_3, La proposition

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Je me lève en sueur, tremblante de mon rêve, mais avec une énergie nouvelle. Je m’habille rapidement dans ma chambre, attrape mon vieux téléphone et sors sans faire de bruit (mes parents dorment dans le clic-clac du salon). J’arrive à la librairie un quart d’heure avant son ouverture. Il me faut un effort surhumain pour ne pas faire demi-tour et attendre. Le va-et-vient des gens me bloque la poitrine. Cependant, je ne peux pas reculer. Je dois trouver Evan et Maëlle est la seule à pouvoir m’aider. M’adossant contre le mur, je ferme les yeux et modère ma respiration comme me l’avait dit un jour ma psy. Cinq secondes d’inspiration, cinq secondes d’expiration, pendant cinq minutes, et nous revoilà à un bon équilibre. Je tiens à vous prévenir, cinq secondes, de base, c’est long. Mais alors quand on est stressé et que l’on respire comme après un marathon, c’est asphyxiant. Malgré tout, ça marche, et lorsque la libraire arrive, je parviens même à esquisser un sourire.

Maëlle est étonnée de me voir là mais comme à son habitude, elle ne dit rien, laisse les réponses venir d’elles-mêmes. Elle se contente de sourire et de me demander si je veux rentrer.

Le magasin n’est jamais plein quand j’y vais mais le voir si vide, vierge de présence humaine depuis douze heures, est quelque chose de magique. Je m’attendrais presque à voir surgir un héros de roman d’entre les rayons.

- C’est extraordinaire pas vrai ? Cette sensation d’un monde parallèle juste à côté de nous. C’est le moment que je préfère dans mon travail. Quand je viens réveiller la boutique endormie et que tout me semble alors possible. Toutes les histoires les plus folles.

J’acquiesce lentement, hypnotisée par le silence voluptueux de la pièce.

- Tu voulais quelque chose de particulier ?

- Le numéro de téléphone d’Evan.

Je me surprends moi-même de cette franchise. Est-ce mon rêve ou l’ambiance qui me délie si facilement la langue ? Je me sens légère comme jamais et mon cœur est un papillon coloré. C’est vrai que là, tout de suite, tout paraît possible. Je ne sais pas si la vie décide enfin de me laisser une chance mais ce qui est sûr, c’est que je vais tracer mon propre chemin. Ma vie ne vaut pas la peine d’être vécue ? Eh bien je m’arrangerais pour que ce soit le contraire. Je vais prendre ma revanche, coûte que coûte, et pour commencer je vais retrouver Evan.

- Tu es chanceuse toi ! Il me l’a donné il y a quelques semaines. Je vais te trouver ça tout de suite.

Une fois le numéro en main, il me suffit de lui envoyer un message, ce qui est plus dur qu’il n’y paraît quand vous avez reçu comme moi un bon nombre d’insultes par le même moyen. Les spams, la liste noire, c’est génial, mais quand on voit les notifications de blocages défiler sous nos yeux, ça ne sert plus à grand-chose. Il me répond cependant très rapidement et à neuf, on se retrouve dans le bar dans lequel il m’avait emmené à notre première rencontre, après ma crise d’angoisse.

- Salut, comment vas-tu ?

- Bizarre. Libre. Sur le point d’exploser.

- D’accord, et comment as-tu eu mon numéro ?

- Je l’ai demandé à Maëlle.

- La libraire ? Tu le lui as demandé ? Ok, tu es bizarre aujourd’hui.

- Je te propose un défi.

- Je rectifie, tu es chelou.

- C’est un oui ?

- Je suis le genre de personne qui choisit toujours vérité parce qu’il ne sait pas sur quoi il va tomber dans action et qu’il peut toujours mentir, on n’y verra que du feu. Alors tu dis ton défi, et je te dis si j’en suis.

- Je te donne un défi, qui peut être de t’acheter une barbe-à-papa à l’autre bout de Paris, comme d’envoyer bouler ton père, en faisant un saut en parachute ; et toi, si tu réussis ton défi, tu m’en propose un, pareil. Et on continue.

- Mouais. Je dirais même que tu frôles la folie pure et simple aujourd’hui.

- S’il-te-plaît. J’en ai besoin.

- J’accepte… à une condition.

- Je t’écoute.

- C’est moi qui commence.

- Marché conclu !

- Laisse-moi le temps de trouver, je te préviendrai.

De retour chez moi, mes parents me sautent dessus. Ils m’assènent de questions revenant toutes au même point : qu’avais-je en tête. Les traces de légèreté me restant me permettent d’expliquer que j’étais allée chercher Evan mais je ne peux dire plus. A peine son prénom prononcé, mes géniteurs deviennent hystériques. J’aimerais leur expliquer que je suis désolée, que j’ai compris que depuis le début j’avais tort et que je suis partie le voir pour enfin vraiment m’en sortir mais mon entrain retombe. Qu’est-ce que je croyais ? Qu’il me suffisait d’une parole pour tout arranger ? Pour que je redevienne la moi d’avant, pour que mes proches me refassent confiance. Quand on trouve le courage d’aller jusqu’au bout une fois, qu’est-ce qui dit qu’on ne recommencera pas par la suite ? Je me sens retomber dans les abîmes, seule dans ma chambre, quand je reçois un message de mon sauveteur : « Défi n°1 : Va chercher de quoi faire de la pâtisserie avec tes parents et ramène une part du gâteau (juste pour être sûre que tu l’as vraiment fait !) »

Mon cœur manque un battement mais c’est le moment ou jamais. De toute manière nous avons un contrat avec Evan, et je veux vraiment l’aider à faire face à son père. Je sors de ma chambre et d’un air innocent lance :

- Qui m’accompagne acheter des pépites pour faire des cookies ?

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