Scène de ménage... et explications ?

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Je me râcle la gorge et soutiens le regard du dragon noir. Contrairement à Aki, qui s'était matérialisée sur mon lit, Shen a décidé de s'incarner au milieu du salon, entre le canapé et la télé. Je retiens une grimace. Ce n'est pas vraiment le meilleur endroit pour un dragon de deux mètres et quelques...

- Tu es absolument contre ? je repète, le plus calmement du monde.

La queue de Shen bat furieusement l'air autour de lui, menaçant à chaque mouvement la télé, tandis que de la fumée s'échappe de ses naseaux. Pour le coup, je commence sérieusement à regretter Aki. Elle, au moins, au pire des cas, elle massacre que le mobilier... Avec Shen, ça risque d'être plus chaud, dans tous les sens du terme. Et comme je n'ai pas envie qu'on ajoute "pyromane" à mes qualificatifs, je lui offre mon plus beau sourire.

- Tu préfères mourir ? je lui demande.

Shen cille, mais son regard se durcit juste après. Merde. Sa queue fait de plus grands mouvements et, comme je le craignais, finit par balayer la télé. Bring ! L'engin est en miette avant même de toucher le sol. Aïe, ça s'annonce mal.

- Je ne veux pas devoir ma vie à une griffonne hystérique ! gronde-t-il, sans prêter attention à la télé cassée.

- Hum, on ne peut pas dire que tu y as été de main morte avec elle, je lui rappelle. Tu as massacré ses compagnons et en plus tu l'as torturé...

- J'ai massacré des ennemis, maugré le dragon. Des stupides emplumés.

- Et elle a massacré certains des tiens qu'elle traite d'imbéciles de lézards, comme ça vous êtes quites ! je déclare, espérant clore le débat.

Sauf que, maintenant, ce sont de petites flammèches qui sortent des naseaux de Shen. Bordel de merde.

- Écoute, je crie, réfléchis un peu ! Si ce n'est pas elle qui te sauve, alors qui ? Tu ne veux pas mourir, n'est-ce pas ?

C'est en effet une des énormes différences entre Aki et lui. La griffonne est bourrin au possible et ne redoute pas la mort. Ce n'est pas le cas de Shen. Comme tous les dragons, il ne fonce jamais tête baissée, pèse toujours le pour et le contre et, quoi qu'il arrive, fera tout pour survivre. Même si mettre sa haine des griffons de côté à l'air de lui poser plus de problèmes que prévu...

- Tu préfères que j'écrive qu'un nain te sauve ? je continue, tablant direct sur la créature la plus abjecte de l'univers (du point de vue d'un dragon).

La grimace de Shen me redonne espoir. J'ai marqué un point.

- Ces infâmes microbes broussailleux ne devraient même pas avoir le droit de respirer le même air que nous ! rugit-il.

Des flammes sortent de sa bouche. Putain de bordel de merde, pourquoi lui ai-je parlé de nain, déjà ?

Comme le tapis est en train de cramer joyeusement, je bondis et me précipite vers la première source d'eau à portée de main : un vase. J'asperge le tapis d'eau et de roses à demi-fanées. Les flammes s'éteignent, ne laissant derrière elles qu'une désagréable odeur de brûlé.

Je lance un regard noir au dragon, qui me le rend au centuple. Un sourire narquois retrousse ses babines.

- Ce serait dommage que cette jolie chaumière parte en cendres, n'est-ce pas ?

Je tressaille. Shen a à peine achever sa phrase, qu'il souffle une longue flamme qui s'en va lécher les rideaux. Ces derniers s'embrasent comme des fétus de paille. Le feu noircit les murs et le plafond, se répand sur le plancher. La température est passé d'un confortable 20 degrès à un infernal 50 en moins de trente secondes. Ok, là je suis VRAIMENT mal barrée ! Nota bene si je m'en sors : à l'avenir, n'écrire des histoires que sur des lapins inoffensifs et de gentilles carottes, ça craint moins.

Dans un premier temps, cédant à la panique, je me précipite vers l'évier de la cuisine. Heureusement, un brin de jugeote m'arrête à mi-chemin. Peu importe combien je viderai de casseroles d'eau sur les flammes de Shen, ce crétin en rallumera d'autres encore et encore tant que je n'aurai pas cédé. Je me retourne et toise le dragon qui me dévisage en souriant. Entre l'appart, l'immeuble tout entier même et mon intrigue, lequel est le plus important ? Bien sûr, la réponse s'impose d'elle-même.

- Je ne céderai pas, dis-je d'une voix ferme. Ni maintenant, ni jamais. Je suis l'écrivain et tu es le personnage. C'est à toi de m'obéir.

Shen hausse un sourcil.

- Je ne crois pas, ronronne-t-il en embrasant le canapé.

Je serre les poings. Je ne peux pas raisonner Shen comme je l'ai fait pour Aki. Va falloir que je négocie comme une dragonne si je veux survive à cette session d'écriture.

Je parvins donc à lui offrir un sourire moqueur et je croise les bras, l'air goguenard. Même les flammes qui s'approchent dangereusement de moi et la chaleur étouffante n'auront pas raison de ma détermination, non mais !

- Eh bien, je t'en pris, brûle tout ! fis-je. Ah, petite info : ton histoire, et par conséquent ta vie, sont sur mon ordi et dans ma tête, vu que je n'ai pas eu le temps de tout écrire... Du coup, si mon ordi flambe ou si je meurs, tu cesses d'exister, toi aussi, hilarant non ?

La queue de Shen se fige, ses griffes crissent sur le plancher, y gravant des marques profondes et les flammes s'affaiblissent un peu. Tiens, intéressant ça. Il peut contrôler son feu à distance, après l'avoir lancé ? Je l'avais pas précisé sur sa fiche perso mais tant mieux, la chance va peut-être enfin tournée en ma faveur !

- Espèce de... commence-t-il.

- La ferme ! j'aboie avec toute l'autorité dont je suis capable.

Cela a l'air de marché, car Shen ne pipe plus un mot. Je profite de l'occasion pour reprendre de mon ton le plus glacial :

- Écoute-moi bien, saloperie de dinosaure fumant, soit tu acceptes qu'Aki te sauve la mise et dans ce cas je te promets une fin d'histoire digne de toi, soit j'écris qu'un nain sauve tes petites fesses écailleuses pour lui servir de monture, compris ?

- De mon... monture ? s'étrangle Shen.

- Exactement ! je ris. Genre comme un cheval... non, encore moins qu'un cheval, car j'écrirai que ce nain s'occupe de charier les déjections des siens et tu serviras donc à tirer le chariot desdites déjections !

La mâchoire de Shen manque se décrocher. Littéralement. Heureusement que le sol n'était pas trop bas pour stopper sa chute.

- Moi... tirer... les... bafouille le dragon.

- Oui, toi tirer le caca des nains, je ricane. Alors, tu préfères quoi ?

- Le caca des...

- Tu préfères quoi ?!? Je hurle.

Shen blêmit tellement que sur le coup j'ai peur qu'il vire blanc. Mais non, il se contente de passer d'un noir de jais à un gris pâle. Ce qui est déjà pas mal en soi.

- Aki, articule-t-il à contrecoeur.

- Alors éteins-moi ce merdier, sur-le-champ !

Le dragon m'obéit sans demander son reste et disparait en même temps que ses flammes. Je soupire, soulagée d'avoir éviter le pire... jusqu'à qu'un cri, vers la porte d'entrée, me contredise. Apparement, ma coloc est rentrée des cours plus tôt que prévu. Et pas besoin d'être devin pour savoir quelle tête elle doit tirer en ce moment...

Dans un lent volteface, j'observe notre appart, de mon matelas lacéré par Aki, à la télé explosée par terre, en passant évidement par le tapis, les rideaux, les murs, le plancher et le canapé carbonisés. Pour finir par croiser le regard écarquillé de ma coloc. Alors, debout au milieu des dégâts, le visage noirci, les cheveux roussis, je lâche :

- Je peux tout expliquer.

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