3. Par monts et par maux

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J’avais du mal à croire ce qu’on m’annonçait. Depuis des millénaires, l’une des principales aspirations des hommes était de se rapprocher du divin, que cela soit par la religion, les avancées scientifiques ou même la guerre. Notre existence entière n’était régie que par notre propre échéance, l’Homme ne voulait pas mourir, il souhaitait être éternel, dans cette vie ou dans une autre. Nous cherchions des réponses depuis tant d’années, des prophètes apparurent au fil des siècles, s’auto-proclamant porte parole de Dieu et semant un peu plus la zizanie et la disparité au sein de notre espèce. Tout ce que l’histoire nous avait appris était remis en cause par un homme en tweed appelé Jimmy, comme mon oncle.

— Ecoutez, j’admets que votre blague est très bien ficelée mais ce ne sont pas des petits poissons qui vont me faire croire à tout ça, disai-je en me levant. Je suis à la recherche d’un vrai travail et je n’ai pas le temps pour vos caméras cachées.

Je me dirigeai vers la sortie et me figeai devant ce qui aurait dû être mon échappatoire, elle n'avait désormais plus de poignée. Je serrai les dents pour étouffer ma colère, cette blague avait assez durée.

— Vous avez entendu, Jimmy ? Faites-moi sortir d’ici !

— Voyons Marc, inutile de vous emporter, je vous assure que mon offre est tout à fait sérieuse.

— Alors dans ce cas, prouvez le ! insistai-je, sûr de moi.

— Très bien, vous voulez sortir ? Et bien sortons.

Sans attendre, il claqua des doigts et je me retrouvai propulser. Les paysages défilèrent, j’en reconnu certains comme le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro, le Taj Mahal ou encore le fleuve Amazone. Je passai de pays en pays et demeurai en altitude, mon vertige n’eu pas le temps de me gagner que mon voyage prit fin au point le plus culminant de l’Himalaya : le mont Everest.

Je n’avais pas bougé d’un pouce, Jimmy non plus, toujours campé derrière son bureau. Il affichait un petit sourire de satisfaction en me voyant patauger dans la neige glacée du Népal. Je n’en revenais pas. D’ici, la vue était dingue ! Je me trouvais à la frontière des mondes, où les pics enneigés embrassaient les nuages, le tout sous la plus belle ligne d’horizon qu’il m’ait été donner l’occasion de voir. L’air était si pur qu’à la moindre inspiration, je sentis cette fraicheur nettoyer mes poumons qu’hier encore, j’assassinais à grands coups de clopes industrielles.

— Alors, est-ce suffisant ? m’interrogea-t-il en déployant ses bras.

Je lui assenai un hochement de tête, tant le froid glacial m’empêchai d’articuler correctement. Il me regardait, tout recroquevillé et m’envoya de nouveau valser, me ramenant en un éclair à la chaude salle d’entretien new-yorkaise.

— Bien, maintenant que vous savez que je ne plaisante pas, je pense qu’il est temps de parler de votre poste. Voulez-vous la version originale ou la version moderne ?

— La plus simple possible, lui répondis-je, encore sonné.

— Vous êtes assigné au titre de Séraphin.

— De Séra-quoi ?

— Un Séraphin est une sorte de chasseur de ténèbre, votre job consistera à aider vos semblables pour combattre l’influence de l’Enfer sur Terre.

Sa remarque me parut invraisemblable, je lui fis remarquer d’un « rien que ça ? » comme on répondrait « à la tienne, Etienne ».

— Et donc, vous voulez que je tue des démons ? Avec des balles en argent, des pieux et de l'eau bénite ?

— Absolument pas, s’exclama-t-il en riant, la réalité est bien moins passionnante. Si vous voulez, chaque humain est comme une balance, chaque action, chaque décision fait pencher cette dernière dans un sens ou dans l’autre. Votre rôle est de leur donner un petit coup de pouce pour qu’ils accomplissent de bonnes actions, et ce, afin qu'ils accédent au Paradis. Je vous laisse en déduire ce que font nos voisins d’en-bas.

— Et concrètement, comment ça se passe ? J'agite une baguette magique et hop, les méchants deviennent gentils ? demandai-je sans vraiment comprendre.

— C’est un peu plus complexe que ça, Marc. N’avez vous jamais remarqué comme le destin semble parfois s’acharner ? Quand vous laissez votre colère déborder et qu’un mauvais moment succède à un autre ? Ou encore, lorsque que de petits plaisirs viennent égayer votre journée ? Et bien ce n’est pas lié au hasard, précisa-t-il. Voilà précisément l'équilibre que nous nous efforçons de maintenir : les bonnes personnes sont récompensées par de bonnes choses tandis que les mauvaises sont punies. Pour faire simple, c'est ce que certains appelent le karma, la chance ou une malédiction.

— Si je suis votre logique, un individu bienveillant sera plus heureux qu’une mauvaise personne. Alors comment se fait-il que des escrocs ou des criminels vivent tranquillement les doigts de pieds en éventail quand des gens honnêtes peinent à payer leurs factures ou enchainent les galères ?

— C’est exactement pour ça que nous avons besoin de vous, parce que nous ne pouvons plus être partout. Votre société est maintenant beaucoup trop vaste, nous n’arrivons plus à tout gérer, sans compter les Rampeurs des Enfers qui ne nous aident absolument pas.

— Les rampeurs ? relevai-je.

— Ils sont l'équivalent des Séraphins mais dans l'autre sens, ils pervertissent les Hommes pour assurer leurs places en Enfer. Ils se faufilent partout, allant jusqu'à ramper pour rester dans l'ombre, d'où leur nom. D'ailleurs, beaucoup de grands malfrats se sont laissés entrainer, certains plus facilement que d'autres : Al Capone, Charles Manson, Jesse James, Britney Spears, la liste est longue.

Je comprenai de plus en moins. Aider les gens pour les rendre heureux, j'arrivai à l'intégrer. En revanche digérer le passage "Séraphin de l'espace et balance de l'humanité", c'était autre chose. Je pris une seconde pour faire le point sur ma vie, cette histoire m'avait laissé perplexe. Je repensai à mes actions et entamai un décompte de point absurde pour essayer de me situer. Jimmy me regarda, pensif, et parut lire dans mes pensées.

— Vous vous demandez où vous irez à votre mort, je me trompe ?

— Evidemment, ça fait réfléchir et j’avoue ne pas être sûr. Il suffit de voir le nombre de mauvaises choses qui me sont arrivé ce matin, notai-je d’un air songeur.

— Ecoutez, il va de soit qu’en travaillant chez nous de votre vivant, la question ne se pose plus, votre retraite au Paradis est assurée. Notre comité d’entreprise est vraiment top en plus de ça, ajouta-t-il en ricanant. Il ne me faut qu’une signature pour valider votre embauche, dit-il en me tendant sa tablette.

C’était aussi simple que ça ? Vraiment ? D’un geste du doigt j’allais être délivré de ce poids que traine l’espèce humaine depuis des millénaires ? 

J’imaginai soudainement Moise avec ses tablettes de pierre en haut du mont Sinaï, en train d’implorer Dieu à moitié vêtu. La technologie avait du bon finalement. Il ne m’en fallait pas plus pour prendre une décision.

— Très bien, confirmai-je en signant de mon beauregard.

Je lui tendis mon commandement, soulagé d'un poids.

— J'envoie tout ça à la compta et... c'est parfait, dit-il en rangeant son appareil. Nous allons maintenant passer voir June pour qu'elle vous confie votre matériel. Vous allez voir elle est adorable, m'avoua-t-il en m'invitant à le suivre.

— Au fait, quel type de rémunération proposez-vous ? J'ai quand même une vie avec un loyer à payer, des courses à faire...

— Vous verrez cela avec elle, tout ce que je peux vous dire, c'est que vous ne serez pas déçu, me rassura-t-il.

Jimmy ouvrit la porte et un vacarme en sortit. A l'extérieur, je fus surpris de constater que le néant blanc et infini cachait une véritable organisation qui tournait à plein régime. Des employés oeuvraient derrière des bureaux et conversaient au téléphone. Certains discutaient, une boisson à la main tandis que d'autres classaient des documents. Je retrouvai l'ambiance d'une entreprise classique visiblement en pleine activité.

— Dites-moi Jimmy, comment se fait-il que tout ne soit plus aussi... vide ? lui demandai-je en le suivant, un peu paumé.

— C'est normal, si vous n'aviez pas accepté notre offre, nous n'aurions pas pu vous empêcher de partir et de reprendre votre vie. Avec ce camouflage nous étions sûr de ne rien laisser transparaitre qui aurait pu nous être préjudiciable.

Je continuai de marcher en découvrant mon environnement et m'engouffrai dans un long couloir vide au bout duquel se tenait un imposant monte-charge. En entrant, je ne vis qu'un seul bouton et ne pus m'empêcher de demander :

— Où est censé nous amener cet ascenseur exactement ?

Il appuya sur le bouton, les portes se refermèrent et un - bip - accompagné d'une flèche pointant vers le haut annoncèrent la montée. Jimmy se tourna vers moi et me répondit avec sa belle voix de papa fringuant :

— Nous allons dans le Cloud, c'est là que toutes nos créations sont sauvegardées.

Sa réponse, si naturel, me plongea un peu plus dans un brouillard d'interrogations dont je commençai à être familier.

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