Chapitre 54 : La veille de la bataille

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Irina

26 mai de l’an 5007 après la guerre des sangs.

Nikolaj a tout misé sur cette campagne à la fois pour recouvrer l’entièreté de son royaume et pour se légitimer en tant que roi. Il semble que le grand jour approche, les éclaireurs indiquent que l’armée adverse se dirige vers nous. Nikolaj sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur, après avoir signé la paix il a dû démobiliser une grosse partie des hommes afin de les rendre à leur seigneur, il n’a gardé que les plus expérimentés pour mener sa campagne.

Cela avait selon lui un double avantage :

« Cela nous permet ainsi d’avoir l’armée la plus efficace possible, sachant que le nombre ne nous aurait de toute façon pas servi puisque nous n’aurions pas pu nourrir davantage d’hommes. Je fais ainsi passer pour un présent ce qui est en fait une nécessité, ce qui me mène au second avantage. En effet si je subis une défaite, les petits seigneurs se rallieront derrière moi pour négocier la paix. Devant les ligues, le roi et les quelques grands seigneurs qui me suivront par fidélité, même les comtes et ducs du royaume n’auront d’autre choix que de se rallier à ma décision. »

Comme à son habitude Nikolaj brillait par sa capacité d’analyse. Pourtant il me semblait que même si le nombre favorisait les vampires, la qualité des troupes était néanmoins du côté de Renaud. En fait la bataille eut sans doute pu être disputée si je n’étais pas là ! Hélas pour lui, Nikolaj III dans sa mégalomanie m’invita à toutes ses réunions d’état-major afin de m’expliquer le soir venu chacune de ses décisions, comment est-ce que malgré les difficultés il arrive à maintenir cette coalition debout, comment il s’assure de la loyauté de chaque seigneur ayant du mal à le considérer comme le roi légitime ou encore comment est-ce qu’il compte régner une fois la guerre finie. Je l’apprécie certes énormément mais sa vantardise et son air hautain effacent les quelques scrupules que j’aurais pu avoir à le trahir au profit des hommes. Renaud n’avait jamais affiché un tel air et surtout il se battait, et se bat toujours, pour les siens. Pour Nikolaj le royaume n’est qu’un moyen d’arriver à ses fins, pour Renaud il n’est lui-même qu’un moyen pour libérer les humains.

Je pense que c’est ce qui m’avait fait éprouver des sentiments pour lui, plus que son ingéniosité, c’est son abnégation qui m’a charmé. Il est jusqu’ici le seul être pour qui je n’ai jamais ressenti quelque chose, quand bien même j’eus été attiré au départ par notre désormais roi. Je savais dès le départ au fond de moi que mon amour pour Renaud ne se concrétiserait jamais mais après tout qu’importe. Moi aussi je donnerai tout pour la cause que je défends. Je serai prête à y sacrifier jusqu’à ma vie, jusqu’à mes sentiments. Ainsi cet amour irréalisable devient une fierté et une force. La fierté d’agir avec justice, en accord avec mon moi profond, en accord avec le véritable désir de Valass. La force de tout faire pour que ce sacrifice ne soit pas vain. Cette bataille ne sera qu’une étape… Je doute que les vampires acceptent que des humains vivent ainsi en liberté, ils ne l’avaient jamais accepté à Ishka, ils l’accepteront encore moins à Orania. Lorsque la guerre reprendra, je devrai être prête.

Je me dois de servir l’amour qui unit Valass et Himka car il est sans commune mesure avec celui qui m’unit à Renaud. En fait plus que de service, il s’agit là de dévotion. Je me dois d’être dévouée au plus grand amour qui puisse exister, au-delà de l’amour qui unit des individus, il s’agit là d’un amour qui unit des races !

Godefroy

Nous voilà à une journée de marche de l’armée ennemie… La bataille aura lieu dans la semaine… Les hommes sont nerveux, l’attente est toujours le pire moment du soldat, on craint le pire, on appréhende sans l’adrénaline du combat le carnage qu’on s’apprête à affronter. Une fois dans la bataille la réflexion n’intervient plus mais lorsqu’on voit la chose arriver… une sensation indescriptible de peur et d’impatience se crée. Naturellement chacun feint l’assurance, il le faut bien pour le moral. Si l’on pouvait afficher sans crainte ses angoisses personne n’irait se battre…

Moi-même je suis soumis à cette peur mais les prières et la foi m’aident à la surmonter… Chacun fait comme il peut… Certains jouent, d’autres boivent, d’autres encore s’entraînent… mais je sais que le moment venu je pourrai compter sur chacun d’eux !

A moins d’une surprise nous nous affronterons non loin du village d’Oulkopmar, quoique Renaud veut déjà baptiser cette bataille « la bataille des races », bien que je trouve que « la bataille des cinq rois » sonne mieux.

Le champ de bataille consistera en une immense prairie, probablement verdoyante en cette période de l’année, entourée de quelques bois et collines. Nul doute que comme à son habitude Renaud concoctera un plan qui nous mènera à la victoire et ce d’autant plus qu’Irina est au plus près de l’ennemi…

Il faut bien admettre que l’on doit nos victoires presque autant à Renaud qu’à elle. Sans elle nous aurions pu ne jamais être au courant de la situation globale du royaume, nous n’aurions pas su les forces des armées qui marchaient à notre rencontre et nous n’aurions pas connu la situation politique actuelle nous autorisant à espérer des négociations et ainsi consolider le royaume des hommes avant la prochaine phase de notre conquête de libération !

Et malgré tout elle me débecte, trahir ainsi sa race est le pire crime possible… certes cela nous a maintes fois aidés pourtant j’ai bien davantage de respect pour nos ennemis que pour cette traitresse troquant la vie des siens contre sa bonne conscience. En réalité ma grande peur est qu’une personne telle qu’elle existe chez nous. Même Albert ne nous avait trompé que pour se servir lui-même. L’idée qu’un homme nous trahisse pour aider les vampires m’horrifie rien que d’y penser. C’est pourquoi il faut continuer de transmettre les enseignements du Grand Protecteur, pour que jamais personne n’ait pareille idée, pour que chacun réalise que son destin est lié à celui de sa race et pour qu’ensemble nous vainquions et prospérions !

Irina

2 juin de l’an 5007 après la guerre des sangs.

Nikolaj s'entretenait déjà beaucoup avec le comte de Gamar mais à la veille de la bataille ce fut presque toute la journée qu’il passa seul en sa compagnie avant de venir au grand conseil de guerre regroupant tous les souverains ainsi que leurs généraux. La bataille aurait lieu le lendemain sur cette prairie qui eut pu servir de modèle à bien des tableaux. Ce paysage si paisible en apparence n’allait pas tarder à devenir le théâtre d’un terrible massacre.

Le conseil s’acheva en fin d’après-midi et je me dépêchai d’envoyer en toute discrétion le soir même l’ensemble des détails du plan des vampires à Arnov, de telle sorte que Renaud devrait l’avoir reçu avant le début de la bataille.

Durant cette dernière soirée avant la bataille je dinai en compagnie de Nikolaj qui ne semblait pas du tout inquiet. Sans doute le plan qui avait finalement été convenu lui paraissait infaillible. Je demeure pour ma part certaine que Renaud arrivera à défaire une fois encore l’armée qui lui fera face. Nikolaj paraissait non seulement détendu mais il affichait également un sourire goguenard en me fixant. Sans que je ne dise rien il répondit à mon interrogation :

« Vous savez, en fait je pense que je n’ai aucune raison de m’en faire car d’une certaine façon vous êtes mon porte bonheur. Depuis que je vous ai rencontrée à Urnia puis accompagnée à Valassmar il m’est arrivé bien plus de bien que je ne l’aurai jamais cru. Vanceslas II a été renversé, j’ai pu rejoindre le conseil sous Miroslaw, puis il se mit à perdre la guerre et sa femme mit au monde une fille, ce qui le contraint plus ou moins à m’adopter pour que je puisse finalement devenir roi. Nul doute que votre présence m’accordera une fois de plus la bonne fortune dont j’ai besoin pour la journée de demain. Aussi, je vous en prie, profitez du spectacle, ayez bonne vue et contemplez la défaite de vos ennemis ! »

En effet, il ne sait pas à quel point cette défaite va me ravir, en fait de plus en plus je prenais plaisir à trahir les miens, tous ces vampires imbus de leur personne, persuadés de valoir mieux que les humains du simple fait de leur naissance et de leur immortalité. Rien que cette après-midi la moitié des seigneurs ne voyait toujours pas l’intérêt de mettre au point un plan de bataille pour vaincre de vulgaires « êtres inférieurs ». Nikolaj était l’un des rares à se montrer différent. S’il était volontiers vantard et imbu de sa personne, au moins ne se sentait-il pas intrinsèquement supérieur aux hommes du fait de sa race. Il les respectait en tant qu’adversaire et les combattait davantage pour assurer sa place que par haine à leur égard. En fait plus je le connais plus je le pense incapable de ressentir ni haine ni amour. La seule sensation qu’il apprécie est ce sentiment de supériorité qu’il éprouve en me racontant ses manœuvres pour parvenir à ses fins. Je suis presque déçue de ne pas pouvoir lui raconter les miennes, de lui expliquer comment je me suis servi de lui pour faire triompher les hommes. Il a beau avoir ma sympathie et être selon moi un des rares vampires qui pourrait œuvrer pour la réconciliation, il ne le fera que si cela sert ses desseins… Demain justement cela devrait être le cas et il devrait se résoudre à coopérer avec les humains s’il veut conserver son trône. Comme il me le disait « si un jour vous complotez avec quelqu’un soyez sûr que tout le monde ait intérêt à vous suivre » … Et bien il aura tout intérêt à faire ce que j’attends de lui sans quoi il s’effondrera… Il semble déjà avoir pris des dispositions en ce sens comme il me l’expliquait la semaine dernière.

Vivement la fin de cette bataille et la proclamation du royaume des hommes, première étape pour l’égalité entre les races, sans compter que j’aurai grande joie à contempler les mines déconfites de tous ces grands seigneurs… Et qui sait, Nikolaj m’expliquera peut-être le soir venu qu’au fond il reste le plus grand roi de l’histoire mais que la chance a simplement joué contre lui.

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