Chapitre 43 : Le prince héritier

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Irina

4 juin de l’an 5006 après la guerre des sangs

Après plus d’un mois de trajet et de découverte des campagnes de l’ouest de notre royaume, j’arrivai enfin à Valassmar avec deux jours d’avance sur la date butoir. Nikolaj me reçut le premier et me rendit les appartements que j’occupais auparavant. Il fit cette fois-ci mettre deux gardes car il n’avait confiance en aucun des deux en particulier. Il me dit à ce propos :

« Ici, chaque garde est plus ou moins au service d’un courtisan ou membre du conseil aussi, si jamais vous n’en avez pas qui vous soit dévoué, l’idéal est d’en mettre deux ayant chacun un maître différent qui ne s'apprécient guère l'un l'autre afin qu’ils fassent tout pour empêcher leur collègue de parvenir à ses fins. En mettant ces deux-là devant votre chambre, je suis sûr qu’aucun ne laissera l’autre en profiter et ainsi la seule chose qu’ils feront consciencieusement sera de surveiller vos appartements ! »

J’appris donc que l’un des chevaliers était un ancien garde du corps du nouveau grand-duc d’Ortov et l’autre était un fidèle du duc de Marmar, le trésorier. Visiblement des tensions existaient au sein du conseil et elles étaient d’autant plus fortes que la nouvelle de la défaite lors de la bataille de Beauruisseau contre les humains leur était parvenue. J’appris donc que Renaud avait finalement vaincu l’immense armée que j’avais vue à Vanov. A chaque fois que la nouvelle d’une de ses victoires arrivait à mes oreilles, mon respect à son égard augmentait, alors que je ne pensais pas cela possible.

Nikolaj m’expliquait donc la situation. Selon les informations que le roi avait reçues, la reine Vassilissa d’Isgar s’était enfin mariée et le fait que cela se soit passé si vite après la naissance de la princesse Alexandra laisse présager que, malgré les bonnes relations qu’entretiennent Ishka et Orania, le roi Piotr IV a peut-être passé un arrangement de la même sorte que ce qui était prévu avec nous avec Vassilissa.

« Pour notre maître des ombres, le seigneur Dobroslaw, cela ne fait aucun doute, sans compter que cette fameuse reine était une dévergondée notoire qui n’avait pas la moindre envie de se marier. Elle ne l’aurait jamais fait si cela ne lui rapportait pas quelques avantages… », me confia à ce propos Nikolaj.

Malgré tout, cela n’avait pas que des défauts apparemment. Le maître des ombres pensait pouvoir en profiter pour retourner son frère, Dmitri. Ce dernier pensait en effet avoir le trône le jour où sa sœur sans enfant mourrait. Maintenant qu’elle est enceinte, ses perspectives de voir sa descendance et lui un jour couronnés se sont grandement amenuisées. Il y a donc désormais de nombreuses tractations pour provoquer une révolte chez nos voisins ; soit sous prétexte que seul Isgar n’applique pas la loi salique, soit en donnant du poids à certaines rumeurs comme quoi la reine Vassilissa serait en fait un imposteur, la vraie étant morte à Rutor. Cependant cela ne serait pas immédiat et avant que de telles manœuvres aboutissent, la reine risquait d’avoir un fils qui verrait son sang lié à la princesse d'Ishka. Avec les défaites actuelles et les troubles qui ne cessent de croître dans le pays, l’entrée en guerre du dernier royaume à notre encontre nous serait fatale.

C’est donc la mort dans l’âme que Miroslaw avait décidé d’adopter un fils en s’appuyant sur le précédant créé par Stanislas III « le choisi ». En effet, nul ne pourrait remettre en cause la légitimité de ce fils sans remettre en doute celle de Miroslaw, puisqu’il descend lui-même en droite ligne de ce fils adopté qui devint roi. Nikolaj m’expliqua alors :

« C’est pourquoi je voulais que vous soyez là avant le premier juin. En effet, une fois la décision prise, le roi hésitait entre tous les grands nobles du royaume. Il fallait que le futur souverain soit efficace et selon Miroslaw il était donc nécessaire qu’il s’agisse d’un bon administrateur, donc d’un membre du conseil ; sans compter que cela lui épargnerait le risque de mourir au champ d’honneur et donc de remettre en cause l’alliance avec Ishka à un moment inopportun. La question s’est donc posée entre le duc de Marmar, le grand-duc d’Ortov et moi. Il ne pouvait pas adopter le grand-duc d’Ortov, sans quoi l’œuvre de Nikolaj II « le conquérant » aurait été gâchée, puisque les héritiers du royaume d’Ortov régneraient dès lors sur Orania, alors que c’est bien parce que c’est l’inverse que Nikolaj II est surnommé « le conquérant ». Restaient le duc de Marmar et moi. Mais le duc de Marmar étant plus vieux que Miroslaw, et ce de plusieurs siècles, notre roi craignait que Piotr IV refuse de marier sa fille avec lui sous prétexte qu’il avait de grandes chances de mourir avant de devenir roi et donc que Youlia ne devienne jamais reine… Ainsi en ce premier Juin je vais devenir fils adoptif de Miroslaw et je me marierai sous peu avec la princesse Youlia d’Ishka ! »

J’en étais abasourdie. Le jeune et beau vampire que j’avais rencontré il y a quelques années seulement, qui n’avait alors ni titre ni statut, était devenu en si peu de temps prince héritier, à force de chance et de talent, sans que je ne sache d’ailleurs lequel de ces éléments fut le plus déterminant.

Il me regarda l’air amusé puis me dit en souriant :

« Ne vous réjouissez pas trop vite pour moi ; connaissant notre bon roi, une fois l’alliance déclarée et la guerre gagnée, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il me fera assassiner pour que ce soit bien l’un de ses vrais fils qui prenne le pouvoir… Me voilà donc deuxième seigneur le plus puissant du royaume et paradoxalement le plus en danger de tous… Enfin, ce sera le cas après la guerre, pour le moment Miroslaw a besoin de moi ! »

Je ne savais pas si je devais le féliciter ou me montrer compatissante… Ne sachant comment réagir, j’en profitais pour lui raconter les déboires des petits seigneurs que j’avais rencontrés durant mon périple. Il me regarda et sans que cela n’enlève son sourire, il répondit :

« Croyez-vous que j’ignore cela ? Ma première décision en tant que ministre de la diplomatie fut d’envoyer quelques hommes de confiance se faire passer pour des voyageurs à travers le royaume afin qu’ils m’envoient régulièrement des rapports sur la situation de cette noblesse oubliée… Depuis ils ne font que cela ! Je sais très bien que si la guerre continue ainsi encore un ou deux ans, il y aura sans doute un soulèvement… Hélas, que voulez-vous ? Je ne peux pas lutter contre le roi et ce dernier refuse de trop taxer les grands seigneurs car comme il le dit lui-même : « Mieux vaut une révolte de cent petits seigneurs, qu’une de dix grands », ce en quoi il n’a sans doute pas tort. C’est en réalité là le plus gros danger des guerres ; ce n’est pas tant de gagner ou perdre à l’extérieur mais bien d’être sûr que tant de souffrance et de privations ne nous fassent pas nous écrouler de l’intérieur. Aujourd’hui nous fomentons une révolte du prince Dmitri en Isgar et nul doute qu’ils sont également en train d’échauffer les esprits chez nos petits seigneurs par quelques manœuvres afin de provoquer une rébellion chez nous. En dépit de tout cela le roi refuse éperdument d’entendre parler de paix… Je ne crains pas une défaite… Je crains l’écroulement de la monarchie madame. »

Telle était donc la situation… Au fond, bien que je n’en laissais rien paraître, cela ne pouvait aller mieux pour ma cause… Si les nobles se battaient entre eux, les humains pourraient continuer d’engranger des victoires et, au bout du chemin, les vampires n’auraient sans doute plus qu’à négocier pour leur propre survie… J’en suis presque au point où je me fais davantage de souci pour la survie de ma race que pour la liberté des hommes… Peut-être que bientôt ce sera des miens dont je devrai prendre la défense… Qu’il est dur de créer un monde en paix.

Le premier juin la cérémonie d’adoption eut lieu comme prévu dans la cathédrale de Valass. Nikolaj but le sang de Miroslaw devant l’assemblés afin de se signaler comme son héritier puis le roi jura qu’à partir de maintenant un même sang coulait dans leurs veines et qu’il le traiterait donc « comme son propre fils ».

Durant la cérémonie j’entendis nombre de courtisans et de grands nobles se plaindre : « Miroslaw a choisi un diplomate au lieu d’un guerrier comme futur roi ! », « En plus il ne devrait même pas être comte, il ne l’est que grâce à la victoire des humains à Urnia ! », « Ce n’est qu’un parvenu ! »

J’avais beau savoir que la cour était un lieu de complots, jamais je n’avais vu tant de seigneurs afficher ainsi leur mépris et leur haine d’un autre. Nikolaj faisait sans doute l’unanimité contre lui en ce moment à l’exception de ses quelques amis, tel Andru et quelques autres petits courtisans.

Le soir même une immense réception fut donnée, ainsi qu’un bal durant lequel il fut annoncé que la princesse Youlia et le roi Piotr IV d’Ishka était d’ores et déjà en route pour Valassmar afin d’y célébrer le mariage et l’alliance entre nos deux nations. Durant ce bal où je fis quelques danses une seule chose me frappa : plus encore que le roi ou les nobles, la reine Cathrina semblait être celle qui haïssait le plus Nikolaj en cette heure. Elle avait beau effectuer ses pas de dance avec sa grâce et sa majesté habituelle, à chaque fois que je l’observais elle regardait le désormais prince héritier avec des yeux qui n’exprimaient rien d’autre qu’une haine profonde et sans borne à son égard.

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