De l'art de se nouer des amitiés

3 minutes de lecture

Même un connard en costume de prix n'avait pas tous les pouvoirs.

Même son connard de frère n'avait pas tous les pouvoirs.

Il ne réussit pas à la sortir de l'Hôpital Psychiatrique.

Ce fut amusant en y repensant.

Voir son frère, si fort, si puissant, si autoritaire, frapper du poing sur la table et asséner des ordres...pour se heurter à un mur impénétrable.

La psychiatre, si souriante, si gentille, si bienveillante, n'avait qu'à dire : "non".

Et c'était non.

Elle expliquait posément à ce frère obtus qu'on ne pouvait pas libérer quelqu'un qui venait de tenter de mettre fin à ses jours, qui sortait d'une crise d'anorexie dangereuse, qui refusait de s'intégrer et de simplement parler de ses souffrances.

Voilà tout !

Mais le connard de frère parfait restait un connard tout court et il hurlait des ordres qui ne provoquaient qu'un soupir fatigué et un haussement de sourcils dédaigneux.

Fanny capta le regard de la psychiatre et se mit à sourire.

Avant de disparaître derrière l'écran de son téléphone.

***************************

" Anthéa. Comment se faire des amis ?

- L’amitié est un lien social indispensable à l’être humain, qui permet de s’épanouir alors que l’isolement étiole. Pour sympathiser, avant d’approfondir des liens naissants, adoptez la bonne attitude. Et donnez-vous du temps.

- Quelle est la bonne attitude ?

- 10 règles à suivre pour se faire des amis :

- Se montrer ouvert

- Saisir toutes les opportunités

- S’inscrire à des sites de rencontres amicales

- Rire ensemble

- Avoir de petites attentions

- Se centrer sur les intérêts de l’autre

- Se réjouir pour son voisin, son collègue

- Lancer des invitations

- Être présent dans les moments importants

- Montrer sa sensibilité."

Cela fit rire Fanny.

Un son incongru qui fit se lever les deux têtes rouges de colère. Son frère et sa psy.

Fanny riait ? Etait-elle devenue complétement folle ? On y était ?

Plus discrètement, Fanny souffla à Anthéa :

" Pour les invitations, on repassera... Quant aux moments importants, je ne suis pas sûre qu'un viol collectif dans les rues soit un bon moment pour inviter des amis, non ?"

Le silence lui répondit.

Après tout, Anthéa était un téléphone portable.

Mais Fanny conclut quand même :

" On peut déjà essayer de se montrer ouvert...et gentil ?

- Oui. C'est la première étape, fit la voix profonde d'Anthéa.

- Hé bien... Commençons..."

***********************************

La psychiatre, si bonne, regarda Fanny avec un air de méfiance qui détonait avec son sourire bienveillant habituel.

Connasse !

Mais le fait était que Fanny parlait et souriait.

Elle avait quitté la prison de sa chambre.

Elle était venue d'elle-même s'asseoir dans la salle de parole, au-milieu du groupe des traumatisés. Elle avait accepté de prendre la parole.

Tout le monde l'avait regardée avec crainte.

La victime de maltraitance, le miraculé de la prostitution, l'ancien enfant abusé par ses parents pédophiles et d'autres.

Elle faisait peur, Fanny.

Après la séance, elle faisait pitié.

Elle avait raconté, simplement. La vie dans la rue, son désoeuvrement, son addiction à la drogue, ses errements... Elle avait même fait l'aumône du harcèlement au collège et au lycée.

Elle était différente depuis si longtemps.

On la regardait maintenant avec compassion.

Fanny eut envie de leur jeter de l'acide au visage à tous pour leur cramer la gueule.

Mais ce jour-là, son rapport portait, écrit en larges lettres rouges, " s'est intégrée au groupe et a parlé. "

Ce jour-là, elle eut droit à un dessert pris en commun dans le réfectoire...et Lucie vint s'asseoir doucement à ses côtés.

Comme un animal peureux.

Avant de lui sourire gentiment.

" Et tes parents ? Où sont-ils ?"

Fanny dut mordre sa joue pour ne pas répondre vertement :

" Trop occupés à se foutre sur la gueule pour s'occuper de moi."

A la place, elle répondit, doucement :

" Ils étaient bien malheureux. J'étais une enfant difficile."

Lucie sourit, tristement, et posa sa main diaphane sur la sienne.

" Non. Aucun enfant n'est difficile. Tous les enfants méritent d'être aimés."

Fanny sourit.

Pleine de gratitude.

Quelle conne cette Lucie !

Le monde n'était pas celui des Bisounours et Fanny avait eu des parents de merde.

Aujourd'hui, ils étaient...

Aucune idée.

Et Fanny s'en foutait royalement.

Mais elle venait de faire bonne impression. Et si elle avait réussi son coup, elle venait de se faire sa première amie.

****************************

" Anthéa, comment montrer ses émotions ?

- Cacher ses émotions revient à s'oublier soi-même, à cultiver son invisibilité et à l'amplifier en tant qu'introverti. C'est aimer une image de nous-même forgée par toutes nos années de croyances apprises de nos éducateurs dans notre jeunesse au détriment de qui nous sommes vraiment.

Chaque jour, nous enfilons un masque social qui nous prive de notre authenticité.

- Anthéa !, fit Fanny, amusée et fatiguée de ce discours guindé. Comment montrer sa sensibilité ?

- Dis-moi. Sur une échelle de 1 à 10... :

- comment te sens tu à l'aise d'exprimer tes émotions et tes sentiments, d'être dans ta sensibilité ?

- et ensuite, dis-moi, à combien t'aimes tu ?"

Annotations

Vous aimez lire Gabrielle du Plessis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0