Épilogue

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« Le bonheur sur terre ça serait de mourir avec plaisir, dans du plaisir… Le reste c'est rien du tout, c'est de la peur qu’on n’ose pas avouer, c'est de l'art. »

L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.

 Après ces évènements, le Grand Veneur du Roy[1], son nom aurait dû apparaître sur la tombe de l'écrivain inconnu, en compagnie des autres. C'est un fait : les accidents de voiture comme les accidents de chasse sont très fréquents dans notre société. Plus fréquents encore au 21ème siècle. Avant, tout était plus simple. Seuls les plus riches et les plus puissants étaient autorisés à participer à la traque. Les autres, les vilains, les gueux, les prolétaires, n'avaient de toute façon pas de quoi se payer une arme digne de ce nom. La vie était plus simple. Les rêves ne tourmentaient pas puisqu'ils n'existaient pas. Le bonheur également. Puis le succès des révolutions nous a progressivement apporté la liberté et l'égalité. Non seulement nous pouvons tous chasser, sans distinction, mais en plus tout le monde a le droit à une seconde chasse.

 Je me suis toujours identifié à Camille (ce nom me poursuivra donc toujours ?) dans le film "On connaît la chanson" d'Alain Resnais. Agnès Jaoui y interprète une jeune femme qui a tout pour être heureuse. Une famille aimante, un diplôme prestigieux, l'amour… Cependant, elle se sent mal, constamment oppressée. Personne ne la prend au sérieux puisque le bonheur semble l'étreindre. Après une dernière crise d'angoisse, Simon (interprété par André Dussolier), un ami qui la convoite, lui annonce alors la nature de sa maladie. La dépression. Il compatit pour elle, il reconnaît sa douleur étrange qui surprend pourtant tout son entourage médusé. À la fin, elle semble retrouver espoir.

 Être prisonnier de son propre bonheur, c'est s'interdire de décevoir les autres. C'est s'interdire de pleurer, de faire la gueule, de tout plaquer, de faire des conneries, de massacrer son voisin. C'est s'interdire de vivre. C'est s'interdire de mourir dans un long suicide qui dure des décennies.

 Souffrance de cœur, angoisse d'être jugé, perdu dans des liqueurs sombres, en mal de reconnaissance, prisonnier de nos origines, quelles que soient nos couleurs, quelles que soient nos douleurs… Quels que soient nos rêves… On a tous besoin que quelqu'un reconnaisse notre souffrance pour connaître un peu d'apaisement dans ce monde et aller de l'avant.

 Parfait anonyme ou romancier célèbre, morts ou vivants, nous avons tous laissé notre vie nous échapper au pied du mur.

 Quelle banalité.

 Moi, j'avais fait tout le contraire.

 Je n'avais pas laissé ma vie m'échapper, pire, je ne lui avais pas permis de démarrer.

 En faisant de l'écriture de mon roman un projet ambitieux et vénal, je n'étais juste qu'un simple con misanthrope.

 La romancière iranienne Chahdortt Djavann dit une vérité absolue sans quoi aucun écrit ne pourrait faire démarrer la vie d'un anonyme anxieux et lâche. Je la partage, maintenant que je suis devenu un homme :

 « L'écriture n'est pas un projet, c'est ma vie. »

 Et l'ancien mauvais professeur que je suis aurait dû le comprendre bien avant… Avant d'apprendre à écrire, il fallait apprendre à lire.

 Après ces évènements, j'ai lu. J'ai lu comme jamais. Chaque jour, chaque seconde. Dans "Un roman français", l’écrivain F. Beigbeder assure qu'écrire c'est lire en soi. J'ajoute que l'inverse est vrai également : lire c'est écrire à son âme. La lecture m'a sauvé. Et comme tous les grands miraculés, j'avais maintenant une histoire à raconter à tout le monde. Raconter mon propre roman français, celui d'un écrivain anonyme.

 Un des thèmes les plus chères d'Hemingway, on le retrouve dans "le vieil homme et la mer". L'homme ne triomphe jamais tout à fait. L'important c'est l'effort pour braver le destin. Si vous lisez ce livre quantique en ce moment même alors mes efforts n'ont pas été inutiles.

 Merci.

 Vous avez sauvé mon orgueil, tué ma solitude.

 Voici des vers hors du cercueil, en guise de gratitude.

Le suicide du ver de terre

Aux écrivains anonymes,

On apprend à bien bercer

Des nourrissons dans nos bras.

Aux écrits vains anonymes,

Chaque mot n'existe qu'inspiré

Par l'amour qui tombera.

Aux écrivains anonymes,

Le temps passe et mon bonheur

Longtemps glace mon caractère.

Osez cris vains anonymes !

La vie est un honneur.

Suicidons nos vers de terre.

- Écrivain Anonyme -

 Je dois conclure. Finalement, c'est Balzac (j'en suis honoré), qui résume le mieux ma vie et celle de tant d'autres "Dieux inconnus". Je n'ai jamais su faire mes adieux. Je vous laisse donc entre de bonnes mains.

L'homme qui veut rester libre souffre horriblement ; heureux quand la calomnie, assise à sa porte, n'attend pas son cercueil pour l'escorter d'injures ! […] Si le ministre a trahi l'homme de lettres, le professeur a trahi également le bon sens : la nature se ressemble à elle-même dans tous ses principes ; la quantité de germes littéraires inutiles est une nécessité de la production morale, comme les millions d'œufs que jette un poisson et dont il n'arrive à bien que quelques êtres est une nécessité de la génération zoologique. Quand le ministre de l'intérieur installera dans quelque sinécure l'un de ses familiers au bureau des Nourrices, nous espérons qu'il ne restera pas en arrière de son collègue et se plaindra de la quantité des Naissances, en blâmant les mères de ne pas toutes donner à la France des hommes de génie, des professeurs d'histoire. […] Ceci, ne vous y trompez point, est dit moins pour l'auteur que pour de nobles intelligences prêtes à périr, pour des gens de cœur, encore jeunes, qui s'enveloppent dans leurs manteaux en y cachant leur désespoir. Les poètes ne se révoltent pas, eux ! Ils meurent en silence. Élevez donc un autel au suicide, au lieu de le calomnier, et gravez dessus : Diis ignotis[2]

Honoré de Balzac, Le livre Mystique Tome 1, le 27 novembre 1835.

[1] Sous l'Ancien Régime, le grand veneur de France est un grand officier de la Maison du roi chargé des Chasses royales.

[2] Dieux inconnus en latin

- FIN du Tome 1-

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