Chapitre 25

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D’un simple geste, Rose commanda son troisième mocaccino de l’après-midi. Les coudes fermement ancrés à la table et les yeux rivés à ceux de Jo, elle ne perdait pas une miette de l’histoire, aussi alambiquée soit-elle.

– Ok… je crois que j’ai tout saisi, conclut Rose en se redressant. Primo, reprit-elle en entamant un décompte sur ses doigts, on a une romancière à succès, décédée depuis une éternité, qui vient tout juste d’écrire un nouveau roman. Secundo, on a une maison d’édition qui a cru bon de la publier et tertio, ça ne pose aucun problème au notaire. Mais c’est quand même…

Un brin distraite, Jo acquiesça en vérifiant une nouvelle fois son portable. Pas l’ombre d’une réponse à l’annonce de son retard. L’argument « je prends un café avec une amie » avait fait mouche. Et imaginer sa mère en train de jubiler lui arracha un rictus. Parce qu’elle en était certaine, à la lecture du sms, Nora avait dû exécuter une danse de la victoire.

– Allô la terre, ici la lune ! s’interrompit Rose en secouant une main vigoureuse devant la mine réjouie de son amie. Je peux savoir ce qui te fait sourire comme ça ?

– Rien, laisse tomber. J’étais ailleurs. Tu disais ?

– Que même tous les éléments mis bout-à-bout, ça pesait pas lourd.

– Je sais, soupira-t-elle.

Jo coula un regard à Pouille-pouille qui n’avait pas bougé d’un millimètre depuis leur arrivée. Elle passa un doigt sur son unique oreille et récolta un miaulement courroucé. Sa majesté dormait, qui était-elle pour oser perturber son sommeil ? Elle avisa son crâne écharpé, s’attarda sur sa queue cassée, revint un instant sur Rose et conclut qu’entre créatures malmenées, il arrivait parfois qu’on se comprenne sans parler. Mais là, Rose ne comprenait pas tout. Et pour cause, puisqu’elle lui cachait volontairement une partie de l’histoire. Un nouveau sourire, plus contrit cette fois-ci, lui échappa.

– Tu te fous de moi en fait, c’est ça ? plaisanta la punk un sourcil en l’air.

– J’oserai pas, reprit-elle sans se départir de son air moqueur.

La vérité, c’est qu’elle était persuadée que tous les éléments se tenaient. La publication des mémoires de Sonia était tombée comme un cheveu sur la soupe, mais ne lui avait pas fait oublier le reste.

– Docteur Plaitinger, ça te dit quelque chose ? reprit-elle en saisissant le livre resté sur la table.

Plaitinger ? Non. Pourquoi, ça devrait ?

– Non. Simple intuition, se justifia-t-elle.

– Hum… grogna la punk, peu convaincue.

Finalement, peut-être Rose n’était-elle pas dupe. Jo coula un regard aux autres tables, plus pour éviter la mine inquisitrice de son amie que par réel intérêt pour la foule environnante. Déjà, ses méninges s’activaient Vite, une excuse plausible à lui balancer pour éviter de devoir tout lui déballer ! L’infidélité de Marc, son intrusion inutile, ou presque, dans le portable de son beau-père, la découverte de ses rendez-vous hebdomadaires avec un médecin en retraite depuis belle lurette. Mais alors que Rose semblait prête à passer à l’attaque, une sonnerie retentit. Une échappatoire en or ! Sans se poser de question, Jo décrocha.

– Oui ?

– Salut ma grande ! Dis-moi, à quelle heure tu comptes rentrer ? Ta mère commence à s’inquiéter…

Elle éloigna le téléphone, vérifia l’identité de son interlocuteur avant de recoller le combiné à son oreille en considérant sa montre.

– Marc ? Pourquoi, il est quelle heure ?

– Bientôt vingt heures. Tu rentres ou tu manges à l’extérieur avec ton a… Ah ! Attends, j’ai un double appel, s’interrompit-il.

Une série de bips, puis de crachotements suivis de marmonnements obligèrent la jeune femme à s’éloigner une nouvelle fois du téléphone.

– C’est bon, excuse-moi ! C’était Ethan, reprit-il au bout de quelques secondes.

– Tu réponds pas ? s’enquit-elle en rangeant ses affaires.

– Non, pas besoin. Neuf fois sur dix, quand je réponds il me demande de raccrocher ! plaisanta-t-il. Alors, on te voit au diner ?

– Ouais, j’vais pas tarder. Je suis là dans une petite demi-heure.

Pensive, elle fourra l’appareil dans son sac avant de faire glisser Pouille-pouille sur le pouf le plus proche. Nouveau miaulement guttural, accompagné cette fois-ci d’un impressionnant bâillement.

– Je vais rentrer, annonça-t-elle sur un ton monocorde.

– Tout va bien ? T’as pas l’air dans ton assiette.

Comme souvent, Jo se contenta d’un simple hochement de tête.

– C’est lui… murmura-t-elle en se levant.

– C’est… lui ? répéta Rose. De qui tu parles ?

– De Marc. C’est lui qui a le portable de Sonia. Il est pas au fond d’un tiroir, c’est lui qui l’utilise. L’autre jour, Ethan a demandé à quelqu’un de raccrocher avant de pouvoir réentendre le message vocal enregistré par Sonia. Quand il veut entendre sa mère, c’est son père qu’il appelle !

– D’accord… concéda la punk. Et ?

– Et donc, c’est pas son portable, ni sa boîte mail… ni même son agenda. C’est celui de Sonia. J’aurai dû m’en douter ! C’est pas son truc, tout ça. Et les mails… plus de pubs pour des produits féminins qu’autre chose. Quelle cruche ! C’est pas Marc qui avait rendez-vous toutes les semaines avec ce médecin, mais Sonia ! La voilà l’explication !

– Si tu le dis, reprit Rose les yeux ronds de surprise. T’es au courant que j’comprends pas grand-chose, là ?

– Je… laisse tomber ! Ce serait trop long. Et il est en retraite depuis plus de deux ans, souffla-t-elle en jetant son sac sur l’épaule. Ca tombe sous le sens…

En retraite ? Ok, tu m’as perdue ! avoua Rose. Je crois qu’il vaut mieux que tu remettes tout ça à plat, et qu’on en reparle plus tard. Qu’est-ce que t’en dis ?

– Ce que j’en dis… c’est qu’il faut retrouver le docteur Plaitinger ! s’exclama-t-elle avec un grand sourire avant de tourner les talons.

Abasourdie, Rose agita une main en l’air en guise d’au revoir puis jeta un coup d’œil à Pouilleux.

– Mon pote, vous vous êtes bien trouvé tous les deux ! Ce qui m’inquiète, c’est de faire partie de la bande.

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