Kadar

28 minutes de lecture

En échange de leur allégeance à Sargonne, les familles royales purent conserver leur place sur le trônes et les peuples leurs coutumes. Ils étaient maintenant des vassaux. Mais cette histoire n'avait que renforcé la haine mutuelle que se voulaient Ugreterre et Exinie. Elle fut même bien plus mortelle que celle qu’ils vouaient à l’occupant, car ils se rejetaient la faute de leur débâcle. En se déclarant la guerre, ils avaient rompus les entraves d'une haine depuis bien trop longtemps contenue et elle était devenue inarrêtable, semblable à une horde sauvage lancée au grand galop. À la faveur de la rancune et de la perfidie, les hostilités reprenaient régulièrement et empêchaient les deux royaumes de recouvrer leur grandeur passée. Or, pour asseoir sur l’Omne la suprématie des Gargandra, Yvanion avait besoin de leurs puissances. Si du côté sud, il pouvait se fier à la loyauté de l'Othryst, qui par son histoire vouait une grande admiration à Sargonne, la vassalité des autres royaumes était trop récente et intéressée. Entre la fière Systagène, le mystérieux royaume d’Entre-deux-Terres, l’instable Maubodrie et les impétueuses tribus coalisées du Grandval, les risques de félonie venant de l’est étaient trop nombreux. Il devait donc pacifier son flanc ouest.

Afin d’empêcher les escarmouches tout en bridant les capacités de ses anciens antagonistes, il amputa un morceau de territoires de chaque côté de leur frontière commune. Ceci ne se fit pas sans résistance, mais ne devant leurs places qu'aux bonnes grâce de leur nouveau souverain, Gildwin et Klausdraken ne firent point preuve de témérité. Un nouveau comté fut créé et baptisé Triac, en l’honneur des deux capitales. Yvanion y plaça un général de confiance à la tête d’une puissante armée et fit former la totalité des hommes qui se trouvaient là à la vie militaire. Approvisionné par les richesses d'Exinie, il fit preuve des plus abondantes largesses pour faire promptement de la Triac une nation guerrière à redouter. Ainsi, aucun des deux belligérants ne pouvait plus tenter d'invasion sans avoir à redouter de lourdes pertes. Sargonne avait tout simplement rétabli, pour les royaumes d’Exinie et d’Ugreterre, la balance des puissances sur trois entités.

Gaïl le Vénérable, Mémoires du Monde d'Omne

***

Au petit matin, la terne atmosphère de la veille fut vite oubliée quant à la stupéfaction de tous, Ménéryl démontra qu’il n’avait plus besoin de sa béquille.

— Décidément, mes connaissances sur le corps humain sont encore loin d’être parfaites, se désola Orphith. 

Chunsène avait applaudi avec le sourire radieux d’une petite fille émerveillée par un tour de magie et Izba avait même arrêté quelques instants d’affûter ses lames. 

— C’est parfait, déclara Orphith, je dois rendre visite à un patient aujourd’hui, vous allez pouvoir m’aider.

— Je vous avoue que j’avais prévu de soutenir Izba. 

— Oui, ça va de soi, mais j’ai appris qu’il y avait eu un peu de remue-ménage hier. Il serait préférable que vous ne soyez pas seul dans le public, surtout si vous encouragez Izba. 

— Je comprends, mais je ne compte pas m’enfermer dans la peur.

Un sourire rusé se dessina sur les lèvres d’Orphith.

— Ne m’aviez vous pas dit que vous vouliez vous rendre utile une fois remis sur pied ? C’est l’occasion parfaite, j’ai beaucoup de matériel à transporter et j’aurais le plus grand mal à le faire seul.

Ce jour-là, Ménéryl apprit qu’il était un homme de parole. C’est ainsi qu’il souhaita bonne chance à Izba et qu’il suivit le soigneur dans les rues qui le menaient chez son patient. Il était très clair qu’Orphith avait cherché à l’écarter du tournoi. Il ne s’était même pas donné la peine d’emporter une grande quantité de matériel pour étayer sa ruse. Le jeune homme n’eut donc pour seule chose à transporter qu’un sac, alors que l’homme de science avançait les mains vides. Il se consola néanmoins très vite. La personne que le soigneur allait visiter était un ancien militaire du Thésan venu finir sa vie en Dacéana. Il était comme un livre ouvert sur le passé et le jeune homme comptait en apprendre davantage sur le continent.

Le vieillard s’appelait Kadar et il était bien mal en point. Il était assis sur une chaise percée qui lui permettait, quand la nécessité s’en faisait sentir, de se soulager. C’était là un objet salutaire et précieux qu’il ne quittait, de son propre aveu, pratiquement jamais. Se déplacer était devenu pour lui un exercice extrêmement pénible. Il ne lui restait plus qu’une longue mèche de cheveux blancs qui lui entourait le sommet de son crâne. Son corps était très maigre, mais des traces de sa vigueur passée étaient encore perceptibles. Il avait des doigts épais et dans ses yeux bleus brillait encore une énergie que son corps ratatiné ne lui permettait plus de dépenser. Son allure de vieillard heureux et espiègle laissait à penser qu’il ne faisait que peu de cas des aptitudes qui n’étaient plus les siennes. 

— Tu me ramènes une nouvelle tête, oiseau de malheur ! Avait-il lancé à Orphith lorsqu’il aperçut Ménéryl, ne crois-tu pas que j’ai la tête suffisamment remplie pour m’imposer de nouveaux noms à apprendre !

— Pourquoi oiseau de malheur ? répondit Orphith avec une bougonnerie feinte

Kadar eut une violente quinte de toux.

— Mais bien sûr ! Chaque fois que je te vois, c’est qu’il m’arrive malheur, affirma-t-il en gratifiant Ménéryl d’un sourire édenté. 

— Mais Kadar, tu nous enterreras tous, tu fais peur à la mort elle-même, rétorqua affectueusement le soigneur.

Pendant l’auscultation, le vieil homme fit descendre le haut de sa robe de velours et laissa apparaître un corps décharné qui n’était plus que rides et cicatrices.

— Un spectacle pas très agréable, hein ? dit Kadar à l’adresse de Ménéryl.

Le jeune homme lui sourit. 

— Il y a des personnes plus agréables à voir je le concède, mais malgré tout bien moins agréable à regarder.

Le vieil homme se mit à rire.

— Je l’aime bien ton ami Orphith.

— Vous étiez un guerrier ? continua Ménéryl alors que le soigneur continuait l’examen.

— Ho que oui le jeune, répondit le vieil homme.

Puis prenant le ton d’une fierté exagéré il ajouta en agitant ses mains :

— J’étais général dans les armées de Sargonne. Et toi petit, tu en es un ? Tu viens ici pour le tournoi ?

— Je souhaite le devenir et non, je ne suis pas ici pour le tournoi, je suis arrivé par hasard.

— Arriver ici par hasard ? Et en plus ami avec l’oiseau de malheur ? Ho ! Ho ! Je ne suis même pas étonné Orphith. En tout cas, ne t’en fais pas, tu es un peu maigre, mais tu es jeune et tu sembles robuste. Le Thésan a besoin de gens comme toi.

— Vous pensez vous aussi qu’un conflit est imminent ?

Kadar hocha la tête.

— Qui t’as dit ça le jeune ?

Ménéryl tourna un bref instant le regard vers Orphith sans répondre. Cette réaction involontaire n’avait pas échappé au vieux guerrier qui s’insurgea :

— Mais non ! maudit oiseau de malheur, il faut pas l’écouter, il ne sait pas raconter. C’est beaucoup plus compliqué que ça et c’est pas un soigneur qui peut y comprendre quelque chose.

Orphith baissa la tête et prit un air résigné que son sourire en coin venait discréditer.

— Haaaaa ! Tu peu sourire le soigneur ! reprit Kadar, je t’accorde que pour confectionner des bouillies infâmes tu fais preuve d’un talent inégalable, mais tu ne devrais pas raconter des histoires.

— Oui, oui, fit le sermonné en levant les mains, je me rend général.

Vieux, malade, usé, les traits marqués par la souffrance, regarder le général c’était apercevoir le visage de la mort. La présence d’Orphith n’était d’ailleurs pas justifiée par la volonté de combattre une fin inévitable, mais plutôt par l’espoir de la rendre plus douce. Il existait pourtant entre ces deux là un lien chaleureux, une amitié intemporelle, comme si le vieil homme eut encore l’éternité devant lui. Ménéryl prenait plaisir à les regarder se chamailler, il ressentait l’envie de faire parti de leur cercle. C’était un sentiment étrange que la satisfaction de ces deux présences qui pourtant, n’apportaient rien de vital à son existence. Quelle différence avec les personnes qu’il avait connu jusque là ! Était-ce cela la normalité des relations humaines ? Kadar, dont le regard était revenu sur lui, le tira de ses songes.

— Bon un peu de serieux ! En réalité, le continent est plutôt stable pour le moment. La paix est maintenue par la puissance de Sargonne qui, depuis les manigances d’un roi connu sous le nom d’Yvanion le fourbe, a pris l’ascendant sur les autres royaumes. Est-ce que cette paix va encore durer ? Ça c’est une autre histoire, car bien plus que les armées sargonnaises, c’est surtout la malice qui entretien les vassalités. On vit la fin d’une époque, pas sûr que cela dure encore longtemps.

— La malice ? C’est à dire ?

Kadar prit un air abattu.

— Le jeune, je dois te prévenir. Je suis vieux, ma vie est derrière moi, je ne suis plus que souvenirs, explications et anecdotes.

Puis soudain, une lueur d’intérêt brilla dans ses yeux et il se mit à sourire.

— Je m’apprête à faire le grand voyage et je suis soucieux de laisser une trace, je peux très rapidement devenir intarissable. 

— Je ne connais rien du Thésan et de son histoire, alors j’espérais bien que vous diriez cela.

— Ho ! Tu es donc un de ces primitifs sortit du fin fond de l’Orbia ? Et bien soite ! Je vois que tu as envie d’écouter et j’aime parler. Prends place petit, s’exclama Kadar en indiquant une chaise.

Ménéryl s’assit, mais Orphith avait commencé à examiner la bouche de son patient et il dut attendre que le vieillard retrouve la faculté de parler. Une fois son précieux organe à nouveau disponible, l’ancien guerrier commença :

— Et bien ! En l’an neuf cent soixante-seize, s’abattit sur le Thésan le fléau nommé Sylla Kahan, le synarchéin de Xamarcas.

— Il ne le connaît pas, intervint l’homme de science en sortant mortier et un pilon de son sac. Kadar siffla puis s’exclama comme impressionné :

— Bon sang ! elle devait vraiment pas être toute proche ton île, petit. 

— Disons cela comme ça, répondit Ménéryl le regard lointain. 

— Bien, bien, bien ! Alors, sache qu’un synarchéin est à Xamarcas une sorte de bras droit du grand Morshaka. Cela fait de lui le second personnage le plus important du royaume souterrain.

— En résumé, c’est une sorte de titre, précisa Ménéryl.

— Et il est perspicace en plus, le taquina Kadar en souriant. J’étais général dans les armées de Sargonne lorsque le synarchéin envahit le Thésan. 

— Mais il n’y avait pas déjà une guerre entre les hommes-dieux ?

— Qui t’as encore raconté ça ? interrogea Kadar les yeux tournés vers Orphith. Haaaaa! il raconte mal, il raconte mal et après il faut tout corriger. La guerre entre les hommes-dieux c’est achevée il y a trois siècles par un traité de paix. En réalité c’était plutôt un pacte de non agression. Seulement les puissances en place étaient tellement équivalentes que ce pacte n’a pas été rompu pendant pratiquement tout ce temps. C’est ce Sylla Kahan qui à tout déséquilibré.

— Il a réussi à ébranler une paix de trois siècles ? Quel genre d’homme était-ce?

— Hoooo ! C’était un sale bonhomme, du genre que la mort ne bouleversait pas, son histoire n’est faite que de massacres et d’abominations. La dynastie des Kahan a depuis toujours engendré des êtres puissants qui furent systématiquement nommés synarchéins. Mais ce Sylla, même le grand Morshaka semblait le redouter. En tout cas, le fait est que lorsqu’il voulut cesser de jouer les bras droits, le seigneur de Xamarcas évita le conflit direct. Sylla voulait son propre royaume, il jeta son dévolu sur le Thésan et Morshaka ne fit rien pour l’en empêcher.

— Et à ce moment-là, cela était plutôt une bonne décision, intervint Orphith qui écoutait d’une oreille tout en préparant ses mixtures. 

— Oui cela n’était effectivement pas farfelu comme choix. Mais bref. Sylla, accompagné de xamarquimes lui ayant prêtés allégeance, débarqua sur le continent et il commença par Vermillac. Cette cité depuis des siècles était considérée comme imprenable, mais le synarchéin nous apprit qu’elle pouvait tomber en moins d’une semaine. Tu imagines le jeune ? La stupeur à Sargonne. Vermillac n'est qu'à douze jours de marche forcée de Cubéria, il n’y a aucune frontière naturelle pour la protéger. La situation était complexe, car le Roi Thibérion deuxième du nom venait de mourir de dysenterie après seulement trois ans de règne. Son fils Caribéris, actuel roi de Sargonne, n’avait alors que douze ans. La régence fut prise par sa mère, la reine Véra est, étant donné les circonstances, on peut dire qu’elle réussit à faire preuve de clairvoyance. Elle avait présagé que Sylla se détournerait de l’Ugreterre qui était sous la protection d’Endéval. Cela faisait de nous la seule ambition possible du synarchéin. Elle fit donc appeler le Commodore et le chargea de concentrer la défense sur le royaume de Sargonne uniquement. Celui-ci réquisitionna la garde noire et fit appeler la Fraternité des sept prodigieux héros du Thésan. Je fus chargé, en tant que Général, d’assurer la défense de la frontière qui donne sur le pays du Haut-Exin. C’était le chemin le plus court pour se rendre de Vermillac à Cubéria, ma responsabilité était grande. Les premiers mois furent animés non par la guerre, mais par la construction et le terrassement. J’avais du temps devant moi alors je fis bâtir des tours, des palissades en bois, je fis creuser également des fossés et poser des chausse-trappes. J’espérais ainsi les limiter dans leurs mouvements afin que mes archers en tuent un maximum avant le corps à corps. Puis vint l’attente, l'ennemi ne venait pas. Dans tous les éloges aux héros ou aux victoires on ne parle jamais de l’attente. Pourtant elle représente la majeure partie d’un conflit, les combats eux sont très rapides. Dans notre cas, cela dura des semaines, au milieu d’une plaine sans ombre, par un été particulièrement chaud. Puis un jour, nous constatâmes que Véra ne s’était point trompée. La plaine se couvrit de soldats. Toute la journée, un flot ininterrompu de guerriers vint grossir les rangs et au crépuscule, ils attaquèrent. 

— Votre stratégie a-t-elle fonctionné ? 

— Tu sais petit, on nous a souvent dit qu’avant la domination de l’homme sur le Thésan, des êtres monstrueux vivaient sur ces terres. Les siècles obscurs qu’ils appelaient ça. Et ensuite toute la monstraille aurait été confinée derrière la chaîne de Rocnoire. Moi je pense qu’une partie a dû également aller du côté de Xamarcas. Il faut dire qu’ils étaient bizarres ces généraux xamarquimes. J’en aperçut un qui n’avait pas de jambes, mais trois paires de bras dont il se servait pour se déplacer. Je pensais avoir mal vu, mais il escalada nos palissades à pleine vitesse et sema le chaos dans nos rangs. Alors non le jeune, cela n’a pas du tout fonctionné. Dans ces conditions, la seule chose que j’ai pu faire ça a été de limiter les pertes. Mais bizarrement, sans que j’apprenne un jour pourquoi, les attaques cessèrent au levé du soleil et les troupes se retirèrent. C’était incompréhensible d’autant plus qu’ils avaient clairement le dessus. Le calme s’installa pendant des mois. Puis un beau jour, sans qu’on l’ait vu venir, Xamarcas et Endéval s’alliaient contre Sylla et attaquaient le Thésan. C’était une guerre qui faisait intervenir des puissances colossales. L’Ugreterre et l’Exinie y furent entraînées bien malgré elles. Quant à nous, à Sargonne, on se tenait bien à l’écart de cette violente tuerie. Nous attendions le résultat, tout était bien trop incertain. 

— Mais comment Sylla a-t-il put tenir tête à une telle alliance ? 

— Nombreux furent ceux qui avaient rejoint les troupes du synarchéin. Après sa campagne victorieuse en Exinie, beaucoup d’habitants du Thésan voyaient en lui la chance d’une nouvelle destinée pour le monde. Avez-vous, jeune homme, déjà remarqué cette bizarrerie ? Lorsqu’un conquérant essaie de s’approprier les terres d’un royaume dominant, les peuples sous son joug se rallient systématiquement à l’envahisseur plutôt qu’à l’occupant. Un peu comme s’il venait leur rendre leur indépendance. Mais bref, je m’égare.

Sylla représenta également un espoir pour toutes ces personnes, à l’esprit belliqueux, qui dépérissent en temps de paix. Les meilleurs guerriers du Monde d’Omne avaient rejoint ses rangs. L’un d’eux fut une douloureuse épine dans le pied d’Endéval et de Xamarcas, il s’appelait Frigg. Il était issu de la terrible espèce des hommes du Nord : les boréens. Des colosses, qui ont terrorisé le Thésan bien avant la guerre des hommes-dieu, mais dont on conte encore les histoires pour effrayer les enfants. La race d’homme la plus haute et la plus lourde du Monde d’Omne, avec des bras aussi gros que toi le jeune et j'exagère pas. À cette lointaine époque, ils furent mis en échec, car trop peu enclins à l’organisation et à la discipline. De plus, les hommes avaient fini par trouver des parades en améliorant leur armement et leur stratégie guerrière. Ils furent aidés par Malvrick et Mudry Volga qui commençaient à faire parler d’eux. Mais bref, je m’égare.

Frigg, même pour un boréen, était particulièrement redoutable. Il était le plus grand et le plus robuste parmi ses congénères. Mais c’était le genre de type à qui ça ne suffisait pas. Il était obsédé par la puissance, il lui en fallait toujours plus. Alors, on dit qu’il aurait fait appel à des alchimistes pour pratiquer sur lui des expériences interdites. Son corps se serait déformé au point de devenir monstrueux. 

— Une brute à la force surnaturelle ? interrogea Ménéryl qui n’avait jamais entendu parler de pareille chose. 

— Il n’aurait pas été un tel guerrier s’il n’avait été que cela. C’était également un expert dans l’art du combat. Il avait parcouru le Monde d’Omne pour se former auprès des plus grands spécialistes en matière de techniques et de stratégie. Dans sa quête d’invulnérabilité, il mettait en pratique son savoir chaque fois que cela lui était possible. Il était de toutes les batailles, même les plus futiles. Tu imagines bien que ce monstre de guerre se mit rapidement au service de Sylla et il en devint également le disciple. Autant te dire que cette alliance leur fit remporter victoire sur victoire.

— Vous les avez affrontés lors de l’attaque de votre palissade ?

— Non, ils n’étaient pas présents. Même si je suis persuadé que Frigg aurait voulu se mesurer aux prodigieux héros de Thésan, j’imagine que Sylla se méfiait de Xamarcas et d’Endéval. Pour lui, le plus grand danger venait de l’Ouest. D’ailleurs, la suite des évènements lui donna raison.

— Les hommes-dieux ont donc été mis en échec ?

— Pas vraiment, à aucun moment Morshaka et Karistoplatès n’étaient intervenus en personne. Même s’ils étaient alliés, ils restaient un grand danger l’un pour l’autre et ils ne voulaient pas prendre le risque d’être trop affaiblis.

— Mais alors, qui a gagné cette guerre ? Si j’ai bien tout compris, Kahan n’est pas maître du Thésan et les hommes-dieux ont tous disparu. 

— En effet le jeune, parce que la tendance finit par s’inverser. Tout commença avec l’intervention d’un nouveau personnage nommé Vénéris. Il était connu pour avoir été un disciple de Sadazar, un mamech expert en occultisme. Sadazar était extrêmement célèbre, car il avait beaucoup aidé à établir la paix dans le Thésan pendant les siècles obscurs. Puis il avait suivi les peuples indésirables qui furent exilés en Anubie, derrière la chaîne de Rocnoire. Malgré la haine que l’homme vouait à ces êtres, il les aida à survivre dans ce monde extrêmement hostile, il partagea ses connaissances, vécues avec eux un siècle durant avant de revenir dans le Thésan. Il est d’ailleurs à ce jour la seule personne à être revenue vivant d’Anubie, depuis que la porte d’Ifrinn s’est refermée. Mais bon, je m’égare encore.

Sadazar avait reconnu en Vénéris son digne successeur et c’est vrai qu’il était un être d’une grande bonté. Le légendaire occultiste lui transmis tout son savoir et en fit le plus grand manipulateur de matra du Monde d’Omne, meilleur encore que les patriarches des îles Élémauses. 

Le vieillard fut soudain pris d’une terrible quinte de toux. Orphith lui apporta un verre d’eau. Il le prit, le porta à sa bouche d’une main tremblante et avala dans un bruit de déglutition sonore. La crise passa.

— Merci, merci, mon bon ami, c’est plus de mon âge de parler autant.

— Prenez votre temps messire Kadar, rien ne presse, lui conseilla Orphith

— Allons, allons, oiseau de malheur, seule la mort pourra me faire taire. 

Puis se retournant vers Ménéryl il reprit en se grattant le sommet du crâne :

— Où en étais-je ? Maudite tête elle me fait défaut. Ha ! Oui c’est ça. Vénéris ! Il s’était toujours tenu à l’écart des luttes de pouvoir. C’était un homme qui préférait utiliser son énergie à apprendre plutôt qu’à combattre. Seulement voilà, il était profondément bon et ne pouvait échapper à sa nature. Devant l’ampleur du drame humain que le synarchéin avait engendré, il se mit au service d’Endéval. Malheureusement ses capacités, même exceptionnelles, étaient bien insuffisantes pour se confronter à Frigg. Karistoplatès le fit donc venir à Endéval et lui remit quatre séphirs. Ce sont des pierres très rares que l’on ne trouve qu’en Anubie et qui interagissent avec la matra. Ce sont là des choses magiques auxquelles je ne comprends rien, mais vous imaginez ? Quatre d’un coup ! C’était un véritable trésor. Alors bien entendu, ce n’était qu’un prêt jusqu’à ce que les choses rentrent dans l’ordre. On dit que Vénéris les posa sur son visage et qu’elles s’y unir, ne faisant plus qu’un avec lui. Je ne sais pas si cela est vrai, mais j’ai vu une statue à Vermillac. Elle le représentait effectivement avec une pierre sur chaque pommette, une sur le front et l’autre sur le menton. Enfin bon… Je m’égare.

Le rapport de force changea rapidement avec un commandeur de cette trempe. Mais c’était loin d’être suffisant, car il n’y eut pas de confrontation directe. D’ailleurs, même avec ses Séphirs, Vénéris ne pensait tout de même pas pouvoir s’attaquer à Sylla en personne. C’était pourtant bien lui dont il devait se débarrasser pour mettre fin à cette guerre. Il mit donc un plan au point, mais probablement parce que les séphirs avaient déjà eu raison de sa personnalité, sa stratégie fut particulièrement cruelle. 

— Des pierres qui changent la personnalité ? s’étonna le jeune homme.

— Disons plutôt le pouvoir qu’elles apportent et l’usage intensif qu’en faisait l’occultiste lors de la lutte titanesque qui avait lieu. En tout cas, Vénéris savait que le synarchéin était un personnage arrogant, fier et que par-dessus tout, il le détestait de manière viscérale. Alors, à la tête d’une armée de trois mille hommes, il vint en vue des remparts de Vermillac et y établit un campement. Tous les jours, cinq cents hommes supplémentaires arrivaient pour grossir les troupes. Se sachant espionné, il prit bien soin de ne pas cacher sa présence. Pour Sylla, tout était clair. Il se préparait quelque chose, il valait mieux agir avant que les troupes ne soient trop nombreuses et il avait là le moyen de mettre définitivement un terme à l’existence de Vénéris. La logique aurait voulu que Frigg se charge de l’attaque, mais Sylla voulait tuer l’occultiste de ses mains, car il faut le dire, il vivait son intrusion sur ses terres comme un véritable affront. Il réunit une armée de sept mille hommes et fit une sortie. Il chevauchait en tête, exaltant la fureur guerrière de ses troupes et fonça le premier dans la mêlée. Ce fut un massacre pour tout ce qui se trouvait sur son passage. Lorsque ses guerriers le rejoignirent, il avait déjà sévèrement estropié l’armée adverse. C’est alors que la terre se souleva, libérant une terrible lumière et vomissant de la boue en fusion. Les soldats des deux armées furent projetés dans une gerbe ou la chair se mêlait au métal fondu. Une puissante explosion venait d’ouvrir un abîme en fusion sous les pied du synarchéin. Vénéris lui n’était déjà plus là. Cinq mille guerriers de son propre camp avaient été sacrifiés pour sa victoire. Le Vénéris d’autrefois aurait préféré mourir plutôt que de mettre en péril la moindre vie, les pierres l’avaient possédé. Ce sentiment fut renforcé par la suite lorsque Karistoplatès dépêcha un message pour récupérer les séphirs. L’occultiste s’était évanoui dans la nature et le coursier était mort.

— Ce fut la fin du synarchéin ?

— Malheureusement le jeune, l’explosion avait tout fait disparaître. Sylla était un ennemi si difficile à tuer qu’il passait pour immortel et le fait de ne pas retrouver son corps en incite encore beaucoup aujourd’hui à penser qu’il est toujours en vie.

— C’est votre avis ?

— J’ai vu ce cratère, je m’y suis rendu avec les armées de Sargonne quand toute cette sale histoire fût terminée. Si tu veux mon avis, personne n’a pu survivre à ça, pas même le grand Kahan. Je ne crois pas un seul instant que l’on entendra un jour à nouveau parler de lui et c’est tant mieux. Laisse-moi te dire que j’ai croisé des personnages particulièrement abjects tout au long de ma chienne de vie, mais aucun n’avait une âme aussi noire que celle du synarchéin. J’ignore combien d’innocents il fit périrent, mais lorsque bien plus tard, avec les armées de Sargonne, nous rentrâmes dans Vermillac, une marée d’ossements était encore remuée par la houle au pied des falaises. Toutes des victimes civiles décimées sur ordre de Sylla. Ils les avaient jetés du haut des murailles surplombant les falaises de Vermillac, à cause de l’odeur. Mais bref, je m’égare encore.

Nos espions nous apprirent que Frigg avait également disparu. Cela aurait pu être l’aube d’une ère de paix, mais Sylla n’étant plus, Xamarquimes et Endéviens n’avaient plus de raison de coopérer. Or, ils étaient tous au même endroit. À peine la mort du synarchéin fût-elle annoncée qu’une haine accumulée depuis des siècles se déchaîna, il n’y avait plus aucune retenue. Morshaka et Karistoplatès furent pris de court, il n’avait plus le choix, ils se précipitèrent vers le continent avec le reste de leurs armées pour faire pencher la balance. Le seigneur d’Endéval voulait affronter son ennemi de toujours en personne et il s’y était préparé. Malvrick lui avait forgé pour l’occasion une armure dénuée de point faible et une lame parfaite nommée Théodérade, la tueuse de dieux. Comme nous nous y attendions, les forces étaient équivalentes. Le royaume de Sargonne se garda une fois de plus d’intervenir, nous attendîmes que les hostilités cessent. Lorsque nous nous rendîmes sur place, il ne restait plus un homme debout. Nous apprîmes que les seigneurs d’Endéval et de Xamarcas s’étaient lancés dans une lutte à mort, les dégâts sur le paysage étaient considérables. Tu ne peux imaginer la puissance de ces êtres, le jeune. La terre était devenue rouge, il y avait de profondes crevasses partout et la végétation était couchée sur des lieues à la ronde, pas une seule brindille ne tenait encore debout. Nous n’avons pas réussi à retrouver les corps des deux hommes-dieux, ils avaient tous les deux disparu. Même leurs armures ainsi que Théodérade s’étaient évanouies dans la nature. 

— Et j’imagine que là encore on les pense toujours vivants.

— Exactement petit, mais c’est ridicule. Il est impossible que les deux s’en soient sortis vivants. C’était un combat à mort, il ne pouvait s’arrêter qu’après le décès d’un des protagonistes. Difficile à dire si l’un d’eux s’en est sorti, mais si cela avait été le cas, il aurait réalisé son dessein en devenant l’homme-dieu le plus puissant du Monde d’Omne. Crois-moi, nous en aurions entendu reparler rapidement et ce ne fut pas le cas. D’ailleurs, les années qui suivirent permirent à Sargonne d’asseoir son hégémonie. Le roi Caribéris avait alors vingt-cinq ans et régnait. Il était austère et avait un grand souci de justice, c’est pourquoi il était très respecté. Malgré tout, sa mère Véra avait encore beaucoup de pouvoir, car elle avait fait des merveilles. Elle avait su préserver ses troupes lors de la Grande Guerre. L’Ugreterre et l’Exinie étaient exsangues, les autres royaumes n’avaient pas la puissance militaire suffisante, alors Sargonne pouvait régner sur le Thésan sans partage. La reine mère renforça l’armée continentale, qui était à la fois une belle image de coopération entre les royaumes et une force d’occupation à la solde de Cubéria. Quant aux hommes-dieux restant, s’ils avaient un grand talent, ils n’étaient pas des guerriers et avaient abandonné toutes idées de domination.

Näaria, afin d’en finir une fois pour toutes avec le peuple de Xamarcas, parti sceller la sortie du royaume souterrain. On dit que pour cela, elle dut détourner une grande quantité de matra et perdit la vie d’épuisement. Les Xamarquimes furent enfermés à tout jamais, devenant ainsi le peuple maudit. Les deux derniers hommes-dieux quant à eux aidèrent l’Ugreterre et l’Exinie à se reconstruire.

Soudainement, l’ancien guerrier s’assombrit, comme si ce qu’il allait ajouter l’avait marqué bien plus profondément que les événements précédents :

— L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais après onze années de paix pendant lesquels les royaumes d’Exinie et d’Ugreterre avaient retrouvé de leur superbe, les choses changèrent. Tout commença lorsque nous apprîmes l’assassinat de Mudry Volga. Il y eut d’abord une grande agitation due au choc de la nouvelle. Puis un calme malsain s’abattit sur le Thésan et par les cinq je le jure, je sentais bien que quelque chose se tramait. Le plus grand stratège du Monde d’Omne, une pièce maîtresse en cas de guerre, venait d’être sauvagement tué. Cela sentait le début des ennuis à plein nez et ils ne tardèrent pas à venir. Nous apprîmes tout d’abord que Trimont était assiégée par une importante armée de soldats à la carrure impressionnante. Cette description équivalait à une certitude, il ne pouvait s’agir que des hommes venus des îles du nord. Cet évènement fut par la suite appelé : l’invasion des peuples du Nord. Pour tout vous dire, nous n’avions pas trop d’inquiétudes à ce moment-là pour plusieurs raisons. Trimont s’était reconstruite et elle était redevenue une place forte extrêmement bien défendue. La réputation de la famille Klausdraken n’était plus à refaire pour ce qui était de mener les combats. Quant aux boréens, nous les avions déjà battus il y avait fort longtemps et nous avions depuis beaucoup progressé techniquement. Malgré tout, le roi Caribéris me chargea de monter une armée pour leur porter assistance et mener une répression sanglante visant à faire passer à ces barbares leurs prétentions expansionnistes. Mais le lendemain, l’atmosphère fut refroidie, car nous apprenions que l’un des trois donjons de Trimont était tombé aux mains ennemies en une seule nuit. Puis il y eut un vif affolement lorsque dans la foulée, nous recevions des nouvelles de Maubodrie nous indiquant qu’une seconde armée venant du nord avait débarqué sur leurs côtes. Elle était passée à côté de leur capitale Arègh, sans même essayer de la prendre et elle filait à vive allure vers les bois du Grandval en direction de la chaîne de montagnes du Nisky. Derrière cette chaîne, c’est le royaume de Sargonne et Cubéria n’en est pas très loin. Mon armée était prête, alors plutôt que m’envoyer vers Trimont, le roi Caribéris me fit prendre la direction du Nisky afin de stopper l’avancée de ces troupes qui représentaient un danger à plus court terme. Je partais donc avec cinq mille hommes en campagne, mais j’étais contre cette stratégie, car je pensais qu’il valait mieux les combattre derrière nos remparts. Les nouvelles arrivaient de tous les côtés. Les informations étaient mauvaises, très mauvaises et ajoutaient à l’affolement ambiant. L’armée qui avait débarqué à l’est était bien une autre troupe de boréens. Quant à l’Ouest, au bout d’une semaine, un second donjon était tombé à Trimont, mais l’armée avait abandonné le siège pour se précipiter vers Cubéria. Des guerriers venus en soutien du Grandval étaient tombés sur les troupes arrivant de Maubodrie et avaient été impitoyablement écrasés. Mais le pire de tout, c’était que les hommes du nord n’étaient plus des sauvages. Ils avaient été disciplinés, élaboraient des tactiques et étaient armés d’acier d’excellente qualité. Nous comprîmes rapidement ce prodige, car ils avaient deux nouveaux rois : Frigg et Vénéris.

L’armée débarquée à l’ouest venait d’une grande île nommée le Gordendorff, elle avait à sa tête le puissant Frigg et il porterait Théodérade.

— Il l’avait récupérée ?

— Il semble bien oui et cela tendait à confirmer la mort de Karistoplatès. En tout cas, ce fut une très mauvaise nouvelle pour nous. À l’est, les troupes venaient de l’île d’Hétar. Elles étaient menées par l’inquiétant Vénéris et continuaient leur sanglante progression vers Cubéria. J’appris tout cela alors que je me trouvais face aux contreforts de la chaîne du Nisky. Nous avions construit à la hâte des fortifications de fortune et misions sur le fait que de la montagne se déverserait un ennemi épuisé par sa traversée au pas de course. Mais ce fut tout le contraire, à notre vu ils furent comme pris de démence. Ils utilisèrent tout d’abord une formation défensive pour se rapprocher, ce qui réduisit grandement le pouvoir meurtrier de nos flèches. Lorsqu’ils furent suffisamment proches, ils nous chargèrent. Crois-moi le jeune, c’est quelque chose de se faire foncer dessus par de tels colosses, on eût dit que la montagne elle-même les accompagnait. Dans leurs yeux, pas de trace de peur ou de pitié, juste une irrépressible envie de nous anéantir tous jusqu’au dernier. J’ai vu ces types découper nos chevaux en deux en tenant leur épée d’une seule main. Je les ai vus faire exploser de leur talon le crâne de nos soldats tombés au sol. Je réussis tout de même à tuer l’un d’entre eux en combat singulier, mais son corps me tomba dessus et me coinça sous sa masse. Je ne pus continuer la bataille, ce qui me sauva sans aucun doute la vie. J’ai un peu honte de l’avouer, mais je n’aperçus même pas Vénéris. Je n’appris sa présence que lorsque, au bord de l’inconscience, j’entendis ses soldats hurler son nom. Il devait faire partie de l’arrière garde qui n’avait toujours pas fini de descendre du Nisky lorsque le dernier de mes hommes fût tué. 

Tu sais le jeune, lorsque je croyais ma dernière heure arrivée c’est à mes gosses que je pensais. Deux garçons, qui étaient partis à la guerre en même temps que moi. J’ai appris par la suite qu’ils étaient morts tous les deux. J’aurais pourtant préféré perdre ma vie pour qu’ils conservent la leur. Les évènements sont tout de même facétieux. C’est une blessure qui ne se refermera qu’à ma mort et je vis incroyablement longtemps. Les yeux humides et perdus dans le vide, il ajouta tristement :

— Mais bref, je m’égare. 

Puis se reprenant, quelque peu honteux de s’être laissé submerger il reprit :

— J’avais dû rester inanimé un bon moment, car en me réveillant je m’étais chié dessus ! Il fallut que je me contorsionne longuement pour me sortir de là, ça pèse vraiment son poids un boréen en armure. C’est donc à pied, couvert de boue, de sang et de merde que je rentrais en un seul morceau à Cubéria. Je marchais trois jours et sur mon chemin, pas d’âme qui vive. Je fus en tout cas surpris à mon arrivée de ne pas trouver la forteresse prise ou assiégée. J’y appris la suite des événements. Notre bataille avait finalement servi, car même si elle fût brève, elle les avait ralentis. Dans la panique, nous avions fait une erreur de jugement, nous pensions que les deux armées venues du nord étaient alliées et cherchaient à se rejoindre pour prendre Cubéria en tenaille. Or c’était bien loin d’être le cas. Les îles du Nord ne sont pas fédérées, elles ont même souvent des intérêts divergents. Frigg et Vénéris quant à eux étaient restés des ennemis de toujours et leur haine l’un pour l’autre était intacte. Ces deux armées étaient en fait en compétition. Le hasard fit bien les choses, car elles arrivèrent le même jour en vue de Cubéria et se firent face à une heure de marche à peine de la capitale. Ils ne coopérèrent pas et le jour s’achevait lorsque l’affrontement commença. Toute la nuit fut troublée par la rumeur du combat. Le bruit des chocs, des corps et des lames parvenait jusqu’aux remparts et l’obscurité fut troublée par des pluies de feu ou de foudre au-dessus du champ de bataille. À la première lueur de l’aube, tout était fini. Nos hommes envoyés sur place ne virent qu’une orgie d’imposants cadavres, mais plus d’armée. Bien entendu, cette fois encore, les corps des meneurs ne furent pas retrouvés, laissant supposer que Frigg et Vénéris pouvaient-être encore en vie. Je serais bien incapable de vous dire ce qui a pu se passer, car j’arrivais à Cubéria deux jours après la bataille. Étant le seul survivant, je fus accueilli avec les honneurs dus à un véritable héros. On me donna même le titre de milite et on me chaussa des éperons d’or. Je crois que j’étais bien le seul à penser ne pas les avoir mérités.

Kadar s’arrêta. Il se gratta la tête puis le menton d’un air songeur.

— Tu vois le jeune comme je suis ? Je m’égare, je m’égare et je ne me rappelle plus où je voulais en venir. Ha ! Oui, c’est ça ! Tu comprends, ça fait beaucoup de gens dangereux qui se sont évanouis dans la nature. Bien que beaucoup veuillent s’extraire de la domination de Sargonne, il est toujours impératif de créer une force continentale capable de les repousser s’ils revenaient. Je ne trouve pas ça plus mal, mais cette cohésion n’est bien qu’une façade engendrée par la malice. Cela ne durera pas.

— Vous les pensez tous morts ? 

— Pour le synarchéin, aucune chance qu’il s’en soit sorti, je ne peux l’affirmer, car c’est le seul cas où j’ai pu voir les choses de mes yeux. On ne se sort pas d’une énergie destructrice qui laisse des trous pareils dans le sol. Pour Karistoplatès et Morshaka, comme je te l’ai dit tout à l’heure, je ne pense pas que des êtres aussi puissants puissent rester bien longtemps dans la clandestinité. J’ai quand même un doute pour Frigg et Vénéris. Que les deux s’en soient sortis, je n’y crois pas, mais peut-être au moins l’un d’entre eux, c’est possible. Un être aussi puissant que Vénéris aurait très bien pu faire se consumer le corps de son adversaire. Un être aussi violent que Frigg aurait très bien pu réduire son ennemi à l’état de simple flaque de chair. Dans tous ces cas, je ne vois rien d’étonnant à ce qu’il n’y ait pas de corps.

Ménéryl était désorienté. Le récit du vieux général lui paraissait incroyable. Que pouvaient bien être de telles puissances ? Il avait passé sa vie à être s’entraîner sans jamais savoir quel combat il était destiné à mener. Mais qu’aurait-il bien pu faire face à de pareilles adversaires ? À quelle fin l’avait-on ainsi préparé ? Jamais il ne pourrait acquérir un tel pouvoir. Orphith profita du silence pour les interrompre. 

— Le grand Kadar est toujours aussi bavard, la journée est déjà bien entamée maintenant. Nul doute que si vos ennemis se montraient trop résistants à votre épée, vous pouviez toujours leur faire perdre la notion du temps avec vos histoires. 

— Veux-tu bien te taire oiseau de malheur, que m’as-tu encore préparé comme remède ? Ils sont chaque fois plus mauvais que les précédents. 

— Mon maître Tanatar disait toujours : "Moins c’est bon au goût, meilleur c’est pour le corps", cela prouve que je tiens vraiment à vous garder en vie. Mais le soleil de la mi-journée est déjà passé il y a un moment et Izba doit avoir achevé son combat, je m’inquiète du résultat. 

— Alors, filez et ne revient pas trop vite le soigneur. Par contre toi le jeune tu peux revenir quand tu veux. 

Ménéryl s’inclina et dit :

— Je n’y manquerai pas, merci à vous général Kadar, vous m’avez beaucoup appris aujourd’hui. 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Cybard ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0