Exode 13 et 14 – Le passage de la mer Rouge

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Les hébreux en armes, sont sortis d’Égypte et se dirigent vers la terre qui leur est promise par Dieu. Comme son aïeul Joseph en avait fait la demande/prophétie, (voir Genèse 39 à 50 – Joseph en Égypte) Moïse emporte ses ossements afin de les inhumer lorsqu’ils seront arrivés à destination.

À ce stade de l’histoire biblique, ce pays est occupé par « […] des Cananéens, des Héthiens, des Amoréens, des Héviens et des Jébusiens ». Dieu profite du début de voyage pour (re)transmettre ses exigences au sujet de la Pâque juive. En préalable d’un certain nombre de redites sur les recommandations alimentaires, Dieu édicte à Moïse une loi complémentaire sur laquelle il est nécessaire de s’attarder.

Dieu dit : « Consacre-moi tout premier-né, tout premier-né parmi les enfants d'Israël, tant des hommes que des animaux: il m'appartient. » Naturellement, il faut s’interroger sur l’emploi particulier du terme « consacré ». De prime abord, nous pourrions penser que les premiers-nés (mâles) doivent « consacrer » leur vie au service de Dieu. Cette explication pourrait être satisfaisante pour les humains, mais n’aurait aucun sens pour les animaux. Or, dans l’annonce de Dieu, ils sont placés sur le même plan que les Hommes. Sauf erreur, le terme « consacré » apparait signifier qu’il faut en réalité sacrifier (égorger et/ou immoler) le premier-né mâle. Cette exigence divine est en lien direct avec la dixième plaie et la mort de tous les premiers-nés des familles (et des animaux) parmi la population égyptienne. De leur côté, les hébreux ont préservé leurs premiers-nés de la mort en sacrifiant un agneau (innocent). Ceci en écho à l’histoire d’Isaac et Abraham, où au sacrifice de l’enfant par son père, se substitue finalement celui d’un animal.

Le peuple d’Israël devra donc désormais payer à l’Éternel une forme de dette, (éternelle elle aussi) en sacrifiant les ainés mâles, en guise de remerciement pour sa libération et sa sortie d’Égypte. Ainsi que nous l’avions laissé en suspens dans le chapitre précédent, il n’est pas précisé pour quelle raison les filles sont exemptées de cette pratique, tandis qu’il n’était pas clairement précisé de distinction de genre dans l’accomplissement de la dixième plaie. Une hypothèse serait de considérer que pour la mort des égyptiens, les termes « premiers-nés » ne renvoyaient implicitement qu’aux mâles, bien que paradoxalement une autre traduction propose « tout ce qui ouvre la matrice ». Nous pouvons plutôt comprendre que la mort de filles (fussent-elles les ainées) n’aurait sans doute pas provoqué le même traumatisme parmi les égyptiens et que ce sont donc bien les premiers fils qui sont décédés.

Pour les lecteurs qui pourraient avoir un doute (raisonnable) sur la volonté réelle de Dieu, nous pouvons consulter un autre passage bien plus lointain de l’Ancien Testament (Ézéchiel verset 20, bien au-delà des livres du Pentateuque). Dieu semble y faire amende honorable de cette loi et au sujet du peuple hébreu, Il dit : « Je leur donnai aussi des préceptes qui n'étaient pas bons, et des ordonnances par lesquelles ils ne pouvaient vivre. Je les souillai par leurs offrandes, quand ils faisaient passer par le feu tous leurs premiers-nés; je voulus ainsi les punir, et leur faire connaître que je suis l'Éternel. »

Cette demande de Dieu, (bien sympathique) perd toutefois assez rapidement un peu de son charme, puisque le père peut racheter son enfant contre une somme symbolique. Dans ce passage, Dieu ne fait rien sans attendre une contrepartie. Cependant, Il sait parfois être arrangeant. En fait, l’Éternel semble même préférer cette option et la préconise ; « Tu rachèteras avec un agneau tout premier-né de l'âne; et, si tu ne le rachètes pas, tu lui briseras la nuque. Tu rachèteras aussi tout premier-né de l'homme parmi tes fils. »

Nous ne pouvons aller jusqu’à dire que Dieu demande explicitement l’immolation des enfants. En fait, cette pratique est historiquement avérée aux premiers temps d’Israël (ainsi notamment qu’en Phénicie – le Liban actuel). Dans le texte, en reprenant et en adaptant un culte préexistant, Dieu semble davantage permettre une alternative à ce sacrifice par un paiement. La pratique de rachat des premiers fils est cependant toujours d’actualité dans la pratique du judaïsme (Pidyon Haben). Évidemment, si le père connait quelques difficultés de paiement, pour solder sa dette divine, il pourra toujours emprunter deux ou trois bûches et un couteau.

À l’issue de l’énonciation de ces quelques règles, Dieu conduit son peuple de Succoth vers la terre promise. Plutôt que de lui faire prendre la route la plus directe, l’Éternel opte pour un trajet qui traverse le désert en direction de la mer Rouge. Dans leur périple, les hébreux sont guidés par Dieu, qui est physiquement présent sous des formes différentes selon la luminosité ; « le jour dans une colonne de nuée pour les guider dans leur chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu'ils marchassent jour et nuit. » La nuée est une sorte de nuage vertical.

Le peuple d’Israël reçoit finalement la consigne divine de faire une halte à en bordure de mer. Fidèle à son plan, Dieu endurcit encore le cœur de Pharaon. Celui-ci regrette d’avoir laissé partir les hébreux. Il regroupe alors ses armées pour les prendre en chasse. « Et Pharaon attela son char, et il prit son peuple avec lui. / Il prit six cent chars d'élite, et tous les chars de l'Égypte; il y avait sur tous des combattants. »

L’armée égyptienne rattrape le peuple hébreu, tandis que celui-ci fait face à la mer Rouge (au sud de l’actuel canal de Suez). Les hébreux, bien peu reconnaissants (et quand même assez difficile à convaincre), reprochent à Moïse de les avoir exposés à la colère de Pharaon. Bien sûr, ils n’ont pas la possibilité de traverser le bras de mer et l’armée de Pharaon les talonne… « Ils dirent à Moïse: N'y avait-il pas des sépulcres en Égypte, sans qu'il fût besoin de nous mener mourir au désert? Que nous as-tu fait en nous faisant sortir d'Égypte? / N'est-ce pas là ce que nous te disions en Égypte: Laisse-nous servir les Égyptiens, car nous aimons mieux servir les Égyptiens que de mourir au désert? »

Si on regarde un peu les faits, les hébreux paraissent tout de même légèrement froussards et passablement pénibles. D’après le texte, ils forment un peuple de « six cent mille hommes de pied, sans les enfants ». Il faut souligner qu’ils sont décrits comme étant armés. Ils peuvent alors se défendre à mille individus pour un seul char (fût-il d’élite). C’est ici un chiffre minimal, car si le décompte des « hommes de pied » ne considère que les hommes en âge de combattre, alors avec les vieillards, les femmes et les enfants ils forment probablement un peuple de plus d’un million et demi de personnes. Nous pouvons aussi ajouter que les hébreux semblent accorder une très faible confiance dans les capacités de leur Dieu. C’est un peu étrange, puisqu’ils ont été témoins d’un certain nombre de prouesses réalisées au détriment des égyptiens et qu’ils savent tous pertinemment qu’Il est présent à leurs côtés (puisqu’ils suivent ses colonnes de nuée ou de feu jour et nuit). Au total et contre toute attente, les hébreux doutent, tandis qu’ils n’ont pourtant même pas besoin de croire.

En face sur le papier, l’armée égyptienne ne semble pas être très impressionnante. Certes, Pharaon a mobilisé toute son armée dont six cents chars d’élite. Mais, il faut se rappeler que les égyptiens ont tout de même subi de lourdes pertes dans leur population générale (et fatalement dans leur armée). Ils ont souffert d’ulcères, d’invasion de poux, ils n’ont plus rien à manger. Leurs animaux sont morts pour la plupart… Autrement dit, leurs chars d’élite, ce sont des paysans égyptiens faméliques qui doivent les tirer. Nous pouvons admettre que si tous les ainés de chaque famille égyptienne ont été tués, certains soldats soient particulièrement fâchés et aient l’envie d’en découdre… mais il doit bien y en avoir quelques-uns qui sont anéantis par le chagrin et qui ne souhaitent plus se frotter au Dieu des hébreux. Si l’on ajoute à cela que Dieu a annoncé, par la voix de Moïse, que Pharaon et son armée serviront à faire éclater sa gloire… peut-être n’est-il pas très sage pour les égyptiens de se lancer aux trousses des hébreux.

Comme on pouvait s’y attendre, Dieu a effectivement une idée (bien vicieuse) en réserve. Il place ses colonnes de nuée et de feu entre les deux peuples pour protéger la fuite des hébreux. Il demande à Moïse de lever sa verge, d’étendre la main vers la mer et de fendre les eaux. Bon en fait, dans ce prodige comme dans les autres, c’est Dieu qui fait tout, Moïse se contente d’agiter sa verge face à la mer Rouge qui se fend en deux, laissant un passage sec aux hébreux. « Les enfants d'Israël entrèrent au milieu de la mer à sec, et les eaux formaient comme une muraille à leur droite et à leur gauche. »

Un petit coup d’endurcissement des cœurs des égyptiens et ceux-ci s’engouffrent à leur tour entre les murailles d’eau. Dieu en profite pour ravager leur campement avec une colonne de nuée et de feu mêlés. Il enlève également les roues de leurs chars pour ralentir leur progression. Difficile d’affirmer si les paysans faméliques qui tiraient les chars ont trouvé ça efficace, mais on peut imaginer que oui. Les hébreux poursuivent leur traversée au sec. Quand tous les égyptiens se trouvèrent au milieu de la mer, Dieu demande à Moïse de refermer les eaux sur eux. C’est encore plus simple, il n’y a plus besoin de lever sa verge, il faut juste étendre la main vers la mer et elle se referme. Les égyptiens cherchent à s’enfuir, mais ils sont piégés. Ils sont recouverts par les flots tumultueux « … et il n'en échappa pas un seul. »

Dans ce passage, comme dans d’autres précédemment, Dieu ne fait preuve d’aucune mansuétude vis-à-vis de ses ennemis. À aucun moment, Il n’a sondé le cœur de chaque égyptien pour savoir si certains d’entre eux auraient pu trouver grâce à ses yeux. Dans les deux autres passages consacrés aux tueries de masse (le déluge, puis Sodome et Gomorrhe), Dieu a au moins fait semblant de s’intéresser à savoir s’il y avait des gens à sauver (même si la réponse était non). L’égyptien de base, soumis et obéissant à son pharaon, souffre et meurt pour le simple fait d’être égyptien. Affirmer que Dieu ne fait pas dans le détail, est encore trop conciliant. En fait, dans toutes ces interactions avec les hommes, Dieu n’a aucun égard pour les trajectoires et les qualités humaines individuelles. Soit l’individu est hébreu et passe la mer Rouge le pied au sec, soit il est égyptien et meurt noyé. Et c’est tout ! L’un ou l’autre peut bien être Gandhi ou Mère Theresa, pour un égyptien à l’époque, il n’y a pas d’échappatoire.

Dernier aspect notable de toute cette partie consacrée à la libération du peuple d’Israël, Dieu semble être dans une forme de compétition avec d’autres (éventuels) dieux. C’est ici un aspect plutôt déroutant de l’œuvre consacrée aux fondements du monothéisme qu’est le Pentateuque. Dans le chapitre précédent, tandis qu’Il évoque sa dernière plaie, Dieu dit ; « […] j'exercerai des jugements contre tous les dieux de l'Égypte. Je suis l'Éternel. » Dans le prochain chapitre (qui comprend un cantique qui relate l’épisode de la mer Rouge), il est écrit ; « Qui est comme toi parmi les dieux, ô Éternel? ». Davantage que de simples figures de style, ces deux extraits semblent admettre une supériorité de Dieu, non pas sur des croyances infondées, mais bien sur d’autres dieux.

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