L'IMPROBABLE PLAIDOIRIE

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IMPROBABLE PLAIDOIRIE SUR DES DETAILS DE LA TRES FAMEUSE GRANDE GUERRE

La Grande Guerre est certes loin derrière nous et n'intéresse plus grand monde ; mais imaginons un instant que sur un coup de folie, l’on se décide aujourd’hui à traduire devant une sorte de tribunal l’un de ces médiocres généraux (si, si, on en connaît !) qui ont prospéré à cette époque sur le théâtre des opérations et – il faut bien le dire - n'ont pas laissé que de bons souvenirs à la troupe ! Les charges étant ce qu'elles sont, il faudrait à l’évidence le secours d’un « ténor du barreau » pour assurer sa défense ! Mais que pourrait bien dire ce grand avocat, dans son improbable plaidoirie, pour tenter de disculper ce général forcément très âgé et nous apitoyer ?...


« Quoi ! Messieurs les jurés et vous aussi Madame :

On attend du sang frais, la foule le réclame

Qui n’a pas fait le deuil de ce gâchis humain,

Absurde assurément, et qui se cherche en vain

Quelqu’un pour s’acquitter jusqu’au dernier centime,

Du prix de l’infamie et d’une plaie intime !

Et l’on a transporté dans ce box un soldat

Qui, ma foi, ferait bien un potable Juda !

Un traître à la patrie ! un dindon de la farce !

Un lampiste idéal, ou mieux : un fils de garce !

Allons, je vous en prie, un peu de dignité !

Exposons les griefs et leur partialité,

Interrogeons nos cœurs, notre âme tricolore,

Que l’on désigne enfin qui donc nous déshonore !

Que nous reproche-t-on, Monsieur le Président,

A nous, vieux général, dont tout l'antécédent

Militaire ne fut que pages glorieuses,

Mémorables combats et charges furieuses ?

Car nous avons gagné grâce à nos généraux,

Fer de lance affûté de régiments ruraux,

Qui se sont dits très tôt qu’en restant à l’arrière,

Ils se briseraient moins le col ou le derrière !

Abordons point par point l’affaire posément,

En prenant bien le tout par le commencement.

Pour ouvrir le propos, allons au plus facile :

Mon client est connu pour être un imbécile !

On pourra m’objecter qu’au grand état major,

Le grade est répandu - et l’on n’aura pas tort -

Mais s’il est devant vous, seul de tous les apôtres,

C’est bien que celui-ci l’est bien plus que les autres !

Mais comprenons-nous bien : je ne suis pas ici

La voix du procureur et ne vous dis ceci

Que pour gagner du temps sur le fond de l’affaire,

Que je vais, à présent, clairement vous défaire !

C’est notre art du combat qu’on critique en premier,

Cet allant bien français qui nous est coutumier,

Et qu’on peut résumer d’un beau mot : « offensive ! »

Comme Napoléon, par vague successive !

« C’est dans l’assaut, toujours, et toujours droit devant,

Que se prend le terrain qu’on n’avait pas avant ! »

Il n’est point de grand chef sans une grande phrase,

Pour en dire à la fois la hauteur et la base.

L’idée, en soi, n’est pas exempte de bon sens :

L’ennui, c’est le Teuton, qui vient à contresens,

Puissamment équipé de grosses mitrailleuses

Qui coupent les soldats comme des moissonneuses !

On avait cru pouvoir, un temps - c’était malin -

Les renvoyer fissa du côté de Berlin,

En attaquant de front, un peu comme la foudre ;

Cela ne s’est pas fait : ils voulaient en découdre !

Alors évidemment, le temps de mettre au point

Quelque autre procédé pour avancer moins loin :

Nous avons essuyé de regrettables pertes !

Il fallait bien le temps de palabres expertes !

Ce fâcheux contretemps n’est point de notre fait :

L'ennemi, pour beaucoup, compte dans ce forfait,

Et notre troupe aussi dont les charges bâclées

Nous ont parfois valu de cuisantes raclées

Qu'il a fallu subir à cheval et à pied,

Alors que nous étions vainqueurs sur le papier !

N’est-ce pas général ?... Il dit oui de la tête ;

Nous sommes innocents : voilà chose concrète !

Passons au second point : quel est-il ? Ah, je vois !

On nous trouve hautain, méprisant et sournois,

Et sans le moindre égard pour la basse piétaille,

Qu’on traite en numéro sur le champ de bataille !

C’est le Poilu qui parle et nous crache un venin,

Plutôt habituel sur le ton féminin,

Qui démontre à quel point l’ingratitude humaine

Est tenace, ô combien, et nous fait de la peine !

Faisons fi du travers, puisqu’il faut faire avec,

Et allons de ce pas lui refermer le bec.

Le ci-devant héros - accusateur sévère -

De ses soldats, toujours, a pris un soin de mère ;

Il a mangé leur singe et fumé leur perlot,

Il a bu leur pinard à même le goulot !

Il les a décorés souvent d'une médaille,

Dès lors qu'assez longtemps ils bravaient la mitraille !

Il a congratulé des morts, des éclopés,

Des voyants que d’un œil, des tout mous, des crispés !

Est-il possible enfin d’être plus exemplaire

Dans l’amour du prochain au moment d’une guerre ?

On ne l’a pas aimé ? Ce n’est rien : on s’en fout !

N’est-ce pas général ?... Il opine du cou.

Ici la vérité, par cet effet de manche,

Consent à se montrer pour prendre sa revanche !

Passons donc à présent au mensonge suivant

Avant que de signer un final émouvant.

Notre honneur de soldat à nouveau est en cause :

On nous dit homme dur, sujet à la névrose,

Capable, pour un rien, un incident banal,

D’ordonner des arrêts, d’ourdir un tribunal !

Mon client a - peut-être - été parfois sévère

Envers le tire-au-flanc, le coco libertaire ;

On a beau rechercher en tout le positif :

Le soldat, à fermer son clapet est rétif !

Il se peut bien alors… ce n’est pas impossible…

Que de quelques grossiers l'on ait fait une cible !

Mais quand d’un tribunal on vous donne la clef,

En vous laissant choisir la façon de meubler,

Comment donc voulez-vous rendre un peu de justice

Sans que « le Règlement » cornaque la bâtisse !

Certes, on a fusillé quelquefois un soldat !...

Mais puis-je rappeler d’où venait le mandat ?

Qui donc a validé cette licence vile :

N’est-ce point, par hasard, l’autorité civile ?

Entre lâche et crétin il faudrait faire un choix,

Et c’est à nous, ici, de porter cette croix ?

Nous n’explorerons pas ce tréfonds de l'intime,

Car on ne juge pas cette sorte de crime !

Nous avons obéi : n’est-ce pas général ?...

Il salue en soldat, d’un geste latéral.

Voilà, j’en ai fini ! je vois couler des larmes,

Et l’on gémit là-bas du côté des gendarmes ;

C'est que j'ai su plaider avec les mots qu'il faut,

Comme avant moi Danton, Saint-Just ou Mirabeau !

Déboutons, mes amis, cette voix de reproche,

Qui, nous traînant ici comme on ferait d’un mioche,

Invite à ce procès le diable et le détail :

Voici la « bien-pensance » et tout son attirail,

Qui veut insinuer qu’amère est la victoire,

Et qu’il faut regarder d’un autre œil notre Histoire !

Fadaises que ceci ! Tout le monde est content

Lorsque nos généraux défilent en sultan,

Et l’on n’aimerait point qu’à se vouloir moderne,

La troupe marche au pas les étendards en berne !

Mais vous verrez qu’un jour, pour flatter les rêveurs,

Partout nous gommerons la trace des sauveurs ;

Nous cacherons leurs noms comme un sein impudique

Et dirons aux enfants de l’école publique :

« Qu’on doit interroger l’élan sacrificiel…

Ou qu’on n’est plus trop sûr du roman officiel

Montrant nos généraux beaux comme des madones…

Qu'on a peut-être fait erreur sur les personnes !... »

Regardez celui-ci ! n'est-il pas doux et fort ?...

Ah !... je crois bien le voir à l'instant qui s'endort.

Imitons son exemple, ô juré raisonnable,

Glissons tous ces relents doucement sous la table,

Et laissons s'endormir l'aigre ressentiment :

La mémoire souvent ne fait pas autrement !

Etats d’âme tardifs, pudeurs de conscience,

Circulez, s’il vous plaît, si possible en silence… ».

A la mémoire de tous les soldats de la Grande Guerre.

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