LA BONNE AFFAIRE

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LA BONNE AFFAIRE

ou

La parade amoureuse de PERLINE ET PIROULET

PERLINE
Te voilà bien songeur, mon Piroulet d’amour !...

Ne veux-tu te lâcher et me faire retour

De ce raisonnement qui te fait un visage

A la fois grave et beau, comme une sainte image ?


PIROULET
Si tu me vois ainsi bien sombre du sourcil,

C’est que notre projet d’hymen met sur le gril

Tant de réflexions, en forme de scrupule,

Que ma tête n’est plus qu’un conciliabule

Où vont se chamailler le contre avec le pour :

L’un me disant : « vas-y ! » et l’autre : « demi-tour !... »


PERLINE
Douterais-tu de moi… de nous… ou de ta flamme ?...

Serais-tu dans l'humeur de tronquer le programme :

De changer le menu pour en serrer le prix…

D’acheter moins de fleurs… de jeter moins de riz ?…

Dis-moi ta volonté, dicte-moi ton désordre :

Que me faut-il gommer ou que me faut-il tordre ?


PIROULET
Oh rien ! n’hésitons point à tuer le veau gras,

Qui, soit dit en passant, va me coûter un bras !

Un mariage heureux ne va pas sans ripaille,

Sans un karaoké, sans bruyante marmaille !

Ce n’est pas sur ce point que nichent mes soucis,

Ni sur nos sentiments qui seraient indécis ;

Pour te dire le vrai d’une façon sincère :

Je ne suis pas certain pour toi d’être une affaire !


PERLINE
Mais de quoi souffres-tu ?... C'est arrivé comment ?...

Cela dure longtemps ou bien juste un moment ?

Le mal est bien caché qui n’a pas d’apparence :

As-tu bien consulté ?… Montre-moi l’ordonnance !


PIROULET
Non ! je voudrais ici simplement t’avertir

Que le paquet cadeau - que je suis - peut mentir,

En ne se laissant voir que du côté façade :

Je crains que le dedans ne te paraisse fade !

J’ai sur la vie à deux une façon de voir

Qui, par certains aspects, pourrait te décevoir,

En assignant au mieux les places et les rôles

Pour un bonheur douillet auprès des casseroles !


PERLINE
Ton goût sera le mien puisque nous nous aimons

Et que demain ton air emplira mes poumons !

Fais-moi donc rêvasser, raconte-moi la suite :

L’après cérémonie et l’après grande cuite !


PIROULET
Voilà !... Comme tu sais, j’aspire à un confort

Qui mobilisera le gros de ton effort

Et viendra conforter ma pente naturelle !

Laisse-moi te tracer, ma douce tourterelle,

La sorte de mari qui se propose à toi :

Son style, ses penchants et son esprit étroit.


PERLINE
Ne me fais point languir ! Je brûle de connaître

Par quel endroit agir si je veux te permettre

D’être le plus heureux dans un nid calme et mou

Dans lequel je serai l’épouse et la nounou !

Que me faut-il savoir pour ne pas te déplaire

Et ne point déborder ton choix protocolaire !


PIROULET
Pour me comprendre bien dans mon intimité,

Il me faut évoquer une fragilité !

Ainsi, sur le sujet des tâches ménagères,

Je ne veux point mentir : elles sont étrangères

A mon calendrier, à mon tempérament,

Qui me guident plutôt vers le recueillement !

Deux ou trois fois déjà j’ai fait l’expérience :

J’ai lavé de mes mains une vaisselle immense,

Sans obtenir jamais, par excès de lenteur,

Le résultat voulu par mon persécuteur !

Je n’ai pas de talent non plus pour la cuisine,

Où pour cuire un seul œuf longuement je piétine

Dans l’espoir d’assembler en un geste abouti

L’aliment sacrifié, la méthode et l’outil !

Quand tout est dispersé, que je quitte la place,

Sans avoir rien rangé de ce que je déplace,

Il faut bien quelquefois tout un jour de labeur

Pour effacer le gras et dissiper l'odeur !


PERLINE
Me voici toute émue après cette anecdote

Qui te montre si brave à faire la popote !

Mais ne t’inquiètes pas, ne te mets point martel :

Pour me détendre un peu je ne sais rien de tel

Que ces menus travaux que connaît chaque femme ;

C’est donc pour mon plaisir que je te les réclame !


PIROULET
Comme tu parles bien, avec les mots qu’il faut

Pour gommer gentiment un soi-disant défaut !

Et puisque par tes soins je parle en confiance :

Je m’en vais prolonger un peu la confidence !

Il m’arrive souvent, en sortant du bureau,

Après une journée à me dépenser trop,

D’aimer me prélasser pour chasser la fatigue

Et prendre bien le temps que mon cerveau s’irrigue

Sans m’entendre ordonner le soir avec effroi

Quelques travaux urgents qui n’attendraient que moi !

Ma fatigue a ceci d’assez spectaculaire

Qu’elle me vient crisper la fibre musculaire

Et n’autorise rien qui puisse déranger

Mon rétablissement, sans me mettre en danger !

Ainsi, jusqu’au repas doucement je m’adonne

Aux jeux de la télé sans que nul ne s’étonne.


PERLINE
Quand on est à ce point un bourreau de travail,

Dès seize heures – au plus tard – il faut être au bercail !

Mon tout premier devoir de compagne attentive

Sera de m’assurer que l'on te désactive

Et ne t'oblige point par des ordres gratuits

A promener le chien ou ramasser des fruits !

Je veillerai, crois-moi, comme le fait la louve,

A ce que la mairie à l'embauche te trouve

La mine détendue et le teint vif et clair,

Et te voit travailler un peu comme l’éclair !

Car c’est dans ce haut lieu, ce temple de l’audace,

Que tu sais te montrer pleinement efficace !


PIROULET
Voilà bien la façon la meilleure qui soit

D’armer mon potentiel en demeurant chez moi,

Et d’adoucir un peu mon fond de caractère

Que maman me disait trouver par trop austère !

« Sale bête ! aimait-elle à dire très souvent,

Ôte-toi de ma vue… allez, ouste… du vent !

Quand donc cesseras-tu de mentir de la sorte

Et de vouloir toujours que ton avis l’emporte !

Si parfois tu savais reconnaître tes torts,

Peut-être t’excuser… montrer quelques remords…

Mais non, la bête est fière et moins franche qu'un âne

Et ne se conçoit pas avec la morgue en panne ! »


PERLINE
Comme on entend l’amour dedans cette façon

De parler de peluche à son petit garçon !...

La brave femme avait le ton un peu sévère,

Mais elle te parlait avec des mots de mère

Qui, pour ne point montrer d’un coup trop de bonté

S’oblige à calotter des façons d'effronté !

L’Amour, le vrai, le grand, nous le ferons ensemble,

Chaque jour un peu plus et si fort que j’en tremble !


PIROULET
Tout doux, ma mie, eh quoi ! quelle intrépidité !...

Je ne déteste pas les jeux d’intimité,

Mais j’ai le souffle court et m’épuise assez vite

Et me trouve en sueur sitôt que je m’agite !

Je dois donc m’en tenir, sans paraître distant,

A un hommage bref… parfois… pas trop fréquent !

Je dispose, au surplus, d’un bagage technique

Qui me rend si peu sûr que parfois je panique

Et me vois ralentir au plus mauvais moment,

Ou me précipiter dès le commencement !

Enfin, j’ai le besoin, après la performance,

De devoir m’assoupir, un peu, de toute urgence !


PERLINE
A bien y regarder je n’entends rien ici

Qui soit original et me ferait souci !

Sur ce dernier sujet, tout comme sur tel autre,

Je ne vois rien en toi qui viendrait à l’encontre

De ce genre abhorré que tu reflètes bien !

Tu es faible, indécis, pénible au quotidien,

Immature et centré sur ta seule personne :

Non vraiment, tout est là pour que femme frissonne !

Je te veux Piroulet : tu montres ce qu’il faut

Pour me pourrir la vie… Allons à l’échafaud !

Nous aurons plein d'enfants, un chien et une dette ;

Les trois en même temps nous seront une fête !

Je t’aime Piroulet, mon bel aventurier,

Mon grand fou débraillé : partons nous marier !


PIROULET
Je t’aime tout pareil Perline inconsciente :

Viens-t-en me dorloter, me faire l’assistante !







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