Chapitre 10 : Le Grand Protecteur

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Godefroy

Cela faisait presque trois mois que nous avions pris Altmar et la situation était excellente. Après avoir formé de nouveaux soldats, nous avions attaqué les nombreuses baronnies et autres villages des alentours. Les vampires avaient la plupart du temps fui sous la pression du nombre et notre territoire s’était considérablement agrandi. En plus de ces succès, nous avons été rejoints par un groupe d’individus se nommant « la communauté de la grande destinée ». Ils formaient un conglomérat de gens qui avaient réussi à fuir leur village et qui vivaient comme ils pouvaient dans la forêt de Tussola en se cachant des vampires. Ils avaient été guidés dans leur survie par un vieil homme se nommant Pierre et qui avait eu une révélation. Selon lui Valass n’était qu’un faux dieu. Le véritable Dieu se nommait le « Grand Protecteur ». Il s’agissait d’une sorte d’être céleste qui avait besoin de l’humanité pour mener une guerre d’ordre divin. Les vampires avaient donc été créés afin de forger l’humanité telle une arme et lorsque nous nous serions enfin débarrassés de nos bourreaux, notre race pourrait accomplir sa destinée en aidant le grand Protecteur à réaliser ses desseins.

Renaud était révéré par ces gens qui le considéraient comme le « grand forgeron » car il était l’élu qui devrait renforcer puis mener l’humanité jusqu’à la chute des vampires. Renaud ne savait pas trop quoi en penser mais rapidement les humains qui avaient été libérés grâce à lui et qui n’avaient jamais eu d’espoir jusqu’à aujourd’hui se mirent à y croire. En même temps cela expliquerait nombre de choses ; pourquoi est-ce que les vampires nous avaient toujours interdit de vénérer d’autres dieux que Valass ? parce qu’ils avaient peur qu’on découvre la vérité à savoir que notre divine mission était de les détruire ! Pourquoi nos pères ont tant souffert ? Car comme lorsque l’on forge une arme, il faut battre le fer, le déformer, le maltraiter pour qu’à la fin il devienne solide et tranchant ! Comment un simple humain aurait pu à lui seul réduire à néant un ordre établi depuis toujours ? Car ce n’est pas un simple humain mais bien le grand forgeron, celui qui va achever notre calvaire et faire de nous une race forte et puissante !

Les temples de Valass furent bientôt remplacés par des temples en l’honneur du grand Protecteur et un culte fut spontanément mis en place autour de Renaud ! Je ne suis pas sûr qu’il ait réalisé sa place dans la destinée de l’humanité mais il fait au moins semblant, il a compris que la foi que l’on porte envers notre nouveau dieu serait le ciment qui souderait l’humanité ! Petit à petit les incrédules devenaient curieux, les curieux devenaient croyants et bientôt Renaud ferait de même. Pour ma part je n’oublierai jamais mon intronisation dans « la communauté de la grande destinée », comment Pierre récita ses prières, comment je prêtai serment de « servir l’humanité et le grand Protecteur, quel que soient ses desseins, tant pour ma race que pour moi-même » et comment, après tout cela, je m’agenouillai devant l’icône en forme de bouclier, sur lequel était dessiné un œil regardant vers le bas, représentant ainsi le grand protecteur veillant sur nous tandis que Pierre posait ses mains sur ma tête.

Avec ce nouvel espoir et la dizaine de milliers d’âmes que l’on comptait désormais dans notre population, Renaud réforma l’armée. Il ordonna que notre force de trois-cents hommes soit décuplée pour le printemps prochain, il avait reçu des informations venant de la capitale et on devait se préparer.

Les armes et armures de mauvaise qualité, les seules que l’on nous avait autorisé à forger jusqu’ici, furent petit à petit remplacées par de meilleures au fur et à mesure que les forgerons s’amélioraient. De grands stocks de nourriture furent amassés et tous les hommes étaient tantôt au champ, tantôt à l’entrainement. Les femmes quant à elles apprirent les rudiments de la guérison et élevèrent les enfants à la lumière de la foi nouvelle.

La plus grosse difficulté concerne actuellement la cavalerie, en effet aucun homme n’avait été autorisé à monter, aussi ce fut une découverte que de chevaucher un destrier. En conséquence il fut décidé que pour la campagne prochaine les cavaliers ne serviraient qu’en éclaireur.

Jour après jour je vois notre armée se renforcer, la discipline s’améliorer, notre foi progresser et l’humanité prospérer. La seule ombre au tableau fut qu’Arthur n’avait pas survécu à ses blessures… Et ce n’était pas même de la faute de la torture, les blessures de Louis avaient en effet fini par cicatriser et, bien qu’horriblement défiguré, ces jours n’étaient plus en danger. Ce qui l’avait tué était l’infection provoquée par le carreau d’arbalète qu’il avait reçu ! Lorsque l’on apprit la nouvelle à Renaud il entra dans une colère noire et une profonde tristesse pendant toute une semaine… Mais comme on pouvait s’y attendre du grand forgeron la perte de son meilleur ami ne fit que renforcer sa détermination et il arborait désormais un visage plein de gravité à chaque instant.

En tout cas avec Renaud pour nous guider, Louis, plus déterminé que jamais, Laurent, Charles, Jacques, le chef militaire de la communauté de la grande destinée, et moi comme capitaines, le succès est certain !

Ivan

En ce vingt mars cinq-mille trois de l’âge du sang, je pars enfin en campagne avec le duc de Sartov ! Le comte d’Altmar nous avait précédé d’une semaine, tout impatient qu’il était de récupérer son fief. Hier, comme le rituel l’exige, tous les vampires partant à la guerre furent bénis dans la cathédrale de Valass. Comme le voulait le dieu vampire, un humain devait être sacrifié en l’honneur de chaque chevalier avant une campagne et l’archiprêtre Mirov, le maître du culte lui-même était présent et s’en chargea. Ce ne fut donc pas moins de cinq-cents humains qui se virent exécutés, le cœur arraché, tandis qu’ils vivaient encore, puis jeté dans les flammes brûlant sous l’immense statue de Valass le tout accompagné par les chants des sanguinolentes, ces prêtresses vampires qui ne doivent se nourrir que de chair humaine l’entièreté de leur vie.

Une fois la cérémonie terminée, nous rejoignîmes le cercle de la guerre où l’armée nous attendait. Il s’agissait de la quasi-totalité des forces du duc, la seule armée humaine du royaume entrainée et disciplinée. Elle était composée de douze mille hommes qui avaient pour particularité d’être formés de père en fils, et ce dès le plus jeune âge, à l’art de la guerre. Ils n’avaient pas pour seul privilège de se voir épargnés lors des rafles ou autres massacres, ils étaient véritablement bien traités et bien considérés par leur seigneur.

Des honneurs leur étaient rendus en fonction de leurs prouesses martiales sous forme de médailles, d’argent et même d’esclaves humains. Qui plus est cette troupe d’élite disposait d’un millier de cavaliers, chose unique dans le royaume. Certes ils demeuraient en dessous de tout vampire mais étaient très nettement au-dessus de tout humain. Le duc de Sartov avait mis cinq-cents ans à forger cette armée, d’innombrables générations d’hommes s’étaient succédées et c’est en grande partie grâce à cette troupe que Boleslaw avait remporté ses plus grandes victoires. Bien que de nombreux vampires eurent protesté devant le traitement de faveur qui était réservé à ces humains, les succès spectaculaires et l’absence de révolte firent cesser ces plaintes. Certains vampires essayèrent même de copier le duc mais aucun n’eut autant de succès.

Cette immense armée disciplinée, lourdement cuirassée et très motivée fut un spectacle incroyable. Elle n’avait rien à voir avec les levées classiques qui marchent sans formation, sont équipées d’armures pour le mieux vétustes et dotées d’un moral pour le moins douteux. Et alors que mon admiration de voir cette légendaire et invaincue armée en marche, et ce depuis l’intérieur, se faisait plus grande à chaque pas, j’entendis les tambours commencer à résonner, bientôt suivis des cors de guerre et, après quelques instants, toute l’armée se mit à chanter d’une voie grave ces fameux couplets qui font trembler la terre et les cœurs de ceux qui les entendent :

« Nous marchons avec le duc !

Vers l’ennemi, la gloire et la victoire

Tremblez, tremblez, vous qui nous entendez

Plus jamais vous ne reverrez le soir

Car nous sommes tous de bien bons guerriers

Qui marchons avec le duc !

Parmi nous nul n’est faible nul n’est lâche

Notre honneur se nomme fidélité

Que ce soit à coups d’épée ou de hache

Nous triompherons de l’adversité

Puisque nous marchons avec le duc !

Nous ne connaîtrons jamais la défaite

Car madame la guerre est notre mère

Et cette nuit nous ferons tous la fête

Tandis que vos corps nourriront les vers

Et votre sang le duc ! »

Ainsi marchait cette fière armée, brandissant avec orgueil l’étendard des ducs de Sartov, représentant un glaive ensanglanté transperçant le Soleil !

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