3.

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Avec une timidité d’enfant, vous approchez la silhouette. Vous voici à la lisière d’une clairière dont l’herbe scintillante est bosselée de monticules guère plus hauts que vos genoux et enclose de falaises. Leur blancheur d’argent est percée de cavités aussi noires que les orbites d’un crâne. Avec ardeur, vous recherchez une trace de vie dans la terre et la pierre, un sentier, une lueur, un mouvement ; mais vous savez votre quête vaine. Toute votre enfance, les récits de Grand-mère vous ont dépeint le lieu et enseigné qu’il demeure caché aux yeux étrangers, que l’essentiel y est invisible.

— Puis-je vous regarder ? demandez-vous avec une déférence appuyée.

Pour toute réponse, le guide vous offre un silence qui s’étire dans la nuit. Il trouve votre question idiote, digne de la bêtise de votre espèce, vous dites-vous, et vous regrettez aussitôt vos mots. Cependant, vous n’osez toujours pas lever les yeux vers lui. Lui, car il s’agit d’un mâle, sans l’ombre d’un doute.

— Elle va vous recevoir, murmure-t-il, rompant l’épais silence qui commençait à vous étouffer. Suivez-moi.

D’un pas vif, léger comme une brise d’été, il avance dans la clairière en direction des falaises d’argent. Son ombre lunaire grandit, se déforme, enfle sur les reliefs du terrain et ondule en formes abstraites inquiétantes. Sous vos pieds, il vous semble que la terre vibre, une pulsation sourde qui remonte vos os jusqu’à vous faire frissonner. Vous vous hâtez à la suite de votre guide, autant pour ne pas le faire attendre que pour échapper à cette étrange sensation. Vous bondissez de mottes en dépressions, lourdement, pataude comme un jeune chien, vous zigzaguez entre les fougères et les ajoncs griffus, vos jambes frôlées par les herbes mouillées et les pompons des graminées. Est-ce au-dessous ? Vous le présumez, mais la question refuse de franchir la barrière de vos lèvres, réticente à retentir dans la nuit muette.

Loin devant vous, au pied de la falaise, la silhouette s’évapore. Vous courez, désormais, inquiète de vous trouver seule ici, sur cette terre qui respire et gronde comme une bête géante, vous courez jusqu’à plaquer vos mains sur la muraille crayeuse, le souffle court.

— Où êtes-vous ? Je ne vous vois plus.

— Par ici, vous répond une voix étouffée sur votre gauche.

Vous longez la paroi dans sa direction, contournez un éboulis de roc et de terre, avancez de quelques pas, appelez de nouveau. Cette fois, la réponse provient de derrière. En vous retournant, vous remarquez que l’éboulis cache une anfractuosité large comme deux hommes, aussi haute qu’une porte, une bouche noire dans le visage pâle de la falaise. Votre peau se hérisse à sa vue.

— Vous êtes dans la grotte ? demandez-vous sans espoir.

— Oui. N’ayez crainte, Iris, l’endroit est sûr.

Devant la fissure, la terre est tassée, parfaitement plane, signe que le passage est fréquenté. Cela vous rassure, un peu. À l’intérieur, l’obscurité est totale. Vous vous retournez plusieurs fois, mue par l’envie de fuir pour retrouver la lune brillante et le plein air, mais cela n’aurait aucun sens, vous le savez. Vous avancez avec précaution, les pieds craintifs et les mains tendues en avant à la recherche d’un mur contre lequel vous appuyer ou d’un obstacle à éviter.

— Le sol est plat et lisse, vous ne risquez rien.

Une main saisit la vôtre. Vous sursautez à ce contact inattendu, à cette douce chaleur aussi réconfortante qu’un baiser et décidez de vous laisser guider. Il vous maintient avec délicatesse, comme il le ferait d'un oisillon tombé du nid, dans sa main immense qui vous enveloppe entièrement.

Après quelques mètres hésitants, votre marche a gagné en assurance et vos yeux se sont accoutumés à l’obscurité ; si bien que vous discernez désormais des taches et des ombres ; à moins que ce ne soit votre imagination. Étrangement, vos pas ne résonnent pas dans la cavité, qui est peut-être bien plus vaste que vous ne le présumiez. Vous n’osez déplier votre main, encagée dans la chaleur protectrice de celle de votre mystérieux guide, bien que l’envie soit grande de glisser vos doigts entre les siens, de faire se rencontrer vos paumes, d’établir ce contact aussi puissant qu’il est simple.

Au détour d’un virage, une tache verdâtre apparaît dans votre champ de vision. Vous clignez des yeux plusieurs fois mais elle refuse de disparaître et s’amplifie même à chaque pas. Au-dessus, une lueur bleutée pointe à son tour, timide mais nette.

— Des champignons ? vous étonnez-vous tout haut, suscitant un éclat de rire sage chez votre compagnon.

— C’est exact. Ils nous sont très utiles dans les galeries. Ils viennent de loin ; d’un autre continent.

— Vous voyagez donc ?

— Certains de nous voyageaient, mais ce n’est plus le cas. Plus depuis longtemps.

Les lueurs se multiplient dans le noir d’encre de la grotte. D’un vert d’absinthe, les larges chapeaux ronds rasent le sol en touffes denses, tandis que les petits bleus, aux corps tubulaires et à la luminescence plus modeste, remontent les parois en grappes éclatées. Ébahie par le spectacle, vous levez le nez pour découvrir, haut au-dessus de vous, un ciel moucheté d’étoiles turquoises et de trainées violines, comme autant de galaxies organiques.

— Les mauves sont des lichens, précise votre compagnon. Un croisement de notre botaniste. Et au printemps, les lucioles se joignent à la fête, c’est… de toute beauté.

La clarté retrouvée, votre main recouvre sa liberté ; à votre plus grand regret. Vous osez un coup d’œil à votre compagnon. Son visage est masqué par l’ombre d’une capuche d’où s’échappent quelques mèches foncées aux reflets bleutés. Sa carrure est aussi impressionnante que sa taille, ses épaules apparaissent larges et solides sous son vêtement, et la peau nue de ses avant-bras, fine et blanche comme le marbre, roule sur ses muscles tendus à chacun de ses gestes. Perçoit-il votre curiosité ? Toujours est-il qu’il se détourne et reprend son chemin.

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