Chapitre 4

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Après des heures de marche, les soldats étaient prêts pour installer le camp de nuit. Bien qu'ils fussent en heure d'été ils devaient se dépêcher avant que la nuit ne les surprenne, si bien qu'Arthur se retrouvait à installer une tente pour pouvoir dormir tranquillement la nuit.

La campagne ne comptait plus que des femmes, des enfants et quelques vieillards trop âgés pour partir en guerre ; les hommes ayant déjà prit l'habit militaire. Les soldats étaient installés près de petites fermes où les habitants étaient heureux de les voir et certains leur amenaient quelques vivres comme cadeau.

« On est si heureux de voir des soldats français défiler dans nos campagnes ! On se sent bien plus en sécurité maintenant, on est moins sereins qu'en ville ici. »

Certains soldats flirtaient avec des jeunes filles qui riaient doucement à leurs avances. Arthur les regarda du coin de l'œil, n'osant pas s'approcher des habitants contrairement à ses compagnons. Il s'était retrouvé à installer la tente avec un homme qui devait avoir près de trente-cinq ans avec une coupe coupée court et le cheveux hirsute. Il avait une grande carrure d'ouvrier avec des mains de bûcheron et une moustache qui cachait presque le haut de sa lèvre. Il tenait du bout des lèvres une cigarette sur laquelle il tirait à chaque mouvement qu'il faisait. Arthur ne prêta pas grande attention à lui jusqu'à ce que ce dernier s'essuie les mains sur son pantalon et tende la main au jeune homme.   « Salut soldat, moi c'est Rémi. »

Arthur regarda sa main d'un œil étrange avant de finalement tendre la sienne.

« Arthur.

- Encore un pauvre petit jeune mobilisé, hein ? On t'a arraché à papa maman toi aussi ?

- Excusez-moi ? - T'as quel âge mon garçon ?

- Vingt-trois ans. »

Rémi ria à gorge déployée, faisant sursauter Arthur qui ne s'attendait pas à une réaction pareille. Il se sentit rougir « Pourquoi se moque-t-il de moi ? » pensa-t-il.

« Non, je dis que c'est bien triste qu'on arrache ces jeunes hommes à leur foyer. Triste à en rire. » L'homme se mit à tousser après avoir tiré une taffe de sa cigarette. « Regarde comme tu fais tousser un vieil homme comme moi. Ce que je voulais dire, c'est que c'est attristant de voir comment on jette la jeunesse dans les bras de l'ennemi comme ça.

- Oui... je suis d'accord

- T'en veux une mon bonhomme ? »

Rémi sortit une cigarette de son paquet et la tendit à Arthur. Le jeune homme hésita un instant avant d'accepter et de l'allumer avec un briquet en argent incrusté du nom « Rémi » écrit en italique. Il n'était pas un grand fumeur mais il avait du mal à refuser une cigarette offerte de cette façon. Il toussa en tirant sa première latte, peu habitué à la fumée.

« Alors, on s'étouffe ? »

Arthur rougit de plus belle.

« Tu sais, » continua l'homme, « tu m'as l'ait d'un bon petit gars. Un mec de la ville, je suis sûr. Je les reconnais entre mille. Moi je suis de la campagne, je travaille dans les champs et maintenant me voilà ici, un pauvre vieux soldat. Je fais bien triste mine, j'aurais préféré rester dans mes champs de blé.

- Je suis désolé... » enchaîna Arthur après un long silence, un peu gêné. Rémi aspira une grande bouffée de sa cigarette avant de l'écraser sous sa botte.

« T'y perdras corps et âme dans cette guerre mon garçon, » reprit-il sèchement, « Littéralement. »

Cette phrase glaça le sang d'Arthur ; il pensait être le seul à avoir conscience de la gravité de la situation, et l'entendre de la bouche d'un autre soldat lui procurait une grande peur.

À la fin de la soirée, alors que la nuit tombait doucement, le camps avait fini d'être levé. Il y avait tout un amas de tentes de fortune collées les unes contre les autres. Des groupes de soldats s'étaient formés autour des différents feu de bois, certains faisant bouillir du café, d'autres utilisant des casseroles pour faire chauffer le repas du soir. Partout l'ambiance était bonne enfant, on pouvait entendre des rires sonner dans tous les coins et un brouhaha de conversations multiples se mêlaient avec le bruit du vent. Arthur regardait toutes ces scènes d'un air oisif, et pendant un instant il oublia les atrocités qu'il s'imaginait en voyant toute cette vie joyeuse devant lui. Pendant un instant, il retrouvait une douce innocence et un émerveillement presque euphorique qu'il avait perdus depuis longtemps.

« Alors, qu'est-ce que tu regardes comme ça ? » Arthur sursauta, surpris par cette voix.

Il se retourna et vit Francis, tout sourire.

« Tu as fini de lever le camps ? Y a plein de mecs sympa ici, hein ? J'ai parlé avec d'autres soldats. C'est beau tout ça. » Arthur avait l'impression d'entendre parler d'un camp de vacance. Il s'apprêtait à rétorquer lorsqu'il entendit une voix au loin. « Hé, les bleus. » Rémi s'avançait vers eux, la clope toujours au bec.

« Qu'est-ce que vous faites tout seul ? Venez avec nous, on s'amuse bien là-bas. »

L'homme fit un clin d'œil en direction d'Arthur. Les deux amis se regardèrent un instant avant d'accepter silencieusement de suivre le soldat.

« On a levé un camp les copains et moi. Enfin les copains d'ici, j'entends. »

Un groupe d'une dizaine de soldats était réuni autour d'un feu et d'une casserole de nourriture en train de cuire. « Je vous ramène des amis, » cria Rémi aux autres hommes. Ces derniers les salua d'une grande exclamation. « Asseyez-vous les gars. Faite comme chez vous. »

Francis fut le premier à s'installer, déjà à l'aise, alors que Arthur était plus hésitant ; mais il finit tout de même par s'installer à côté de son ami. Rémi s'approcha du jeune soldat et lui entoura les épaules de son bras robuste en le ramenant vers lui. « Je vous présente Arthur, on nouvel ami ! Un bon gars, mais un petit jeunot aussi celui-là. »

Les soldats l'acclamèrent d'un grand « Salut, Arthur ! » Ce dernier baissa la tête, gêné de toute cette attention soudaine.

« Et toi, tu es ?

- Moi c'est Francis.

- Un petit jeune aussi ?

- J'ai vingt-six ans ! » s'écria Francis, d'un air blessé.

Tout le monde ria à gorge déployée devant l'air confus de Francis qui finit par se prêter au jeu et à rire avec ses camarades.

« Vous êtes à la table des vieux ici. On est pratiquement déjà des vétérans, hein ? » les autres acquiescèrent d'un nouveau chant de rires.

Francis et Arthur se faisaient charrier par rapport à leur jeune âge mais ils furent rapidement intégrés au groupe et un des soldats fit tourner une bouteille de vodka. La bouteille se vida bien vite en même temps que les cigarettes se faisaient partager. Arthur avait un faible pour l'alcool mais il ne le tenait pas très bien, ainsi il se sentit vite faillir après quelques gorgées mais il sentit une espèce d'euphorie lui monter à la tête, comme s'il se sentait libre de nouveau ; libre de toute contrainte, libre de la guerre.

« Alors, à quoi devons-nous boire ce soir ?

- À la guerre et aux Allemands qui vont la perdre ! »

Des cris et des applaudissements s'ébruitèrent. Arthur perdit d'un coup toute la joie de la soirée, irrité encore par ce genre de discours.

« Parlons pas si vite, » s'interposa Rémi « on n'est même pas encore au cœur de la première bataille. Attendez avant de parler, soyez pas aussi stupides.

- Toujours là pour casser l'ambiance.

- C'est pas avec cette foie là qu'on va réussir à l'emporter, cette guerre.

- Buvons et prions à la victoire, mieux vaut être optimiste que défaitiste ! »

De nouvelles exclamations. Rémi baissa la tête, l'air dépité sous l'œil d'Arthur, aussi attristé par cette naïveté.

La soirée se finit avec du vin et des cigarettes. L'ambiance resta bonne enfant jusqu'à la fin sous les cris joyeux des soldats qui pariaient sur la victoire de la France. Arthur pouvait voir Rémi garder la tête dans ses mains jusqu'à la fin des festivités. Rémi fascinait beaucoup le jeune soldat ; enfin il se sentait en adéquation avec quelqu'un qui avait les mêmes pensées et les mêmes idées que lui. Il s'imaginait le voir dans le champs de bataille, il s'imaginait le voir se battre pour essayer de sauver sa patrie même s'il gardait en tête que la victoire n'était pas acquise. Il s'imaginait le voir se battre à côté de ses camarades avec la rage de gagner, oubliant toute conscience.

Le couvre feu sonna peu après que la pénombre ne tombe. Certains soldats poussèrent des « Ooh ! » de contestation mais ils se calmèrent vite après avoir été reprit par leurs commandants. Arthur se leva, encore ivre, et tangua légèrement avant de retrouver son équilibre. Francis se leva à son tour et s'appuya sur l'épaule de son ami, encore plus saoul que ce dernier ne l'était. Arthur laissa échapper un petit rire de moquerie avant de le prendre par la taille et le guider jusqu'à leur tente.

Arthur lâcha un peu trop violemment Francis sur le sac de couchage, et ce dernier lâcha un petit couinement de douleur.

« Oh, sois plus tranquille avec moi ! », mais il ria tout de même.

Arthur s'allongea à son tour, en faisant attention de ne pas trébucher sur ses propres pieds. Il releva la couverture jusqu'à son cou et se blottit confortablement, se sentant apaisé.

« On va avoir une de ses gueules de bois demain, ça va être marrant, dit Francis

- Mais non... moi, jamais. »

Francis ria ; Arthur faisait toujours ce genre de commentaire mais il se levait sans arrêt avec un mal de crâne et la bouche sèche.

« Hé, Arthur, » reprit Francis alors que le jeune homme commençait déjà à s'endormir « je suis content qu'on fasse cette aventure tous les deux ensemble.

- C'est pas une aventure Francis ; c'est la guerre.

- Je sais, mais il y a un côté un peu aventureux, non ? Je veux dire, on va visiter des contrés qu'on a jamais vues avant ; on a déjà fait des rencontres qu'on n'aurait jamais faites si ce n'est qu'ici ! Moi, je trouve ça beau. »

Arthur soupira, toute la joie de la soirée s'envolant en fumée. Il leva la tête de son futon et regarda son ami dans les yeux.

« Tu ne te rends pas compte de la gravité de la situation, je crois. On n'est pas en vacances ici, c'est sérieux. Des gens vont se battre jusqu'à la mort, tout le monde peut y passer. » Arthur laissa un temps d'arrêt, regardant la confusion dans les yeux de son ami. « Même toi. Ou moi. »

Un soudain choc se vit dans les yeux de Francis, comme s'il avait eu un déclic révélateur. Comme si les remarques d'Arthur avaient enfin un impact sur sa vision de la guerre.

Un grand silence s'installa alors que les deux hommes se regardaient dans les yeux, et Arthur parut presque apercevoir le regard de Francis s'humidifier. Enfin, ce dernier se retourna dans son sac en lâchant un son intelligible.

« Bonne nuit, Arthur. »

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