Chapitre 47 : La haine des hommes

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Volodia

La défaite nous restait toujours en travers de la gorge. Le moral était au plus bas. Nous n’avions réussi qu’à amasser trois mille hommes depuis la bataille et ils étaient encore plus mauvais que les précédents. La guerre que nous menions partout à la fois commençait à devenir intenable. Même nous, les vampires, voyions peu à peu notre discipline faiblir. Le comte de Similinmar, quant à lui, n’avait plus assez d’autorité pour maintenir tout ce beau monde dans les rangs. Ainsi il y a deux mois le seigneur Igor a perdu un croc en se battant avec le seigneur Dragomir car ce dernier l’avait accusé d’avoir fait preuve de lâcheté durant la bataille de Beauruisseau. Le seigneur Dubravko avait quant à lui perdu la vie lors d’une soirée arrosée qui avait viré à la mêlée générale ; et moi-même j’ai eu un bout d’oreille tranché lorsque le seigneur Cviko me demanda d’un ton moqueur si avec la mort de mon frère j’étais toujours co-baron. Enfin, il perdit pour sa part deux doigts dans l’altercation qui s’en suivit donc j’imagine que nous sommes quittes.

Pourtant, petit à petit, le moral et la discipline qui va avec étaient remontés et pour cause : Nous avons appris il y a un mois que le comte d’Urnia avait été adopté par Miroslaw, puis qu’une alliance avec Ishka avait été proclamée et enfin que le roi lui-même venait prendre le commandement de notre armée accompagné par seize mille hommes d’Ishka et huit-cents chevaliers. Ces nouvelles, dont la venue du roi fut la plus déterminante, nous regonflèrent le moral et bientôt nous fûmes aussi déterminés qu’avant la campagne de cette année en plus d’être animés par un esprit de revanche qui nous était inconnu auparavant. Ce n’était plus une simple guerre pour nous, désormais un haine presque personnelle nous unissait à chacun des hommes que nous allions affronter.

Il n’était pas rare que, pour entretenir cette détestation, nous faisions des séances d’aguerrissement à l’épée avec des hommes pris au hasard et, une fois la distraction achevée, nous dévorions le cadavre au cours de banquets qui ressoudaient les liens entre nous plus surement que n’importe quel entraînement. Le temps des bagarres fratricides était révolu, désormais tous les vampires avaient identifié l’ennemi à savoir l’humain. Le roi en personne allait nous mener à la victoire ! Rien ne nous arrêterait ! Le comte de Similinmar lui-même était sorti de sa torpeur et préparait d’ores et déjà un plan de campagne pour écraser les rebelles.

Les lendemains vont chanter ! Avec un peu de chance je pourrai même passer quelques instants avec le roi pour qu’enfin soit tranchée en ma faveur cette histoire de co-baronnie !

Irina

21 septembre de l’an 5006 après la guerre des sangs.

Que d’évènements en si peu de temps. La vie au palais suivait son cour jusqu’à ce que, deux semaines après le départ de l’armée pour Vanov, la nouvelle nous parvint : Le roi Miroslaw avait été assassiné près de la forêt de Milova selon toute vraisemblance par le comte d’Ottomar, le commandant de la compagnie des semblables. D’après le message, le régicide aurait profité d’une halte au milieu de la forêt pour chevaucher au galop vers lui et, sans que les sanguinaires n’aient le temps de réagir, lui enfonça sa lance au niveau de la clavicule, le laissant mort sur le coup avant de s’enfuir en s’enfonçant dans les bois sans qu’on ne l’ai revu depuis.

Le comte avait apparemment été reconnu à cause de son armure. La compagnie fut immédiatement accusée mais, alors que les soldats accouraient pour en arrêter les membres, cette dernière parvint à fuir non sans avoir livré quelques combats contre ses poursuivants. Une immense agitation gagna instantanément le palais, la reine s’écroula en pleurs et tout le conseil fut abasourdi par la nouvelle.

Des nouvelles arrivaient tous les jours. Le commandement de l’armée avait été repris par Piotr IV et se dirigeait toujours vers Vanov. Les sanguinaires accouraient avec la dépouille de Miroslaw. Les semblables auraient définitivement échappé à l’armée et se dirigeraient vers Urnia pour rallier les humains… Les prêtres étaient dans une rage folle et répétaient à qui voulait l’entendre qu’ils avaient prévenu le roi de ne pas faire confiance à ces hérétiques. La reine quant à elle refusa de croire les messages et refusa que Nikolaj soit couronné avant d’avoir vu le corps. A son grand désarroi dix jours plus tard les sanguinaires arrivèrent avec le cadavre du roi, la gorge à moitié tranchée… Miroslaw avait donc eu le règne le plus court de l’histoire et celui de Nikolaj III allait commencer !

La cérémonie se tint le lendemain de l’arrivée de la dépouille et, bien qu’immensément importante pour l’avenir du royaume, elle prit place dans un cadre des plus sobres étant donné qu’il y avait bien peu de convives disponibles. Nikolaj s’agenouilla dans la cathédrale, jura de « servir le royaume et le culte de Valass sans faillir jusqu’à son dernier souffle » puis reçut la couronne de crocs ainsi que Brise l’âme sous les chants des sanguinolentes. A cet instant tous les vampires présents, y compris la reine, lui jurèrent fidélité. Nikolaj se leva et déclama alors :

« Mon père, Miroslaw « l’ordonnateur » fut un bon roi qui fut lâchement assassiné par cette vile compagnie de mercenaires, sans doute de mèche avec ces rebelles humains ! De ce fait, ma première décision en tant que roi sera de faire la paix avec Isgar et Aartov afin de nous unir contre la menace humaine qui se fait de plus en plus grande au nord ! La véritable guerre ne se joue pas à nos frontières mais bien sur nos propres terres ! Si nous cherchons à tout défendre, nous ne conserverons rien ! Continuons à nous battre entre vampires et les vainqueurs s’avéreront être les hommes ! Unissons-nous ! Pour Orania ! Pour Valass ! »

Les acclamations furent à l’image de l’assemblée : enthousiastes mais peu nombreuses. Il faut dire que si les mots étaient bien choisis l’entrain était assez faible. Le nouveau souverain ne parvint pas à créer un engouement général comme Miroslaw savait le faire. Pour ma part je m’interrogeais, tout en applaudissant. Voulait-il réellement détruire les hommes ? Lui qui m’assurait ne pas éprouver de haine envers eux. Ou bien était-ce pour donner le change ? Ceci dit, il apparaissait qu’un régicide avait été commis par les semblables et que ces derniers allaient rallier les humains… Sans doute que ce discours contenait là toute la vérité… Pourtant si jamais Renaud parvenait à remporter quelques batailles et à menacer le royaume je suis certaine que Nikolaj saurait faire la paix. Il n’est pas du genre à se laisser emporter par ses émotions, il saurait reconnaître sa défaite… Du moins je l’espère.

Le soir, lors du banquet, l’air était pesant. Tout le monde était encore sous le choc de la mort du roi et Nikolaj n’était pas le genre de vampire à soulever les foules par un discours. Il était très efficace dans la persuasion individuelle mais selon toute évidence il lui manquait le charisme des grands orateurs. Alors que chacun mangeait et qu’un silence plein de tensions se faisait sentir, Christina se leva d’un coup et alla voir Nikolaj à sa table. S’en suivit un bref échange de regards, puis sans crier gare la reine mère s’effondra en larme et laissa exprimer toute sa rage :

« Sire, je pense que vous le savez mais je vous déteste et ce depuis que vous avez volé l’héritage de mes fils… Hélas désormais je n’aurai plus de fils, du moins plus de prince ! Si la haine que j’éprouve à votre égard ne peut pas me quitter, celle que j’éprouve pour ces chiens d’humains est encore plus grande. Alors je vous en conjure, vengez mon mari ! Je ne peux guère promettre que j’arriverai à vous apprécier mais je peux vous assurer que ma fidélité vous sera totalement acquise une fois ceci fait ! Si vous ne le faites pas pour moi en tant que mère par adoption, si vous ne le faites pas pour moi en tant qu’ancienne reine d’Orania, faites-le pour moi en tant qu’épouse ! Faites souffrir tous ces monstres qui ont détruit par leur révolte puis par leur assassinat le règne de mon roi tant aimé ! »

Bien que son discours était contre tout ce en quoi je croyais, je ne pus m’empêcher d’être émue. Je ne pouvais imaginer un seul instant qu’il s’agissait là d’un énième jeu de cour. Elle qui détestait Nikolaj était en train de pleurer et de supplier qu’il venge son défunt mari… Nul dans l’assemblée ne resta insensible. Nikolaj se leva alors et répondit :

« Madame je vous le promets. Plus que mille discours, les faits vous prouveront ma bonne foi ! »

Dès le lendemain Nikolaj fit savoir qu’il avait envoyé des offres de paix à Aartov et Isgar sur la base de la rétrocession de tous les territoires conquis par Boleslaw en échange de leur aide pour écraser les humains. Bien que certains prêtres étaient contre, la haine qu’ils ressentaient à l’égard des humains leur fit entendre raison. Après quelques heures de débats plus un vampire n’était opposé à l’avis du nouveau souverain… Sauf moi mais je ne pouvais rien en dire… Si tous les royaumes s’unissent contre Renaud… Je doute que même lui soit en état de résister…

Volodia

Nous avons reçu cette triste nouvelle alors que nous mangions… La mort ou plutôt l’assassinat du roi par des vampires prônant l’égalité avec les hommes… La haine qui nous habitait à l’encontre de ces êtres misérables fut décuplée alors même que nous pensions cela impossible. Le soir même un énorme carnage fut opéré dans les rues. Même les gardes de la ville n’en réchappèrent pas.

Chaque vampire tuait et se laissait aller à ses instincts les plus meurtriers. Certains humains se cachaient, d’autres suppliaient, d’autres se battaient mais à la fin tous mourraient. Pour ma part je passai cette nuit-là en tête à tête avec une famille… Je tuai en premier lieu le mari qui essaya de défendre son épouse, ses trois fils et sa fille… Je fus bien plus lent avec les autres… Au lever du jour j’achevai le dernier enfant dont j’étais en train de dévorer les entrailles…

Je n’ai nulle idée de combien d’humains périrent cette nuit-là mais cela permit d’apaiser quelque peu les esprits des vampires. Seule l’armée fut épargnée par ce carnage car dans notre folie vengeresse, le peu de raison qu’il nous restait nous recommandait de conserver de notre côté ces paysans qui iraient affronter leurs semblables.

En effet la campagne aurait apparemment lieu malgré tout, Piotr IV était en route avec ses désormais douze mille hommes pour venir nous prêter main forte. Cette compagnie des semblables, responsable de la mort de notre roi, avait apparemment déguerpi, nous affaiblissant autant qu’elle allait renforcer l’ennemi. Malgré tout, à l’annonce du régicide nombre de seigneurs de la région qui étaient restés éloignés de la guerre jusque-là accoururent avec les hommes qu’il leurs restaient pour venger leur souverain.

De cinq-cents vampires et trois-mille soldats nous passâmes à respectivement sept-cents et cinq-mille. Dans la ville même, ayant vu que l’armée avait été épargnée durant notre nuit de colère, nombre de volontaires accoururent pour gonfler les rangs de peur que pareil massacre ne se reproduise.

Jamais vampire ne fut plus motivé que nous pour la campagne qui s’annonçait, chacun était devenu dévot. Alors qu’assister aux commémorations en l’honneur de Valass était jusque-là plus un devoir qu’une réelle envie, une ferveur nouvelle jaillit en nous. Chacun jura devant l’autel de ne déposer les armes que lorsque chacun des rebelles sera supplicié de la pire des façons et que le vampire régicide aura été épuré. Puis nous versâmes tous quelques gouttes de notre sang sur la stèle du temple et enfin nous y sacrifiâmes une trentaine d’humains pris au hasard dans la ville. Un tel déferlement de foi et de colère ému jusqu’au prêtre qui promit de participer à la campagne pour venger Miroslaw.

En réalité la plupart des petits seigneurs ne considéraient pas Miroslaw comme un excellent roi, contrairement aux grands seigneurs à qui il avait tout donné pour la guerre mais qu’importe, il était notre souverain légitime. Que des hérétiques doublés de traîtres à leur propre race commettent ainsi un régicide, voilà qui était inadmissible. Nous nous retrouvons donc désormais avec un deuxième roi choisi. Il serait un homme de la cour, assez apprécié par les petits seigneurs du fait qu’il était leur principal défenseur au conseil de souverain. Un certain seigneur Eryk en parle de temps à autre et ne tarit pas d’éloge à son sujet mais étant apparemment un ami de longue date j’imagine que son avis n’est pas des plus neutres.

Qu’importe ! Actuellement seule compte la destruction des humains ! Tant qu’il nous permet d’y parvenir nous le suivrons !

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