LA VILAINE AGATE ou l'histoire d'une vocation

4 minutes de lecture

Vous ai-je raconté l’histoire véridique,

De ce simple soldat du combat politique

Qui, malgré le défaut d’un maigre potentiel,

Avait su s’approcher jusqu’au plus près du ciel,

Admirer les sommets depuis le camp de base,

Et disait : « j’y étais et j’ai connu l’extase » ?

Mais je vais bien trop vite et coupe son parcours,

Dont le détail pourtant mérite des détours.

Sans dire qu’il avait la chose dans le gène,

Son culte pour autrui prenait souche lointaine ;

Dans l’enfance déjà, c’était incessamment,

Qu’il s’en venait toquer à l’huis d'un logement,

Pour vous serrer la main ou vous tenir l'échelle,

Vous monter du charbon ou ranger la vaisselle !

Il faut savoir aussi qu’il parlait plaisamment,

Sans qu’on sache toujours ce qu’il disait vraiment ;

Partout, à tout propos, il délayait la phrase,

Et se prenait des gnons quand la coupe était rase,

Par les anciens du coin, les jeunes des quartiers,

Lassés de trop le voir et leur casser les pieds !

N’importe ! il revenait, sans plainte ni rancune,

Pour tenir le terrain - et plutôt deux fois qu’une -

Au point que le docteur, le maître, le curé,

Impuissants à traiter, voulurent l’emmurer

Dans quelque pensionnat, le temps que l’on procède

A la confection d’un possible remède !

Le projet fit long feu : l’on se dit qu’après tout,

En artiste, peut-être, il aurait un atout,

Tant il semblait tenir beaucoup du phénomène,

Comme au cirque on en voit au milieu de l’arène,

Et qu’il fallait chercher plutôt de ce côté

La trace, la lueur d'une facilité !

Hélas ! on dut bientôt se rendre à l’évidence :

Notre ami n’était pas profilé pour la danse,

Pas plus que pour jouer d’un quelconque instrument

Qui pouvait dans ses mains souffrir éperdument ;

Pas le moindre talent pour le vers ou la prose,

Ni d’ailleurs pour le chant ou pour tailler la rose !

C’est donc au désespoir qu'un beau jour en pleurant,

Ses parents, d'être élu, l’apprirent aspirant !

Ainsi donc il entra dans cette grande école

Qui forme la recrue à fabriquer la colle,

A manger, à parler, à rire grassement,

A bien choisir les mots pour cacher que l’on ment !

En tout il excella : surtout en platitudes,

Qu’il savait ciseler, comme ses certitudes,

Et clamer le front haut en agitant le bras,

En se poussant du col comme font les cobras !

N'ayant d'opinion sur rien, ni sur personne,

Chaque cause ou raison lui parut juste ou bonne,

Si bien que ne sachant dans quel camp le ranger,

On fit appel à lui pour ne rien trop changer,

Suite au décès fortuit d'un improbable édile

Qui siégeait mollement dans un truc inutile.

De ce jour il courut sans trêve les honneurs,

Faisant fi des jaloux et autres ricaneurs ;

Il y mit tout son cœur, son temps, son éloquence,

Sans ralentir jamais la funeste cadence ;

Tel honneur lui revient que déjà le reprend

Une démangeaison pour tel autre plus grand !

Au point qu’au soir venu d’être sexagénaire,

Il était au plus haut du mieux qu'il pouvait faire,

Juste au plus près des grands, presque au bord du tapis

Rouge qu’on leur déroule au milieu des képis !

Et c’est à ce moment de jouir de sa rente

Qu’il vit de son état la chute fulgurante !

Son épouse d’abord - une sainte au front clair -

Lasse de demeurer avec un homme éclair,

(Bien plus préoccupé par la chose publique

Que par leurs sentiments déviant à l’oblique)

A remisé ses maux chez un amant plus lent,

Lequel en tout effort est d’un calme opulent,

Mais qui sait à propos lui dire qu’elle est belle

Quand bien même à l’instant elle sort la poubelle !

Ses enfants, clairement, le méprisaient en tout,

Et le venaient baiser - descendance et toutou -

Que lorsque le climat se mettait à l'étrenne,

L’oubliant aussitôt jusqu’à la fois prochaine !

De même, il reconnut les petits comploteurs

Qui déjà se cachaient au milieu des flatteurs,

Mais qu’il ne voyait pas avec leur vrai visage,

Tout grisé qu’il était d’être de leur étage !

Alors de son estime il se priva d’un coup :

« Je ne suis que du vent et du sable, c’est tout !

J’ai construit un désert en suivant ma chimère :

Mais que n’ai-je écouté les conseils de ma mère ? »

Il se parlait ainsi, tout en sévérité,

Devant son tribunal, jurant la vérité !

Il ne se montra plus et n’eut pas de visite ;

C’est que, dans ce métier, l’on vous efface vite,

Et l’on redoute fort qu’à voir avec ses yeux,

D’aucuns ne soient porteurs d’un mal contagieux !

Puis un soir il cessa ces tristes soliloques,

Mit son plus bel habit, s’épingla de breloques,

Et prit dessus le lit la posture du mort.

Sobre dans les effets et digne sans effort,

Il sentit qu’il donnait du souffle au personnage :

Et le rideau tomba sur ce cabotinage…

EPILOGUE

Ses voisins étaient là, le visage attendri,

Et tous se lamentant guère plus qu'à demi ;

L’aspergeant de sainte eau, lui jetant une rose ;

Un très vieux voulut bien lui dire quelque chose,

Puis on se désunit car l’on sonnait midi,

Et que le bon pasteur en avait assez dit.

Lorsqu’il ne resta rien, qu’une brise d’automne,

On vit se rapprocher un petit homme jaune

De poils et de cheveux et d’un aspect piteux ;

Il tenait d’une main un petit chien boiteux

Et de l’autre un bouquet de ces fleurs ridicules

Qui poussent n’importe où dessus les monticules.

Chose étrange : il pleurait. Il plia le genou,

Ecarta doucement une gerbe debout,

Et sortit un baiser de sa lèvre, sans hâte,

Et d’un sac d’écolier une vilaine agate,

Seul présent d’amitié - d’un temps entr’aperçu -

Que l’un ait jamais fait et cet autre reçu.











Annotations

Vous aimez lire Charlentoine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0