Exode 32 & 33 – Les hébreux se corrompent

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Dans ce nouveau chapitre, le récit s’intéresse à ce que font les hébreux durant l’absence de Moïse. Ce dernier est sur le mont Sinaï depuis près de quarante jours et les enfants d’Israël trouvent le temps un peu long. Aussi, alors qu’ils perdent patience, ils s’adressent ainsi à Aaron ; « Allons! fais-nous un dieu qui marche devant nous, car ce Moïse, cet homme qui nous a fait sortir du pays d'Égypte, nous ne savons ce qu'il est devenu. »

Sous la pression du peuple qui l’entoure, Aaron consent à s’exécuter. Il demande à ses compatriotes de lui remettre des bijoux en or. Lorsqu’il en a suffisamment collecté, « [Aaron] jeta l'or dans un moule, et fit un veau en fonte. » Pour le plaisir, nous pouvons nous arrêter un instant sur la formulation en français de cette phrase. En effet, la fonte désignant un matériau qui n’a rien de commun avec l’or, il peut sembler déroutant qu’avec des bijoux en or, on puisse faire un objet dans une autre matière. En fait, il faut juste comprendre qu’Aaron procède à la fonte de l’or dans un moule.

Le veau (d’or) achevé, Aaron satisfait de lui-même, se met à lui construire un autel, puis annoncent à tous que dès le lendemain ils feront une grande fête pour l’Éternel (le dieu veau). À nouveau les termes utilisés ont de quoi laisser perplexe. Aaron ne cherche pas à représenter le (vrai) Dieu unique, l’Éternel sous forme de veau, mais il a créé un nouveau dieu, un veau d’or, pour son peuple. Ce passage peut d’ailleurs nous éclairer sur le besoin viscéral des hommes à disposer d’une connexion à une entité divine tandis qu’ils savent pertinemment que celle-ci ne dispose d’aucune substance tangible et n’a donc pas d’autres influences sur le réel que la capacité à rassembler les hommes en communauté.

Le jour suivant, chacun se lève de bonne heure et les hébreux offrent des holocaustes et des sacrifices à la statue. Pour poursuivre la fête ; « Le peuple s'assit pour manger et pour boire; puis ils se levèrent pour se divertir. »

Sur ces entrefaites, l’Éternel (le vrai Dieu unique du récit) prévient Moïse que les enfants d’Israël sont en train de se pervertir et lui indique qu’il est grand temps de redescendre auprès d’eux. Dieu annonce qu’Il va s’énerver. « Maintenant laisse-moi; ma colère va s'enflammer contre eux, et je les consumerai; mais je ferai de toi une grande nation ». Comme autrefois son aïeul Abraham au sujet des villes de Sodome et Gomorrhe, Moïse négocie avec Dieu le salut de ses compatriotes. Il use d’une menace à peine voilée en mettant Dieu face aux conséquences qu’aurait sa colère; « Pourquoi les Égyptiens diraient-ils: C'est pour leur malheur qu'il les a fait sortir, c'est pour les tuer dans les montagnes, et pour les exterminer de dessus la terre? Reviens de l'ardeur de ta colère, et repens-toi du mal que tu veux faire à ton peuple. » Une nouvelle fois, Dieu fait preuve d’une certaine inconstance et se laisse convaincre par son prophète ; « Et l'Éternel se repentit du mal qu'il avait déclaré vouloir faire à son peuple. »

Cet échange clôt, Moïse entreprend la descente du mont Sinaï (avec les tables de la loi sous le bras). Sur le trajet, il rejoint Josué qui est resté à flanc de montagne durant ces quarante derniers jours. Ils finissent ensemble le chemin qui les sépare encore des hébreux. Lorsqu’ils arrivent à proximité du campement, Moïse voit le veau et constate avec effarement l’engouement de son peuple pour l’idole dorée et les festivités données en son honneur. La colère de Moïse s'enflamme. De rage, il jette les tables en pierre, qui se brisent au sol. Moïse entre dans le campement et « […] prit le veau qu'ils avaient fait, et le brûla au feu; il le réduisit en poudre, répandit cette poudre à la surface de l'eau, et fit boire les enfants d'Israël. »

Ceci fait, Moïse s’en prend vertement à son frère ; « Que t'a fait ce peuple, pour que tu l'aies laissé commettre un si grand péché ? » Aaron se défend comme il le peut et n’hésite pas à reporter ses fautes sur le peuple hébreu ; « Aaron répondit: Que la colère de mon seigneur ne s'enflamme point! Tu sais toi-même que ce peuple est porté au mal. / Ils m'ont dit: Fais-nous un dieu qui marche devant nous; car ce Moïse, cet homme qui nous a fait sortir du pays d'Égypte, nous ne savons ce qu'il est devenu. / Je leur ai dit: Que ceux qui ont de l'or, s'en dépouillent! Et ils me l'ont donné; je l'ai jeté au feu, et il en est sorti ce veau.»

Moïse ne décolère pas et afin que le peuple expie sa grande faute vis-à-vis de Dieu, il prend une initiative radicale. Moïse se place au milieu du camp et annonce ; « A moi ceux qui sont pour l'Éternel! » Parmi l’ensemble du peuple d’Israël, les membres de la tribu de Lévi (dont est également issu Moïse) se rassemblent derrière lui et s’apprêtent à mettre en œuvre les décisions de leur éminent représentant. Moïse poursuit ; « Ainsi parle l'Éternel, le Dieu d'Israël: Que chacun de vous mette son épée au côté; traversez et parcourez le camp d'une porte à l'autre, et que chacun tue son frère, son parent. / […] Consacrez-vous aujourd'hui à l'Éternel, même en sacrifiant votre fils et votre frère, afin qu'il vous accorde aujourd'hui une bénédiction.» À ces mots, « Les enfants de Lévi firent ce qu'ordonnait Moïse; et environ trois mille hommes parmi le peuple périrent en cette journée. »

Chacun l’aura compris, les annonces de Moïse sont doublement mensongères. D’abord, au cours de l’échange qui a été porté à notre connaissance, l’Éternel n’a jamais énoncé cette punition. Ensuite, puisque les membres des Lévi qui appliquent la peine, sont sa propre tribu, ils ne sont plus que des lointains cousins issus de germains avec les autres tribus (il faut remonter à Jacob/Israël pour qu’ils aient tous un aïeul commun). Autrement dit, aucun des Lévi n’est amené à tuer son frère ou son fils.

Le lendemain, tandis que les trois mille cadavres sont à peine refroidis, Moïse maintient la pression sur les hébreux. « Moïse dit au peuple: Vous avez commis un grand péché. Je vais maintenant monter vers l'Éternel: j'obtiendrai peut-être le pardon de votre péché. »

Tandis qu’il prétend avoir relayé les ordres directs de Dieu, Moïse remonte donc sur la montagne pour discuter avec l’Éternel sur la suite des évènements. L’échange qui s’ensuit ne laisse aucun doute sur le fait que Moïse n’a jamais eu l’ordre de Dieu pour faire tuer trois mille hommes, puisque ce massacre préventif n’est plus évoqué. Pour limiter la punition de Dieu, Moïse place sa propre défection dans la balance. Dieu refuse cette proposition, mais prévient qu’Il prendra sa revanche ultérieurement ; « Pardonne maintenant leur péché! Sinon, efface-moi de ton livre que tu as écrit. / L'Éternel dit à Moïse: C'est celui qui a péché contre moi que j'effacerai de mon livre. / Va donc, conduis le peuple où je t'ai dit. Voici, mon ange marchera devant toi, mais au jour de ma vengeance, je les punirai de leur péché. »

Dieu poursuit son discours à Moïse ; « Va, pars d'ici, toi et le peuple que tu as fait sortir du pays d'Égypte; monte vers le pays que j'ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant: Je le donnerai à ta postérité. / J'enverrai devant toi un ange, et je chasserai les Cananéens, les Amoréens, les Héthiens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens. / Monte vers ce pays où coulent le lait et le miel. Mais je ne monterai point au milieu de toi, de peur que je ne te consume en chemin, car tu es un peuple au cou roide. » Moïse redescend une nouvelle fois du Sinaï/Horeb et relate aux hébreux les paroles dvines ; « Lorsque le peuple eut entendu ces sinistres paroles, il fut dans la désolation, et personne ne mit ses ornements. / Et l'Éternel dit à Moïse: Dis aux enfants d'Israël: Vous êtes un peuple au cou roide; si je montais un seul instant au milieu de toi, je te consumerais. Ote maintenant tes ornements de dessus toi, et je verrai ce que je te ferai. / Les enfants d'Israël se dépouillèrent de leurs ornements, en s'éloignant du mont Horeb.»

Comme nous pouvons l’observer, le texte mélange allègrement l’échange entre Dieu et Moïse, la retranscription de cet échange par le prophète au peuple d’Israël (qui ne se déroule pas dans le même temps) et la réaction des hébreux à l’écoute du message ; puis à nouveau la discussion entre Dieu et Moïse. Le tutoiement employé par Dieu est tantôt à l’intention de Moïse, tantôt à celle du peuple en entier.

Arrêtons-nous un instant pour digresser sur les utilisations (semble-t-il équivalentes dans cette partie) des noms « Sinaï » et « Horeb ». Dans l’Exode, le mont Horeb est cité à trois reprises. D’abord, lors de l’épisode du buisson ardent (Exode – Chapitre 3), puis lorsque Moïse fait jaillir de l’eau en frappant un rocher avec son bâton (Exode – Chapitre 17) et enfin dans le chapitre que nous relatons (Exode – Chapitre 33). Dans le Pentateuque, l’appellation sera reprise également dans le Deutéronome (cinquième livre). Le terme Sinaï quant à lui, possède treize occurrences dans l’Exode, cinq dans le Lévitique, douze dans le livre des Nombres et une seule fois dans le Deutéronome. Manifestement ces deux appellations désignent un seul et même lieu (bien que cette observation ne soit pas l’objet d’une acceptation unanime par les spécialistes). La raison en serait assez simple et met à mal la théorie qui voudrait que Moïse soit l’auteur unique de ces livres. En effet, les spécialistes identifient quatre sources distinctes (à différentes époques) pour l’écriture de ces textes. Ainsi, deux sources utilisent l’appellation Sinaï et deux autres retiennent le nom d’Horeb pour une seule et même « montagne de Dieu ».

Moïse est redescendu (une nouvelle fois) de la montagne sacrée. Il prend la tente d’assignation (le tabernacle) et la déplace hors du camp. Il s’y rend ensuite sous les yeux de tous pour parler à Dieu (c’est moins pénible que de monter à chaque fois sur la montagne). Lorsque Dieu s’y présente, c’est sous la forme d’une nuée. « Et lorsque Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait et s'arrêtait à l'entrée de la tente, et l'Éternel parlait avec Moïse. » Durant l’absence de Moïse, les ouvriers ont donc eu le temps de la confectionner. De son côté, au regard des dimensions de la tente, Moïse est tout de même assez doué de ses mains pour démonter, déplacer, puis remonter seul le dispositif.

Dans la tente, « L'Éternel parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. Puis Moïse retournait au camp; mais son jeune serviteur, Josué, fils de Nun, ne sortait pas du milieu de la tente. » Josué est donc présent à chaque fois que Dieu et Moïse discutent (et on ne sait pas qui est Nun).

Ce que se disent Dieu et son prophète lors de ces entrevues est fascinant ; « Moïse dit: Fais-moi voir ta gloire! / L'Éternel répondit: Je ferai passer devant toi toute ma bonté, et je proclamerai devant toi le nom de l'Éternel […] / L'Éternel dit: Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. / L'Éternel dit: Voici un lieu près de moi; tu te tiendras sur le rocher. / Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu'à ce que j'aie passé. / Et lorsque je retournerai ma main, tu me verras par derrière, mais ma face ne pourra pas être vue. »

Ces échanges nous permettent de formuler une nouvelle affirmation : Dieu ne veut pas être vu de face, mais Il accepte de l’être de derrière. Également, nous pouvons désormais lever le doute sur son apparence physique évoqué au cours du chapitre précédent, en affirmant que Dieu a bien une main (au moins une).

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