vieux et il se voyait mal se remettre dans les couches et subir à nouveau les insomnies. Pourtant, jamais nous n’avons eu de conversation claire à ce sujet. Il ne m’a jamais parlé non plus de contraception.

Peut-être comptait-il sur mon infertilité ? Dommage, visiblement elle s’est évaporée comme par magie à l’aube de mes quarante ans. Comme si mon corps avait décidé tout à coup de booster mes organes reproducteurs avant ma ménopause.

Quoi que ce puisse être, je n’y suis pour rien et j’ai trouvé très injuste qu’il rejette cet enfant alors que nous avons été deux à le concevoir. Je suis persuadée qu’au final il l’aimera de tout son cœur comme notre fils, mais ça ne m’a pas empêchée de pleurer de déception durant deux jours. Les hormones n’aident pas vraiment à prendre du recul.

Sans oser l’espérer, je rêve secrètement que ce soit une fille. Marc a toujours souhaité en avoir une. Il se projettera peut-être un peu dans une vie à quatre si c’est le cas.

Une jeune femme vient enfin me chercher dans la salle d’attente. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Ce n’est pas mon gynécologue qui va pratiquer l’échographie morphologique, mais une spécialiste avec qui il a l’habitude de travailler. Elle m’accueille avec un grand sourire et me conduit jusqu’à son cabinet. Nous faisons les présentations, puis elle me demande de m’allonger. Elle me badigeonne ensuite de liquide froid et visqueux. À chaque fois j’ai l’impression d’être une cuisse de poulet qu’on tartine de mayonnaise.

J’échange des banalités avec elle tandis qu’elle commence à déplacer la sonde sur la bouée qu’est devenu mon ventre. C’est une manière de me déstresser, parce qu’en réalité, j’ai de la peine à me contenir, tant je suis survoltée.

Pratiquement tout est prêt pour la chambre du bébé, mais j’attendais de savoir quelles couleurs allaient égayer la décoration. Je l’ai faite sur le thème des rêves. Il y a une applique et un tapis moelleux en forme de nuages, ainsi qu’une armoire que Marc a faite sur mesure d’après un modèle de la Redoute. Nous l’avons peinte en blanc ensemble lors d’un splendide après-midi. Elle a une petite étoile gravée en son centre. La pièce de détente et lecture est métamorphosée.

Quatre mois, ça passe très vite et il me reste peu de temps pour commander les jolis paniers en tissus qui serviront à ranger les jouets. En ce qui concerne les vêtements, je suis bien moins pressée. Les petits pyjamas que j’ai gardés iront très bien dans un premier temps, que ce soit un garçon ou une fille. Les ours bruns et les éléphants conviennent à tout le monde.

—Je n’arrive pas très bien à voir, murmure la doctoresse en scrutant l’écran, ce qui me tire de mes pensées.

—On ne peut pas encore savoir si c’est un garçon ou une fille ? je demande, avec un peu d’espoir.

Je ne vais quand même pas attendre la naissance ! Ce serait cocasse à ce stade.

—Ah mais si ! C’est une petite fille.

Une vague de bonheur me submerge instantanément. J’essaie de retenir mes larmes pour rester digne, même si c’est complètement con. Je culpabilise d’être à ce point heureuse, parce que je ne devrais pas avoir de préférence après tout ce que j’ai traversé. En plus, j’ai eu un garçon tellement facile. Un deuxième m’aurait comblée aussi.

Une petite fille. Nom de nom. Une petite fille. Vraiment.

—Vous êtes sûre ?

—Oui, ça ne fait aucun doute.

Je n’ai qu’une hâte, que l’examen se termine pour que je puisse appeler mes amis, ma famille, tomber dans les bras de mon mari, bondir de joie partout où j’irai et dévaliser les magasins de petites robes pailletées. Le bonheur est trop intense. Je suis la femme la plus chanceuse du monde.

—Pouvez-vous vous lever pour que le bébé change de position ? me demande la spécialiste. Je reviens dans un instant.

Je m’exécute, un sourire idiot figé sur mon visage et caresse mon ventre doucement pour faire réagir ma petite puce.

Ma fille.

Après quelques minutes, la doctoresse est de retour et elle me prie de m’allonger à nouveau. À ma plus grande surprise, une autre femme entre dans la pièce. Il s’agit de la gynécologue qui partage le cabinet avec le mien. Je trouve étrange qu’elle vienne également, mais peut-être que la spécialiste souhaite un peu d’aide parce que mon bébé est mal positionné. Le métier semble très compliqué.

Elles commencent à regarder l’écran ensemble et discutent de termes médicaux que je ne comprends pas. En toute franchise, à ce moment-là, je n’en ai strictement rien à faire, bercée par mon état second. J’ai tellement grimpé dans les nuages que je suis à deux doigts d’atteindre la lune.

Soudain, la gynécologue pose une main sur mon genou. Quelque chose vient de switcher dans ma tête.

Pourquoi me touche-t-elle ? J’ai immédiatement compris que c’était un geste de réconfort. Je me tourne vers la spécialiste. Elle semble gênée.

—Madame, il y a un problème avec le cœur.

La chute est vertigineuse. Mon âme s’écrase au sol. En quelques secondes, je passe de l’euphorie à une profonde terreur. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Les deux femmes essaient de m’expliquer leur diagnostic, mais mon cerveau n’enregistre plus rien, hormis la fin de la phrase :

—vous devez prendre rendez-vous avec l’hôpital. C’est les cardiologues qui vous diront si votre enfant peut vivre.

J’ai ardemment souhaité une petite fille et je l’ai eue. Mais on veut déjà me la reprendre.

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