Chapitre 31 : La bataille d'Urnia

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Godefroy

Le siège continuait mais nous avions été avertis qu’un contingent ennemi devait arriver afin de sauver la ville. De nombreux préparatifs furent donc effectués et, en ce six mai, surgit de l’horizon ladite armée. Il était environ midi et la bataille aurait donc lieu presque sous les murs, au beau milieu de la route reliant Valassmar à Urnia, le tout en terrain plat, comme c’était prévu. Ma compagnie se précipita face à l’ennemi et se mit en formation au côté de la quatrième et de la cinquième. Nous faisions face avec mille-cinq-cents hommes aux trois-mille cinq cents de l’adversaire ainsi que leurs deux-cents chevaliers. La deuxième compagnie, que je commandais, était au centre comme à son habitude, prête à se couvrir de gloire, tandis que la quatrième était à notre droite et la cinquième à notre gauche.

Le général ennemi ne sembla toutefois pas se poser de questions, en effet nous avions volontairement laissé tous nos drapeaux dans le camp et avions rejoint le champ de bataille de façon désordonné afin de faire croire qu’il s’agissait là d’une attaque surprise. Ne pouvant douter de la victoire, il envoya son infanterie contre la nôtre afin de nous détruire et d’emporter le camp en un seul élan. Notre ligne était très étirée et s’étalait sur trois rangs afin d’éviter tout encerclement. Nous entendions les hurlements de l’armée accourant à notre rencontre tandis que je voyais sur les murs de la ville tant les humains que les vampires assister au spectacle en faisant de grand gestes afin de prévenir leurs sauveteurs de ce qui les attendait, sans succès.

Nous encaissâmes alors la charge de l’infanterie adverse, sans avoir décocher le moindre trait et le corps à corps commença. L’entraînement et l’expérience que nous avions reçus nous permirent non seulement d’encaisser la charge mais également de prendre très rapidement l’ascendant sur nos adversaires. Tandis que la mêlée gagnait en intensité je vis les chevaliers adverses s’avancer au pas sur notre flanc, vraisemblablement afin de nous charger et de nous mettre en déroute.

Toutefois Renaud ne leur laissa pas le temps car au même moment le cor se fit entendre. A cet instant, une horde de fantassins commença à sortir d’une tranchée située sur notre flanc droit à quelques centaines de mètres et se rua vers l’ennemi !

Le général adverse voyant que c’était désormais son armée qui risquait d’être prise en étau ordonna qu’une partie des troupes se redéploye pour faire face à ces nouveaux arrivants. Cependant le manque d’entraînement et la panique qui gagnait peu à peu le cœur des hommes que nous avions en face ne leur permit pas d’opérer un tel mouvement et, après quelques secondes, nos renforts vinrent percuter leur flanc qui se débanda aussitôt. La cavalerie vampire se situant du même côté que la contrattaque tenta de charger mais l’entrainement reçu permit aux assaillants d’encaisser le choc et bien que les pertes étaient vraisemblablement lourdes, la formation ne fut pas rompue. Rapidement les vampires qui s’étaient avancés trop loin dans la marée humaine furent désarçonnés et tués. Après quelques instants la retraite fut sonnée et l’armée d’en face se débanda.

De nombreux humains furent capturés presque immédiatement mais environ un millier parvint à s’enfuir avec les vampires. Bien que nos armures n’étaient pas si lourdes et que nous avions de l’entraînement, il nous fut interdit de tenter de les rattrapper car les chevaliers qui avaient désormais rejoint les restes de l’armée en retraite nous auraient tués si nous avions poursuivi sans formation, ce qui est obligatoire lorsque l’on court le plus vite possible vers un ennemi en fuite.

Renaud apparut alors sous les hourras, la victoire était encore une fois magistrale. Lorsqu’il fut mis au courant qu’une armée ennemie se dirigeait vers nous depuis le sud, il prit cela comme une opportunité pour enfin en finir avec ce siège. Il décida que l’affrontement aurait lieu sous les murs afin que l’ennemi assiste à la déroute de ses renforts. Il attendit donc trois semaines sans rien faire. Puis, une fois ce temps écoulé, il ordonna qu’une immense tranchée soit creusée à quelques centaines de mètres du champ de bataille et perpendiculaire à ce qui devrait être la ligne de front.

Ce temps d’attente était justifié par le fait que les assiégés verraient ces travaux. Il fallait donc qu’ils ne soient pas capables d’envoyer un pigeon à Valassmar ou tout autre village sur le chemin de l’ennemi pour prévenir la troupe qui accouraient à notre rencontre de ce qui l’attendait. Une sentinelle avait donc été discrètement placée sur la route principale, au niveau à partir duquel il serait plus rapide à l’armée ennemie de nous rejoindre, qu’à tout cavalier en provenance de n’importe quel bourg aux alentours de la rattrapper. Ainsi nous étions sûrs que les vampires ne seraient pas mis au courant de nos intentions. Cela avait été le point le plus critique mais nous savions où étaient les villages les plus proches grâce à toutes les reconnaissances que nous avions effectuées et l’éclaireur avait été tout à fait discret de telle sorte que l’ennemi crut que son attaque était une surprise pour nous. Les travaux avaient donc pu être effectués dans le plus grand secret, pour l’armée ennemie du moins.

C’est donc tout naturellement que menée par un général vaniteux l’armée adverse tomba dans le piège que nous lui avions tendu, à savoir lui présenter une maigre ligne de front apparemment prise par surprise, tandis que le gros des troupes était invisible, caché dans la tranchée creusée durant les quelques jours précédents la bataille. Ainsi, la troupe de secours fut balayée pendant que les vampires en haut de leurs murailles contemplaient impuissants l’anéantissement de leur dernier espoir.

La victoire nous avait couté tout juste deux-cents hommes tandis que nous avions fait deux-mille prisonniers et tué cinq-cents humains ainsi que dix vampires ! Les porte-voix furent abondamment utilisés par les prêtres afin de pousser la ville à la reddition. En fin d’après-midi et toute la nuit durant nous entendîmes des bruites d’émeutes dans la cité. Le lendemain matin, alors que nous nous préparions pour l’assaut décisif, nous découvrîmes les portes ouvertes ainsi que des humains affamés nous enjoignant à entrer. Renaud fit alors s’introduire l’ensemble de l’armée par la porte sud, après avoir envoyé quelques éclaireurs afin de s’assurer qu’il ne s’agissait pas là d’un piège. La population n’avait pas la force de nous acclamer ou de nous conspuer tant les gens mourraient de faim. Renaud, ayant anticipé ce fait, avait fait amener à notre suite des chariots de nourriture qu’il fit immédiatement distribuer par les prêtres afin de gagner les cœurs des gens après en avoir gagné leurs murs.

Le peuple entier lui semblait redevable et, en même temps que les prêtres distribuaient les vivres, ils commencèrent à prêcher sans haine afin de convertir ceux qui hier encore étaient nos ennemis. Renaud avait été extrêmement clair sur ce point : toute personne commettant le moindre crime contre nos frères humains serait exécutée.

Une fois le défilé achevé et les vivres distribués, il demanda au délégué des hommes des renseignements sur ce qui s’était passé cette nuit. Le délégué, nommé Frédéric, lui répondit que suite à la défaite de la veille, les humains mourant de faim étaient venus supplier le maître des lieux, le comte Piotr, de se rendre. Ce dernier était d’accord et était sincèrement ému par ces humains qui s’étaient battus plus d’un an dont deux mois la faim au ventre, sans jamais se plaindre ni se révolter. Il allait donc accepter lorsque certains vampires menés par le comte d’Altmar, craignant pour leur vie, s’était révoltés en refusant net toute reddition. Il s‘en suivit une émeute durant laquelle le comte, quelques vampires fidèles et le peuple se battirent contre les autres seigneurs refusant la capitulation.

Finalement les rebelles, ainsi que leur meneur, furent maîtrisés et exécutés mais le comte d’Urnia trouva la mort pendant le combat. Le délégué indiqua alors à Renaud que les derniers vampires, dont la femme du comte, l’attendaient dans l’hôtel de ville.

Renaud, de nombreux gardes, prêtres et officiers, dont moi, s’avancèrent alors vers le bâtiment. Je n’avais jamais vu une ville si vaste et à chaque nouvelle allée que nous empruntions j’étais persuadé d’y voir l’hôtel de ville au bout, tant on avait déjà marché. Les murs qui entouraient la cité m’avaient depuis longtemps donné un aperçu de sa grandeur mais les innombrables dédales que formaient les rues sinueuses entre chaque maison rendaient le trajet encore plus long que je ne l’aurai jamais cru. Il fallut en effet bien vingt minutes pour enfin y parvenir.

Après avoir pris les précautions habituelles, Renaud entra dans l’immense palais avec son escorte. Il y trouva une dizaine de vampires, blessés pour certains, ainsi qu’une centaine de femmes, dont la comtesse Natacha qui siégeait au milieu. Les vampires ne ressemblaient pas à ceux que j’avais connu, bien que toujours fiers, ils étaient exténués, sales et avaient la mine déconfite en plus d’être assez maigres.

Renaud s’avança et s’exprima en ces termes à la femme du défunt comte :

« -Madame la comtesse

- Je ne suis pas comtesse, lui répondit l’intéressée, il se trouve que j’ai mis au monde un fils pendant le siège, il se nomme Alexeï et n’a pas encore un an… »

A ces mots, la comtesse fit un signe de tête et un vampire lui apporta alors dans un linceul un petit être qui avait tout d’un humain sauf la mère.

Renaud reprit alors sans perdre en assurance :

« Très bien madame, toute mes félicitations pour cet heureux évènement. Sachez que j’ai entendu parler de votre mari et il me semble qu’il était bon dirigeant pour les humains d’ici. Par respect pour lui et parce que vous qui êtes ici vous êtes battus pour lui contre d’autres vampires, prêt à sacrifier l’ensemble des humains de cette ville pour gagner quelques jours de sursis, j’accepte de vous laisser la vie. »

Je fus surpris de cette décision et, en même temps que certains prêtres, officiers et soldats, je la remis immédiatement en cause !

« Renaud, tu ne peux pas faire ça, si les vampires nous avaient capturés, ils nous auraient exécutés ! Tu ne peux pas leur laisser la vie ! »

Renaud se tourna vers nous et répondit calmement :

« Je sais mais si tous les vampires avaient été à l’image de ce comte, il n’y aurait pas de raison de se révolter. Les hommes étaient heureux avec lui et il les traitait bien, cette attitude ne mérite-t-elle pas que l’on fasse preuve de clémence envers ses proches ? »

Je n’en croyais pas mes oreilles, j'hurlai alors sans m’en rendre compte :

« Et notre destinée alors, as-tu oublié que nous avons le devoir de nous libérer des vampires ? As-tu oublié que tu avais juré de te soumettre au dessein du grand protecteur quel qu’il soit ? »

L’assemblée était de mon côté et Renaud, tout en restant calme soupira et dit :

« Mon orgueil me commande de vous résister et de les laisser partir mais ma raison m’oblige à admettre que visiblement prendre une pareille décision fracturerait notre cause et nous condamnerait à terme. »

Il se tourna alors vers la comtesse et lui dit d’un air désolé :

« Veuillez m’excuser mais il semble que nos races ne soient même plus en état de faire preuve d’un tantinet de respect l’une envers l’autre. Mon devoir exige que je garde l’humanité soudée et c’est ce que je vais faire… »

Natacha prit un air désespéré, non pas tant pour elle, mais pour son fils. Pour ma part, j’étais plus que satisfait. Renaud était revenu à la raison et je savais que changer d’avis en public pour une affaire comme celle-ci avait dû être infiniment dur, pour lui comme pour quiconque. Cette hésitation, loin de lui faire perdre le respect que j’avais en lui le fit encore augmenter. En plus d’être un immense chef de guerre, Renaud savait écouter et faire son devoir même si son cœur lui intimait l’inverse, jamais il ne dévierait de la cause.

Renaud ordonna donc l’assaut. La masse de soldats que nous étions se rua alors vers les vampires, blessés ou non, femmes ou non. Affamés, fatigués et résignés qu’ils étaient, ils n’offrirent pas une résistance très importante et nous n’eûmes qu’à déplorer une vingtaine de pertes. Après les combats, il ne resta bientôt plus que l’enfant qui pleurait là au milieu des cadavres, encore dans les bras de sa mère désormais décédée. Nul n’avait osé le tuer tant il paraissait humain, à l’exception de deux petites dents pointues. Tout le monde était là, taché de sang, le regardant mais n’osant achever pareil être. Renaud s’avança alors, lui qui n’avait pas pris part aux combats, et exigea que ce soit moi qui m’en charge. Il me dit :

« C’est toi qui m’a convaincu d’ordonner ce massacre, ce sera toi qui tuera cet enfant ! »

Il me regardait, non pas avec un air de défi ou de revanche mais avec un air confiant. Je voyais qu’il ne m’en voulait nullement de l’avoir poussé à changer d’avis mais il voulait que, comme lui, ma raison prenne le pas sur mon cœur, comme je l’avais forcé à le faire. Je pris alors un poignard et, en retenant mes tremblements, je l’enfonçai dans la gorge du petit vampire afin qu’il n’ait pas le temps de souffrir. Instantanément ces pleurs cessèrent et en moi jaillit la honte d’avoir tué un enfant en même temps que la fierté d’avoir accompli mon devoir malgré mes sentiments personnels.

L’immense fête qui s’ensuivit fut un triomphe et dura toute la nuit. La population semblait se désintéresser du sort des vampires. Ils ne les avaient jamais détestés et certains les avaient même surement appréciés, toutefois leur mort semblait naturelle et ils s’y attendaient. De plus la quasi absence d’exaction de notre part, seuls trois soldats furent pendus pour avoir violé une femme, ainsi que la nourriture que nous avions apportée semblaient les avoir acquis à notre cause.

Pour ma part je bus avec Phillipe, le prêtre de ma compagnie avec qui j’avais sympathisé pendant le siège. Il me réconfortait de l’acte que j’avais commis et ses sermons marchaient étonnement bien tandis que ma compagnie, voyant mon état, vint me porter en héros pour la victoire de la veille. Ce soutien inconditionnel de la part de mes hommes couplé à l’alcool me permit de finir la soirée aussi heureux que je me devais de l’être un soir de victoire et je m’endormis même en douce compagnie !

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