Chapitre IV (1/2)

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 Depuis que Nona s’était réveillée, elle faisait preuve d’une détermination impressionnante ! Elle avait passé sa première semaine entourée des spécialistes de la santé, Alectra parmi eux. Rapheyl la suivait en permanence, s’occupait de traduire les échanges et de lui enseigner peu à peu la langue universelle. Il n’avait pas eu tort, elle apprenait vite et était parfois capable d’échanger assez facilement quelques banalités. On lui découvrait une voix claire et agréable malgré un accent déroutant…

Les blouses blanches se trouvaient toutefois dans une situation bien étrange : Ils ne servaient absolument à rien… A rien ! Les kinésithérapeutes, les médecins, les neurologues ne participèrent en rien à sa remise sur pied. Sous les yeux ébahis de tous, elle reprenait des forces et du muscle sans leur intervention, ses capacités intellectuelles et sa mémoire ne lui faisait pas non plus défaut. Sa réhabilitation fut fulgurante et aussi miraculeuse que sa survie. Après une seule semaine, elle était à nouveau capable de se mouvoir normalement, de parler sans difficulté, et de s’occuper d’elle-même.

 Le Conseil avait été informé de son éveil. Pour le moment, ses membres avaient décidé de la laisser se remettre complètement avant qu’elle ne paraisse devant eux. Ils avaient toutefois interdit qu’elle sorte du CEC, et qu’elle aille ou que ce soit sans escorte. On se méfiait de l’étrangère dont on ne savait rien. Pour le moment. On lui avait trouvé des vêtements à sa taille et on lui avait prêté un des appartements du Centre. Elle était redevenue parfaitement indépendante mais on avait gardé une vitre entre le couloir et son salon pour pouvoir la surveiller, elle et son état de santé. Nona y avait enfermé ses bracelets de chevilles dans un tiroir, ne les avait jamais remis. Le sujet semblait sensible, aussi ne fut-il plus jamais abordé. Elle leur avait aussi abandonné son container que les vestes bleus, ravies d'avoir un aussi gros jouet à leur disposition, s’étaient empressées d’étudier et de démanteler pièce à pièce. On avait été surpris de découvrir que l’intérieur du boitier était très abîmé, comme fondu, ou rongé… La cause en était pour le moment inconnue.

Le seul vrai problème, c’est que sa survie et son rétablissement avaient piqué la curiosité de tous mais qu’elle se montrait particulièrement peu coopérative quand il s’agissait de l’étudier elle… Elle avait refusé que l’on examine ses cellules, son ADN ou que l’on observe simplement son activité cérébrale et physique. Toutes les blouses blanches en étaient particulièrement frustrés ! Les autres spécialistes étaient d’ailleurs logés à la même enseigne puisqu’elle se refusait à répondre à la moindre question sur sa propre époque… Elle n'avait pas l'air méchante, mais son comportement n'aidait clairement pas à ce que la confiance règne. Cor, alors qu’il aurait initialement tout fait pour la soutenir, ne pouvait s’empêcher de la trouver insupportable à présent !

 Dès qu’elle put à peu de chose près échanger sans l’aide d’un interprète, Caelesti la recevait dans son propre bureau, prenant son rôle de psychologue très à cœur. Les plus curieux ou les moins respectueux l’agaçait alors à longueur de journée pour savoir ce qu’elle apprenait, elle leur répondait à tous de manière fort peu élégante… Un jour, elle fut toutefois bien obligée de leur expliquer qu’elle n’avait rien appris qui serait d’un quelconque intérêt à leurs recherches, et qu’elle comprenait simplement la réticence de Nona à être étudiée pour le moment. Il fallait attendre, c’était là son point final. Cor ne l’entendait pas de cette oreille. Il n’avait pas eu encore l’occasion d'échanger avec l'émissaire, sauf lorsqu’il avait essuyé ce refus de recherche… Son mépris, causé avant tout par l’obstacle qu’elle posait vers la connaissance, était tant bien que mal modéré par Rapheyl, Caelesti et Alectra, qui avaient quant à eux put converser plus longuement avec elle. Seite ne lui avait fait aucune remarque pour le moment, se contentant d'observer l'évolution de la situation.

 A présent, elle passait ses journées avec les blouses noirs, se familiarisant peu à peu avec leur monde. La prudence restait de mise, aussi, on lui présenta ni la Géographie moderne, ni le fonctionnement interne de la Coupole, on se limitait aux choses les plus triviales. La technologie et les mœurs avaient surement beaucoup évolué en cinq siècles, elles étaient parfois perplexe devant des banalités pour eux quotidiennes. Certains s'amusaient de la voir émerveillée par de vieux modèles d'androïdes et des hologrammes grésillants. Mais Cor en avait assez de la laisser découvrir son futur quand elle ne leur livrait rien sur leur passé. Après sa journée de travail, c’est bien décidé à lui expliquer la notion « d’échange » qu’il grimpait les escaliers quatre à quatre vers son appartement. Le soleil se couchait, presque tout le monde était parti, le désœuvrement décuplait son agacement. Les poings crispés, la mâchoire serré, il marcha d’un pas décidé jusqu’à sa destination.

 Il se retrouva alors nez à nez avec cette même scène qui l’avait tant ému il y a peu : pourquoi ce tableau l’emplissait d’une telle mélancolie ? Assise sur le sol, avachie contre les vitres qui surplombaient la ville, le regard perdu au loin, les cheveux balayant le sol, Nona regardait dehors. Sans aucune larme cette fois ci, mais sans vie non plus. Elle paraissait juste vide, pareille à l’oiseau en cage qui souhaite s’envoler. Le soleil artificiel qui s’éteignait au loin donnait de sublime teintes de feu à la scène. Beignant dans une telle lumière, la longue traine qui couronnait la tête de Nona luisait d’un doré chaleureux. Cor songea qu'elle aurait pu ressembler à un ange de ces vieux livres que l’on trouvait à l’extérieur et pourtant, un frisson glacial lui parcourait l’échine en admirant la solitude qu’elle incarnait. Sa colère ne s’était pas tut mais Cor souffrait de culpabilité. Il s’en voulait de la presser mais le temps des Hommes était compté, il en était persuadé.

« -C’est comme ça tous les soirs… »

 Caelesti étaient apparue comme un véritable fantôme à ses côtés, surgie de nulle part, comme souvent. Elle n’était pas consciente de sa discrétion… Ou l’était-elle sans s’en préoccuper pour autant, ou en jouait avec une indéniable habileté. Elle se tenait alors à ses côtés et sans lui adresser le moindre regard, contemplait elle aussi la scène.

« -Elle vient s’installer ici dès qu’elle a mangé, continuait-elle imperturbable, elle n’a jamais utilisé son lit.

-Tu plaisantes ?

-Pas le moins du monde… Elle dit qu’elle n’a plus l’habitude d’un matelas. »

 Une quantité astronomique de questions lui brûlait les lèvres. Il n’avait pour le moment pas eu l’indiscrétion d’interroger son amie comme beaucoup d'autres, mais la tentation devenait de plus en plus grande. Elle l’avait d’ailleurs bien compris : elle n’était pas la meilleure de son domaine pour rien. Et de toute façon, elle le connaissait bien.

« -Vas-y, pose ta question, je sais que tu en meurs d’envie, lui dit-elle.

-Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

-Je n’en sais rien, elle n’en parle pas. Tout ce que je peux te dire c’est qu’elle ne s’est pas retrouvé dans ce container par sa propre volonté… »

Il marqua un temps d’arrêt, choqué, perdu dans ses pensées. Il fut presque surpris de ne s’être jamais posé la question :

« -Je n’y avait pas vraiment réfléchi… On trouve quelqu’un de vivant dans un container, je fais partie de ceux qui demandent « comment » plutôt que « pourquoi ». J’ai un peu honte… Je crois qu’intérieurement, je me suis auto-persuadé qu’elle s’était mise là-dedans en espérant que ça lui sauverait la vie.

-On l’y a enfermé. Mais je ne sais pas pour quelle raison… On discute essentiellement de ses difficultés à s’adapter à un nouvel environnement pour le moment.

-Ce n’est pas difficile pour toi ? Puisque tu ne connais pas son environnement initial ?

-Pas vraiment. Mais c’est un vrai crève-cœur. Elle regrette certains paysage que nous ne verrons plus, et elle pense à des personnes mortes depuis longtemps. Elle trouve la ville magnifique mais ça ne remplacera pas ce qu’elle a perdu. Et pour le moment, je ne peux pas l’emmener dehors, même si ça lui ferait le plus grand bien ! Je veux dire, regarde la ! »

 Il n’avait pas cessé. Nona paraissait littéralement absorbée par la vue, comme toujours. A l’heure actuelle, il lui était interdit de sortir, combien de temps allait-elle devoir se contenter d'observer ? D'une certaine façon, elle était leur captive... Le biologiste finit par comprendre en quoi cette image lui prenait aux tripes. Il s'y reconnaissait un peu. Beaucoup. Cor se confia à sa presque sœur. Son désir de savoir, sa sensation d'étouffer et son inquiétude pour l’avenir, elle les connaissaient, il ne lui apprenait rien. Mais il préférait vider son sac pour évacuer sa colère et éviter de la déverser sur cette jeune personne qui souffrait déjà bien assez comme ça.

« -Je sais Cor. Vas lui parler.

-Pardon ?

-Je ne la forcerai pas à s’exprimer, je ne lui demanderai rien non plus, mon rôle me l’interdit. Mais toi, tu peux toujours essayer de lui quémander gentiment des réponses à tes questions. Personne n’a vraiment essayé depuis un bon moment au final… »

Cor prit le temps de réfléchir à cette idée, charmé bien qu’incertain.

« -Elle sait parler ?

-Disons que c’est compréhensible. »

 Sans se poser davantage de questions, il s’était dirigé vers la porte pour y toquer. Il entendit une réponse, soupçonna que Nona n’avait pas pour autant quitté sa contemplation. Caelesti l’encouragea du regard et s’apprêtait à partir, respectant leur intimité. Cor la remercia d’un geste de la tête, ouvrit la porte, et s’aventura dans le salon silencieux de l’émissaire.

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