Par-delà les nuages

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Aube, convictions, nuages... solitude. Ces mots résonnaient dans l’esprit de Kenzo comme des vérités absolues que lui seul était en mesure de comprendre. Où se trouvait-il ? Depuis combien de temps arpentait-il ces terres ? Depuis combien de temps cherchait-il à connaître ce qui se cachait derrière les nuages ?

La saison des lumières venait tout juste de s’installer. Les maisons traditionnelles en bois et les lampes en papier rouge laissaient filtrer de douces lueurs qui se mélangeaient aux éclats flamboyants de l’aube. Banderoles et pétales de fleurs jonchaient le sol, vestiges silencieux du masturi de la veille qui annonçait le retour des beaux jours et qui devait éloigner les esprits malins des récoltes. Mais malgré ces signes de vie, le village était désert. Kenzo était seul, il le savait. Il en avait toujours été ainsi.

Qu'y avait-il au-delà des nuages ?

L’endroit lui devint soudainement familier. C'était là où il était né. Là où il avait grandi et où une nouvelle résolution s'était emparée de son être.

Au-delà de la vallée des brumes et des monts du levant, se trouvaient les nuages. Lumineux et colorés, proches et inatteignables à la fois. Malgré ses efforts et sa volonté, ils se dérobaient à chaque fois qu’il s’en approchait. Les étoiles se jouaient-elles de lui ? Pourquoi ne lui permettaient-elles pas d’accomplir sa destinée ?

Kenzo marchait. Il n'était plus dans le village. Sur les contreforts des monts du levant, il empruntait le même chemin qu'autrefois. C’était le chemin qui menait au sommet de la montagne céleste, là où se trouvait la demeure des esprits. Il devait leur demander conseil. Seuls les esprits pourraient l'aider dans cette quête qu'il cherchait à accomplir depuis si longtemps.

Le vent s'anima et la brume enveloppa les escaliers qui se perdirent dans l’invisible. Apparurent alors de petites créatures lumineuses, fines et sinueuses. Elles jouaient avec les formes, étincelaient de petits flashs colorés et invitaient le voyageur à les suivre dans leurs jeux facétieux. Kenzo avait soudain rétréci. Son sabre était devenu trop grand pour lui, mais étrangement, ses vêtements semblaient toujours à sa taille. Il était redevenu enfant.

Une voix imperceptible s'éleva à travers la brume. Elle semblait provenir de toutes les directions, mais Kenzo savait où aller. Des rires retentirent autour de lui et les échos de ses jeux d'enfant lui apparurent. Ces années d’insouciance et de joie déferlèrent en lui et des larmes coulèrent sur ses joues. Il était seul, mais il n’en avait pas toujours été ainsi. Depuis combien d’années maintenant sa résolution l’avait-elle coupée du monde des hommes ?

La voix retentit à nouveau. Était-ce un reproche qu'on lui adressait ? Il lui sembla soudain que l'air autour de lui devenait menaçant. Était-il allé trop loin ? Le sentiment de confiance et d'invulnérabilité qui l'habitait se morcelait et son corps devint plus lourd à porter.

— J'ai parcouru le monde comme vous me l'avez demandé, se défendit Kenzo. J'ai conté les histoires sur la naissance du monde et l'origine des étoiles. Je vous ai honoré dans vos sanctuaires, du plus petit autel de la forêt des chênes jusqu'au temple suprême de l'Awayuri. J'ai invoqué votre mémoire et ravivé vos existences auprès des mortels. Mais j'ignore encore ce qui se trouve derrière les nuages…

Cette dernière phrase avait été lâchée comme une supplique. Un murmure adressé au vent et perdu dans l'immensité. Kenzo savait qu'elle ne trouverait pas d’échos.

— Dites-moi ! Je dois savoir ce qui se cache par-delà les nuages !

— … aître…

Une autre voix. Différente, plus douce. Elle semblait chargée d’inquiétude et d'angoisse. De remords et de chagrins. Mais cette voix lui était familière.

Il retrouva son corps d'adulte et cela lui parut normal. Soudain animé par des certitudes dont il ignorait les origines, il plongea sa main dans les brumes et empoigna fermement ce qu'il y trouvât. C’était chaud et doux. Ce n'était pas un esprit, ni même l’une de ces facétieuses créatures de lumière qui tournoyaient gracieusement autour de lui. C’était plus important. Il le savait. Il avait attrapé la réponse.

Un hoquet de surprise et de sanglot troubla sa perception. La brume se dissipa et un flou de lumière aveugla son champ de vision.

— … aître... aller… ien …

La voix était proche. Toujours aussi familière. Toujours angoissée.

Kenzo ouvrit les yeux et découvrit autour de lui un monde qu'il connaissait. Face à lui, une enfant effrayée au visage larmoyant. Il la tenait fermement par le poignet et ce qui la faisait visiblement souffrir. Les idées se remirent laborieusement en place dans son esprit. Il sentit la tiédeur de ses larmes sur ses joues tandis que son cœur était en proie à un tourment qu'il peinait à contenir.

— Maître, répéta la petite voix. Vous allez bien ? Vous pleurez maître ! Vous allez bien ? insista-t-elle désemparée et inquiète.

Kenzo relâcha aussitôt son étreinte. Il avait retrouvé suffisamment de lucidité à présent.

— Excuse-moi Erin. Je t’ai fait mal ?

La jeune fille secoua vigoureusement la tête. Elle mentait. Son poignet était rouge et son bras tremblait malgré ses efforts pour le dissimuler. Kenzo, inspira profondément et se redressa sur sa couche. Il dévisagea sa jeune apprentie qui faisait de gros efforts pour rester impassible malgré sa douleur et ses angoisses. Quel pitoyable spectacle avait-il dû lui donner. Mais qu’importe. Les esprits lui avaient parlé. Ils lui avaient montré le chemin. Erin était la clé. Cette clé si précieuse à ses yeux mais qui lui permettrait un jour de découvrir ce qui se cache par-delà les nuages.

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