Chapitre 6

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Arthur se leva en fin de matinée, encore engourdi par la fatigue. Il n'avait pas l'habitude de dormir avec quelqu'un dans la même tente. Francis se levait toujours aux aurores, alors Arthur profitait pleinement de son sommeil lorsque son compagnon se réveillait.

Il se frotta les yeux avant d'ouvrir finalement sa tente. La chaleur tapait fort contre le tissu et c'est en sueur que le jeune soldat se réveilla. Il entendu un brouhaha s'élever dans l'air sans réussir à distinguer les voix. Il s'étira une dernière fois avant de partir de sa tente. Il vit de loin leur commandant et, juste à côté, Alfred allongé par terre un fusil sur l'épaule.

« Alors tu vois, tu vises et tu tires. » entendit Arthur

Curieux, Arthur s'avança et vit un amas de monde regarder Alfred attentivement. Arthur n'arrivait pas à distinguer ce qu'ils se disaient mais Alfred avait l'air gauche et mal à l'aise.

Il pouvait voir Alfred tremblant comme une feuille, sûrement impressionné par le monde qui le regardait. C'était la première fois qu'il tenait une arme et il n'avait aucune idée de ce qui fallait faire. Il appuya tout doucement sur la gâchette mais pas assez pour tirer. Le commandant commençait à s'impatienter ; cela faisait déjà une heure qu'Alfred s'entraînait et il n'avait fait aucun progrès.

« Allez, tire. »

Fébrile, Alfred appuya sur la gâchette et la balle partit cette fois en laissant un trait de fumé et une odeur particulière sortit du canon.

Surpris par la puissance de l'arme, il recula de quelques centimètres et eut du mal à retrouver une bonne audition. Il se retourna enfin pour voir où sa balle avait atterri ; mais rien, aucune trace sur la cible. À cela s'élevait des rires moqueurs qui déplaisaient grandement Arthur.

« Bon, au moins t'as réussi à tirer. Faut voir le bon côté des choses. Je dois te laisser. »

Alfred hocha de la tête, n'osant pas croiser le regard de son chef. Il entendait ses camarades rire dans son dos ; il se sentait gauche, inutile et humilié ; comment pouvait-il aspirer à être un héros de guerre s'il ne savait même pas tirer ? Il entendait les voix des autres soldats dans un flots d'insultes et de moqueries.

« Jacquet, c'est dans la cible que tu dois tirer, pas dans le vent.

- Jacquet tire comme une femme.

- Jacquet bon à rien. »

Ne supportant pas qu'on puisse se moquer d'Alfred comme ça, Arthur haussa la voix

« Vous êtes vraiment tous des cons, est-ce que y en a qui ont moins porté un fusil avant de partir en guerre ?

- C'est rien, Arthur. C'est rien.

- Jacquette la tapette ! » Arthur se retourna furibond.

« Qui a dit ça ? »

Un homme plutôt imposant se leva, le regarde méchant et moqueur.

« C'est moi. Et alors ? »

Arthur ne le laissa pas finir sa phrase qu'il lui jeta un coup de poing le plus fort possible. L'autre le regarda incrédule un instant avant de riposter. Arthur ne s'était jamais vraiment battu avant et c'est de plein fouet qu'il rencontra la paume de l'autre soldat. N'ayant pas pensé aux conséquences de ses actes, Arthur le regarda avec de gros yeux, n'ayant clairement pas l'avantage avec son corps frêle et fragile.

Après ça, tout le monde se mit à crier les uns sur les autres sans vraiment aucune raison, et des voix tonitruantes s'élevèrent dans l'air.

« C'est quoi ces conneries ? »

Tout le monde se tut en un instant en entendant la voix de Rémi. Les yeux furent braqués sur lui et le silence revint enfin.

« Qu'est-ce qui se passe ?

- Arthur défend sa gonzesse.

- Avant de dire ça est-ce que toi dans ta vie t'as déjà vu une femme ? Je crois pas. »

Rémi imposait immédiatement le respect de par sa grande carrure, son âge et son expérience. Personne n'osait lui répondre, ni le regarder dans les yeux. Après que les soldats se soient calmés, Rémi se tourna vers Alfred.

Alfred sentit les larmes lui monter aux yeux. Il essuya ses joues et ses yeux humide avec la manche de son uniforme, encore tremblant de honte. Ce n'était pas la première fois qu'on se moquait lui ; il commençait à s'habituer, mais il osait espérer que les choses auraient changées. Maintenant qu'il connaissait de nouvelles personnes et qu'il se forgeait une nouvelle vie il voulait partir de zéro, se faire de nouveaux amis et une bonne réputation. Il pensait pouvoir se faire un nouveau départ pour un avenir gracieux.

Mais, seulement, les choses ne se passaient pas comme prévues. Alfred était sûr de rencontrer de belles personnes, avec la main sur le cœur et un regard bienveillant ; et là où il comptait faire de rencontres agréables il trouva des jeunes et moins jeunes se moquant de lui pour aucune raison, purement et simplement pour s'amuser d'un jeu malsain et malveillant. Il avait l'impression de tomber du ciel, et il avait honte d'avoir pu être aussi naïf ; bien sûr que les hommes ne changent pas, bien sûr que c'est pas en partant à la guerre qu'on se fait respecter par ses pairs. Même Jean se montrait désobligeant envers lui, préférant faire comme tout le monde et suivre la vague. En d'autres termes : pourrir la vie d'Alfred. Le jeune soldat voulait partir à tout prix, abandonné son arme ici et s'enfuir le plus loin possible des autres. En se relevant, la terre encore légèrement humide glissa sous ses bottes et le fit tomber. Les fesses par terre, il essaya de se relever avec dignité mais le sol meuble sous ses pieds lui compliquait la tâche, et c'est en s'aidant de ses mains crasseuses qu'il réussit à reprendre son équilibre.

Cette scène ridicule fit hurler de rire les quelques soldats qui regardaient, se moquant de sa maladresse. Alfred réussit à se poser solidement sur ses deux jambes, trébuchant encore légèrement mais au moins il arrivait enfin à marcher. Il cacha son visage de son bras plein de terre, n'osant plus rien regarder, au péril de tomber une deuxième fois.

« Vos gueules, merde ! »

Les soldats se turent soudainement, faignant devoir partir pour ne pas assister au courroux de Rémi.

Après que le calme soit enfin tombé tout le monde vaqua à ses occupations. Arthur quant à lui vint rejoindre Alfred, plus loin vers la colline. Il s'approcha doucement et le jeune soldat sursauta en sentant une main se poser sur son épaule.

« Ah, c'est toi... tu viens te moquer toi aussi ?

- Quoi ? Non, bien sûr que non. »

Alfred porta son regard vers l'horizon et un silence pesant résonna. Arthur n'avait jamais été bon avec les mots, surtout si c'était pour consoler quelqu'un, mais il voulait qu'Alfred sache qu'il n'avait rien à craindre quand il était là.

« Je suis vraiment idiot, hein.

- De quoi ?

-De penser que les gens peuvent changer. À chaque fois je suis sot de penser ça ; bien sûr que les gens ne changent pas.

- Mais non de quoi tu parles ?

- Je pensais pouvoir vivre une grande aventure avec de grandes gens ; je voulais montrer ce que je valais et qu'on devienne tous de bons amis. Mais je suis le seul à penser ça apparemment. »

Arthur pensait également qu'il était bien naïf pour croire que tout le monde était bien et beau sans aucune animosité mais il ne dit rien pour ne pas froisser Alfred.

Ils restèrent muets un instant. Arthur ne savait pas quoi dire pour lui remonter le moral alors il sortit une cigarette de son étui avant d'en donner une à Alfred.

« Tu veux une clope ? »

Alfred le regarda avec des yeux ronds avant d'accepter et prendre la cigarette que lui tendait Arthur. Il l'alluma et eut une crise de toux après la première bouffée. Arthur ria mais il se tut, de peur qu'Alfred se vexe encore.

« Merci.

- De rien. »

Arthur fuma de même et écrasa son mégot de sa botte boueuse avant de lâcher un dernier regard vers Alfred.

« Hum, tu sais, » dit-il avant de partir « si tu as besoin d'aide ou quoi, bah... enfin, tu peux venir me voir. Je suis pas aussi fort que Rémi mais j'ai une grande gueule aussi. Donc, voilà.

- Merci. »

Le soir venu Arthur s'attroupa autour du feu de camps avec Rémi et Francis. Fatigué par le voyage et le manque de sommeil, il s'assit par terre avant de mettre une boîte de conserve sur le feu en ne disant un mot.

« Bah alors Arthur, t'étais où ? » dit Francis « Je t'ai pas vu de la journée.

- Il était avec sa gonzesse.

- Non, t'as trouvé une nana ?

- Elle s'appelle Alfred. »

Les soldats rirent à l'air incrédule de Francis.

« T'étais pas là pour le spectacle d'Alfred ? À mourir de rire. Ou de tristesse.

- La ferme.

- Et y a le preux chevalier Arthur qui est venu le secourir. »

Un soldat huma la musique de mariage mais il se tut en voyant les yeux furibonds d'Arthur.

« Je suis pas pédé, j'ai juste un cœur et un peu de bon sens. Bon sang, vous avez rien de mieux à faire ? » Arthur se leva énervé.

« Oh allez, le prend pas comme ça... tu vas où avec ça ? »

Arthur prit la bouteille de whisky avec lui.

« Et attends, c'est à nous ça ! » Le jeune soldat ne se retourna pas, montrant son majeur à toute la foule. Il alla jusqu'à la tente d'Alfred d'où sortait une légère lumière. Arthur se posa devant et dit d'une petite voix :

« Toc toc. »

Alfred sortit la tête de sa tente, l'air surpris.

« Ah, c'est toi. »

Arthur entra sans demander la permission, ce qui dérouta un peu Alfred. Arthur sortit la bouteille de son manteau en la présentant fièrement à l'autre soldat.

« J'ai ramené une amie. »

Alfred fit les yeux ronds, comme si c'était la première fois qu'il voyait ça.

« C'est... c'est bon ?

- Le pire whisky du monde »

Alfred rit mais en prit quand même une petite gorgée. Il sentit l'alcool lui chauffer la gorge et il toussa sans pouvoir s'arrêter.

« Je sais pas quel est le meilleur whisky mais celui-là est vraiment ignoble.

- Je t'avais dit. »

Arthur reprit la bouteille et avala une grosse gorgée sans sourciller, comme s'il voulait prouver quelque chose à Alfred.

« Ah, et... » reprit Arthur « je suis désolé pour tout ça. Les hommes sont des cons.

- C'est pas ta faute... ça m'apprendra à vouloir faire l'intéressant. »

Le silence s'imposa de nouveau. Arthur continuait à siroter son whisky pendant qu'Alfred semblait contempler le vide, gêné.

« Tu sais, moi aussi je sais pas me battre. Ces autres cons non plus d'ailleurs ; ils se prennent pour les rois de la basse-court mais ils valent pas mieux que des cochons. »

Alfred lâcha un petit rire sûrement nerveux. Arthur n'avait jamais été très bon avec les mots, surtout si c'était pour remonter le moral. Cela faisait monter en lui une certaine frustration ; il voulait consoler Alfred mais il n'avait aucune idée de comment faire. Finalement, il prit exemple sur sa mère lorsqu'il était jeune et il lui fit une légère accolade en lui effleurant les cheveux. Ce n'avait duré qu'un court instant avant qu'Arthur ne se détache d'Alfred, ayant peur de l'avoir mis mal à l'aise par cette promiscuité soudaine.

« Arthur, tu crois que je ferais un bon soldat ? Je ne sais même pas me servir d'un fusil, comment je vais pouvoir protéger nos siens avec ça ?

- C'est pas l'arme qui fait un bon soldat. T'as déjà bien plus de qualités que tous ces cons. T'inquiète, je suis sûr que tu feras un bon soldat. »

Alfred sourit enfin ; un vrai sourire qui vous met de bonne humeur, pas un sourire forcé pour faire plaisir.

« Merci, Arthur.

- De rien. »

Arthur se leva finalement après être resté un instant avec Alfred. Le silence surplombait de nouveau la tente et Arthur pensa qu'il était l'heure d'aller se coucher, tout fatigué de sa journée pourtant peu productive.

« Bon, bonne nuit Alfred.

- Bonne nuit Arthur. »

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