_5, La psychologue

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Pour toute transformation, il y a un moment de souffrance, de réadaptation puis enfin de quiétude.

Le magasin est bondé. Des vendeuses s’activent à venir voir leurs clients, les harcelant de questions. L’une d’entre-elles s’approche vers moi, avec son sourire beaucoup trop grand, des boucles d’oreilles beaucoup trop grandes et me demanda d’une voix beaucoup trop forte :

- Vous avez besoin d’aide ?

Non mais je viens juste de passer la porte, tu me laisse le temps de respirer ?

- Pas pour l’instant, merci. Nous venons essayer tout et n’importe quoi. Mais je vous appellerai si jamais. Explique Evan

Bon sang mais pourquoi je lui ai proposé de faire des défis ? Me voilà a faire une journée shopping avec lui…

Evan pose sa main sur mon dos pour me faire avancer. Le contact me rassure tout de suite. Dans les rayons, il attrape des tee-shirts, des pulls, des chemises, des shorts et des pantalons à tour de bras. Je tente quelques fois de m’opposer à ses choix : je suis plus grand sweet et jean noir que pull orange criard et jupe plissée. Evan n’en a que faire. Il dit que je dois « affirmer mon style sans craindre les regards ». Je me retrouve ainsi avec une vingtaine d’articles dans la cabine d’essayage.

Je les enfile à regret mais très vite, l’enthousiasme de mon coéquipier me contamine. J’enchaîne les poses, les combinaisons loufoques et les fous rires. Lorsque nous ressortons, deux heures plus tard, j’ai deux sacs pleins. D’un coup, une bouffée de culpabilité me surprend. Evan a dû vider son compte bancaire pour m’acheter tout ça. Pourquoi a-t-il fait ça ? Il doit sentir mon anxiété car au détour d’une rue, il m’arrête :

- Ca ne va pas ?

- Si, si.

- Emilie…

Je soupire. Il ne me lâchera pas.

- Tu n’aurais pas dû m’acheter tout ça.

- Ca me fait plaisir, ça te fait plaisir. Alors je ne vois pas le problème.

- Mais ça a dû te couter cher…

- Em, ça s’appelle un cadeau. C’est ce qu’on fait généralement, entre amis. Alors arrête de te torturer avec ça.

Si le surnom qu’il me donne me fait sourire, savoir qu’il me voit comme une amie me remplit d’une joie immense. Mais je ne peux pas ignorer cette petite déception cachée au creux de ma poitrine. Enfin, je ne vais quand même pas espérer plus de lui ! Il me donne déjà tant…

- Le problème c’est que je n’ai rien à t’offrir en retour…

- Je pars du principe qu’on ne donne pas de cadeaux si c’est juste pour avoir quelque chose en retour autre que de la joie. Et de la joie, tu en as donné aujourd’hui Emilie. C’est ça mon cadeau.

***

Aujourd’hui, c’est mardi. J’entre dans le bureau de Mme. Saenger d’un pas décidé. Cette fois, je veux avoir une vraie discussion avec ma psychologue. Une phrase qu’elle m’a dite tourne en boucle dans ma tête : « Tu n'es pas encore prête à avoir une discussion normale, tu le sais aussi bien que moi, mais tu ne veux pas aller mieux. ». J’ai changé, je veux me sortir de là maintenant, et je compte bien le lui prouver. Pour l’occasion, j’ai revêtu la robe cintrée à imprimé fleur qu’Evan m'a acheté il y a quelques jours.

- Comment vas-tu Emilie ?

- Bien, très bien.

- Oh, puis-je connaître le motif de cet enthousiasme ?

- J'ai rencontré quelqu'un, Evan, il y a quelques mois. Il m'aide beaucoup à prendre confiance en moi. On se fait des défis.

- Comment l'as-tu rencontré ?

- À la librairie. On a d'abord échangé par lettre, puis il m’a demandé à me voir.

- Et tu as accepté ?

- Oui, mais au début je ne voulais pas.

- Comment ça c'est passé ?

- J'ai fait une crise d'angoisse. Il m'a emmené dans un endroit au calme puis on a discuté.

- Donc ça c'est bien passé ?

- Oui.

- Je suis si contente ! Tu vois, tu peux y arriver.

- Ce n'est pas grâce à vous. Vous m'aviez dit de laisser tomber, de me terrer chez moi et de ne pas le retrouver. De ne parler qu'à ma famille.

- Emilie, tu es une patiente compliquée tu sais ? Généralement, j’apprends à connaître les personnes avec qui je travaille. Ce qu’ils pensent d’eux, de me voir, ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs relations avec leur famille. Toi, tout ce que je sais, c’est que tu t’es murée dans le silence, refusant d’être aidée parce que tu t’es dit que tu n’en valais plus la peine. Tu viens aux rendez-vous parce que tes parents les payent et que tu te sens responsable. Comme si le fait que tu ai tenté de te suicider t’obliger à te plier en deux à ce que tes proches voulaient. Je ne dis pas que ce n’est pas bien que tu sois venue ici, au contraire, mais ça ne servait à rien. Tu n’allais pas donner ta confiance à quelqu’un sous la contrainte. Ca ne marche pas comme ça, encore pour une personne qui a été trahie. Mais Evan a su s’en montrer digne et je suis très contente que tu n’en ai fait qu’à ta tête. Maintenant dis-moi, comment ça va avec ta famille ?

- Hum… bof. Ils pensent que je ne suis plus capable de rien faire.

- C’est ce qu’ils t’ont dit ?

- Ils font en sorte de me voir le plus souvent que possible !

- Ils ont failli te perdre. Ils s’inquiètent que cela se reproduise.

- Mais ça n’est pas le cas !

Sophie sourit.

- Tu es en train de me dire que tu ne veux plus en finir avec la vie ? Evan a fait du bon boulot ma foi…

- Je ne suis pas non plus super copine avec elle. Disons plutôt qu’on fait une petite pause.

- C’est évident. Donc côté famille, tu n’es pas vraiment prête à te réconcilier ?

- Me réconcilier ?

- Tu m’as dit un jour que tu les tenais responsables de ce qui t’es arrivé. Parce qu’ils n’avaient pas sût t’écouter.

J’acquiesce, lentement.

- A part Evan, y a-t-il quelqu’un d’autre, hors famille, avec qui tu te sens raisonnablement bien ?

- Non.

Ma psychologue baisse le nez vers son papier, qu’elle remplit petit à petit de nos conversations. Je pense à Maëlle, qui sait comprendre les non-dits, qui m’aide quand je perds mes moyens, qui m’a donnée le numéro d’Evan.

- Peut-être bien qu’il y a quelqu’un.

- Oui ?

- Maëlle, la libraire. Elle est gentille…

Un quart d'heure plus tard, je sors toute retournée. Je ne suis plus sûre de la responsabilité de mes parents dans mon mal-être, je doute de ne voir en Evan qu'un ami (pauvre de moi !) et pire encore, je suis sûre de ne plus vouloir mourir !

Je sais également que demain, j'irai demander à Maëlle si elle a besoin d'aide pour tenir sa boutique.

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