Chapitre 12 : La bataille du chemin de Tussola

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Ivan

Nous avions quitté Valassmar depuis à peine trois jours pour une campagne des plus glorieuses, et voilà qu’on nous coupait les vivres…

Lorsque le duc reçu le message comme quoi Vanceslas II avait été tué et qu’il était invité à reconnaître Miroslaw comme roi et dans le même temps d'arrêter sa campagne contre le duc de Cracvonia il rentra dans une terrible colère ! Pour la première fois ses yeux brillèrent de nouveau ! Il semblait aussi énervé d’avoir été ainsi dupé et d’être lâché en pleine campagne sans ravitaillement qu’excité par la perspective de détruire ces « infâmes crevures » pour reprendre ses termes.

Certains généraux qui étaient avec lui dans sa tente essayèrent de le raisonner en tentant de lui faire comprendre qu’au fond c’était plutôt une bonne nouvelle pour le royaume mais le duc de Sartov enragea encore plus :

« Comment osez-vous prétendre servir le royaume sans servir le roi ? On assassine votre souverain, on le remplace par un usurpateur et pour vous ceci fait le bien du pays ? »

Au fond je ne savais pas s’il agissait là par réelle conviction ou s’il commençait à céder à la malédiction de l’ennui. Après tout, s’il se ralliait, il n’aurait au mieux qu’une révolte humaine à mater, si les comtes d’Altmar et d’Urnia ne l’avaient pas fait avant. Par contre en refusant de se rallier, c’était la guerre la plus difficile qu’il n’avait jamais menée qui s’ouvrait à lui !

Toujours est-il qu’il donna ses ordres juste après avoir reçu la missive, nous étions à la tête d’une armée de douze-mille hommes à nourrir avec huit jours de provisions. Il refusa de pousser plus au sud afin de chercher la confrontation avec le duc de Cracvonia. Il le connaissait et il savait qu’il reculerait dans ses terres en le laissant mourir de faim. Un siège était inenvisageable pour les mêmes raisons, sans ravitaillement il se serait révélé impossible à tenir suffisamment longtemps. Il fut donc vite décidé de se replier sur son propre duché à l’ouest d’ici. Ce dernier était à au moins un mois de marche, sans doute plus.

Un rationnement de la nourriture fut immédiatement instauré, l’armée changea de cap dès le lendemain et avança à marche forcée. Le duc tint malgré tout à répondre au grand-duc d’Ortov et il écrivit sous mes yeux un très éloquent « Merde ! » qu’il envoya en guise de réponse.

Nous voilà donc aujourd’hui en pleine retraite avec à peine deux jours de vivres, tentant désespérément de rallier les nobles à qui appartiennent les territoires sur lesquels nous passons pour qu’ils nourrissent notre armée et pillant ceux qui refusent.

Toutefois la vue d’un tel ost couplée à la réputation du duc semblent être des arguments de poids puisque la plupart des seigneurs, même s’il ne se rallient pas, nous donnent « de bonne grâce » une partie de leurs provisions afin d’éviter la destruction de leur domaine. Ainsi nous avons pu tenir dix jours jusqu’ici sans famine mais il reste encore du chemin à parcourir et nos réserves s’amenuisent.

Christina

La cour de notre reine Vassilissa était encore plus animée que d’accoutumée. Le roi d’Aartov Boris II venait d’arriver à Sussmar et de grandes festivités furent organisées en son honneur. Les deux souverains ne s’étaient plus revus depuis leur défaite commune contre Orania et cette rencontre avait un but évident : prendre leur revanche.

En tant que favorite de Vassilissa je suis bien au fait de la situation. Visiblement Orania était embourbée dans plusieurs conflits. Entre une révolte humaine au nord et la guerre civile qui allait découler du meurtre de Vanceslas II, la situation semblait parfaite. Pourtant la reine avait encore des réticences. Le duc Sartov ainsi que sa terrible armée étaient toujours présents et elle ne voulait en aucun cas qu’une invasion précipitée ne réconcilie les deux camps d’Orania.

De plus les pertes vampiriques avaient été terribles lors de la guerre contre Boleslaw et le souvenir des révoltes humaines qui secouèrent le royaume à cause de la décimation de notre noblesse était toujours vivace. Lors du conseil qui fut tenu entre Boris II et Vassilissa une alliance fut forgée mais tandis que tous les généraux, ainsi que l’ensemble de la nouvelle génération de nobles, criaient vengeance ; il fut seulement convenu de commencer à lever des armées en attendant la suite des évènements avant de prendre une décision.

Godefroy

Cela faisait trois jours que nous reculions devant l’armée du comte d’Altmar. Selon les renseignements que nous avions reçus d’Irina, ce dernier ne comptait pas passer par Urnia pour y faire sa jonction avec l’armée de l’autre comte mais foncer le plus vite possible sur Altmar. Deux routes s’offraient à lui : la route principale, passant entre Urnia et la forêt de Tussola et la route des bois, longeant directement ladite forêt.

Afin de s’assurer que le comte prenne le chemin qu’il souhaitait, Renaud avait fortement garni la forteresse de Suna, qui barrait la route principale et ce de façon manifeste afin de « convaincre notre ennemi de choisir le bon passage » comme il disait. Ce fort avait été pris cet hiver. Renaud savait après avoir reçu les informations de la capitale qu’elle serait cruciale pour son plan. Il avait donc bluffé en y envoyant deux mille hommes. Les vampires avaient pris peur et étaient partis sans demander leur reste en prenant néanmoins soin de liquider tous les humains qui étaient avec eux, sans savoir que nous n’avions aucun moyen de mener un siège à bien, à cause du manque de constructeurs dans nos rangs, de notre ignorance de la poliorcétique et de l’éloignement de notre base de ravitaillement.

Toujours est-il que ce plan avait fonctionné puisque l’armée de notre ennemi était désormais à nos trousses sur la route de la forêt. Il n’avait pas voulu perdre du temps dans un siège, ni d’hommes dans un assaut ; ainsi en ayant laissé seulement une centaine d’hommes dans la forteresse, nous avions fait dévier l’ennemi de sa trajectoire. Nous reculions donc devant elle depuis trois jours avec deux mille hommes tout en longeant les bois afin de rejoindre des positions plus favorables pour la défense.

Ce matin nous avons enfin pris place sur une petite butte. Nos troupes s’étaient entrainées depuis presqu’un an et avaient des armes de meilleure qualité que celles des hommes nous faisant face. Toutefois l’armée qui s’opposait à nous était légèrement plus nombreuse et surtout elle était accompagnée de nombreux vampires tous lourdement cuirassés comme à leur habitude.

Le champ de bataille était bordé à notre droite par la forêt, qui rendait toute manœuvre quasiment impossible du fait de son épaisseur et à notre gauche par un terrain découvert assez rocailleux. Nous nous déployâmes donc, Laurent tenait notre gauche, Louis notre droite et je dirigeais pour ma part le centre. Renaud était juste derrière avec deux-cents de nos meilleurs hommes qui constituaient la réserve.

Notre ennemi prit place en début de matinée sur une longueur à peu près équivalente à la nôtre. Il s’agissait là de notre première véritable bataille rangée et la pression qui en résultait était palpable. Toutefois notre foi en Renaud et notre détermination nous donnaient un courage qui faisait selon toute évidence défaut au camp d’en face ou du moins aux humains.

Après avoir vu l’armée ennemie se déployer, nous aperçûmes la majorité des chevaliers prendre place devant leurs propres rangs tandis que les quelques vampires restants demeurèrent derrière la ligne de bataille humaine.

Renaud s’avança alors et pris la parole :

« Soldats ! Voici notre première vraie bataille ! Nous nous sommes entrainés, nous avons lutté pour en arriver là ! Que chacun se batte pour lui, pour sa famille et pour sa race ! Si chacun fait son devoir, nous vaincrons ! »

Toute l’armée se mit alors à hurler en cœur :

« Renaud ! Renaud ! Renaud ! »

En face la même chose était faite mais connaissant les vampires, le discours devait plutôt ressembler à :

« Le premier qui fuit, je l’éventre moi-même, votre récompense sera de ne pas finir comme eux à la fin de la journée, c’est-à-dire cloués aux arbres de cette forêt ! »

Après ces quelques encouragements de part et d’autre le cor des vampires sonna. Leur cavalerie, suivie des hommes puis des commandants se mit alors en marche vers nous.

Notre troisième ligne s’était vue munie d’arcs et d’arbalètes. Nous pouvions ainsi tirer à leur approche, sans devoir sacrifier ni de la profondeur ni de la longueur. Cepedant, une fois la mêlée engagée, il n’y aurait plus de tirs. J’ordonnai qu’on bande les arcs et pointe les arbalètes mais sans tirer.

L’ennemi était à une centaine de mètre toujours au pas. J’ordonnai que seuls les archers décochent et rechargent au plus vite. Les flèches volèrent vers l’ennemi mais les rares traits qui atteignirent leur cible ricochèrent sur les armures des chevaliers et de leur monture.

L’ennemi était désormais à cinquante mètres. J’ordonnai qu’on bande les arcs sans tirer et que les arbalétriers restent aux aguets. La ligne de cavaliers qui nous faisait face était visiblement composée de quelque deux-cents chevaliers vampirestous plus terrifiants les uns que les autres.

Alors que l’ennemi n’était plus qu’à vingt mètres, le cor vampire vrombit de nouveau. Soudain la cavalerie accéléra, se mit au galop sans perdre sa formation et chargea notre centre.

Je vis la peur dans les yeux de mes hommes mais ils étaient préparés. Lorsque l’ennemi ne fut plus qu’à dix mètres, j’ordonnai que l’on tire ! Une salve fut immédiatement décochée mais si aucune flèche d’arc ne perfora les armures des cavaliers quelques carreaux percèrent néanmoins leur cuirasse sans toutefois faire chuter aucun vampire.

J’ordonnai alors de pointer les hallebardes et lances vers l’ennemi et de se mettre en formation pour encaisser ! La pente sur laquelle nous étions ralentit légèrement la charge mais lorsque le contact survint nos trois premiers rangs furent instantanément balayés.

J’hurlai de garder la formation mais des cris de douleur et de peur se faisaient entendre, tandis que les lourds cavaliers tailladaient tout ce qui passait. La réserve fut immédiatement envoyée afin d’éviter une percée au centre. L’élan de la charge passé, nos soldats essayèrent de désarçonner les vampires avec leur hallebarde. Quelques-uns y parvinrent et dès qu’un chevalier était à terre, le plus d’hommes possible se jetait sur lui en essayant de le tuer avant qu’il ne se relève. Malgré quelques belles réussites, les vampires avaient indubitablement l’avantage, même notre réserve ne les contenait plus. Les ailes semblaient quant à elles bien mieux tenir le coup face aux humains qui avaient fini par arriver au corps à corps, je fonçais donc avec deux des hommes qui m’accompagnaient pour aider mon secteur. Je criais, injuriais et frappais tout ce qui ressemblait à un vampire. Je ne réalisais plus ce qu’il se passait, toute réflexion m’avait abandonné ; je ne faisais qu’hurler et cogner au milieu de ce terrible carnage.

Lors d’un échange, je frappai avec ma hache la jambe d’un cavalier, sans perforer son armure, ce dernier répondit en m’assénant un violent coup d’épée que je parai de justesse avec mon arme dont le bois du manche se brisa sous la violence de l’impact, je plongeai alors au sol pour ramasser une épée d’un soldat mort et recommençai à me battre. Les cadavres s’accumulaient autour de moi mais seuls les vampires semblaient se battre dans le camp opposé, en effet les humains qui les suivaient se contentaient de tout faire pour ne pas prendre de mauvais coups et servaient avant tout à éviter que leurs maîtres ne finissent encerclés.

Autour de moi il n’y avait la dépouille que des trois ou quatre vampires pour des dizaines d’humains. Soudain notre cor sonna ! Et dans l’instant qui suivi, sans que je ne puisse rien voir d’où j’étais, j’entendis le cri emblématique des hommes de la « communauté de la grande destinée » ! Selon le plan de Renaud, ils devaient surgir au moment critique depuis la forêt, afin de prendre l’ennemi de flanc. Leur aisance dans ces bois touffus rendait une telle charge possible et efficace. Les chevaliers que nous combattions arrêtèrent un instant pour voir depuis leur monture ce qu’il se passait. J’en profitai pour frapper un défaut de l’armure de mon opposant direct. Ce dernier poussa un cri de douleur puis m’asséna un coup que je parai mais qui me fit tomber à la renverse.

Ma chute n’empêcha pas pour autant l’inéluctable : le flanc gauche de l’ennemi surpris et enfoncé déposa les armes. Il avait été donné pour ordre à Louis de tuer le moins d’humains possible, et ce de façon manifeste, afin de les pousser à se rendre et non à fuir. Bientôt cet élan de reddition contamina le centre. Les vampires autrefois soutenus par un groupe d’humains certes assez passifs, mais néanmoins alliés, étaient désormais encerclés et les chevaliers de l’arrière se voyaient de plus en plus désarçonnés par derrière et achevés au sol par les quelques soldats de notre camp qui avaient réussi à passer dans leur dos malgré le manque d’espace. La vingtaine de vampires qui était demeurée en retrait chargea à son tour mais, nos hommes s’étant mêlés aux leurs, ils frappèrent indistinctement tout ce qui était humain, tout en vociférant des menaces en ordonnant à leurs propres gardes de continuer le combat. Bien rares furent ceux qui leur obéirent et ils reçurent même quelques coups de glaive en guise de réponse.

Conscient de la situation et du changement de camp d’un nombre toujours croissant de soldats, un des chevaliers ordonna le repli. Tout serrés qu’ils étaient dans la mêlée, les vampires eurent bien du mal à se retourner et une dizaine d’entre eux furent ainsi tués dans la manœuvre. Malgré tout, une fois leur mouvement exécuté, ils tailladèrent tout humain se trouvant entre eux et la fuite, finissant de retourner les derniers indécis de leur camp. La plupart des hommes préféra néanmoins s’écarter à leur passage, ne voulant pas risquer leur vie inutilement. La majorité des chevaliers parvint donc à rejoindre l’arrière, puis à se replier.

Une fois les vampires hors de vue, un immense cri de joie jaillit de l’ensemble de nos soldats et l’incompréhension qu’affichait nos ennemis du matin se transformait en rires insouciants chez nos amis du soir !

Le plan avait totalement fonctionné et, hormis au centre, les pertes furent assez légères. Nous avions cent-cinquante morts à déplorer, et autant de blessés, mais le plus important était que nous avions rallié toute l’armée adverse. Les pertes vampiriques étaient quant à elles de vingt et une, ce qui était somme toute assez faible. Néanmoins nous venions en une journée de gagner plus de deux mille hommes.

Renaud fut une fois de plus acclamé, à juste titre, et il semblait après la bataille un peu plus convaincu de sa destinée qu’il ne l’était auparavant.

Son plan avait été une immense réussite : fuir quelques jours pour convaincre l’ennemi que nous le craignions, se déployer sur une position en hauteur., encaisser la charge des chevaliers, ce qui fut le plus dur, se battre de façon purement défensive contre les humains afin d’éviter de créer toute inimité pour enfin surprendre l’ennemi sur son flanc par une attaque soudaine et coordonnée depuis la forêt afin de rallier les hommes et tuer les quelques officiers imbéciles pensant trouver leur salut chez les vampires.

Jacques s'était particulièrement illustré aujourd'hui en ayant parfaitement mené son attaque et tué lui-même le seul officier qui avait tenté de maintenir les hommes avec les vampires. Un autre grand héros, posthume hélas, fut un petit jeune qui devait avoir à peine la vingtaine, qui se nommait Guillaume et qui avait réussi à désarçonner à lui seul trois vampires.

La première série de médailles fut décernée le soir même au cours d‘une cérémonie des plus solennelles. Une trentaine des nôtres fut décorée dont moi pour avoir « réussi à tenir le centre, malgré la violence et la sauvagerie de la charge ennemie et ce en participant en personne aux plus violents des corps à corps ». Ma médaille était en bois, taillée par la « communauté de la grande destinée » mais elle revêtait néanmoins une immense valeur à mes yeux. Elle représentait un sapin en l’honneur de cette bataille qu’on a nommé « la bataille du chemin de Tussola ».

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