Exode 4 ½ - Dieu veut faire mourir Moïse

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Dans la scène suivante, tandis que Moïse et sa famille font une halte pour la nuit au cours du trajet qu’ils effectuent vers l’Égypte, Dieu attaque Moïse et veut le faire mourir. Le père de famille ne doit sa survie qu’à la présence d’esprit de sa femme. Dans un éclair fulgurant de lucidité (il fallait y penser), Séphora découpe le prépuce de leur fils (on ne sait pas lequel) avec une pierre tranchante et le jette aux pieds de son mari en lui disant : « Tu es pour moi un époux de sang ! ». Grâce à la réaction de Séphora, Dieu suspend son projet et quitte les lieux sans davantage d’explications. Séphora laisse alors éclater sa colère et qualifie à nouveau Moïse d’ « Époux de sang ! ».

Cette scène qui ne se déroule qu’en quatre lignes, est aussi brève que déroutante. Elle est également particulièrement imprécise et de fait plutôt difficile à expliquer. Parmi les nombreuses incertitudes de ce court passage, il n’y a que peu d’éléments dont on peut être sûrs. Concernant l’intention de Dieu, celle-ci est très explicite dans sa formulation. Au sujet de Moïse, il est écrit ; « l'Éternel l'attaqua et voulut le faire mourir ». Autrement dit, Séphora, Guerschom et Éliézer ne sont pas inquiétés, car à la faveur de la nuit, Dieu ne cherche à faire mourir que Moïse, l’intermédiaire qu’Il vient de sélectionner pour libérer son peuple. Autre élément tangible, la réaction de Séphora est manifestement celle attendue par Dieu, puisqu’Il laisse tranquille Moïse lorsque son fils est circoncis. Il est aussi patent que Séphora, qui vient de sauver Moïse, est en colère après son époux et le manifeste vivement (par deux fois et avec des points d’exclamation).

Parallèlement à ces faits, il nous manque de nombreuses précisions pour comprendre la scène. D’abord, il n’est pas expliqué sous quelle forme l’Éternel se présente. Est-ce sous l’apparence d’un homme comme lors du combat contre Jacob, d’un ange, d’une bête sauvage, d’un feu, d’un souffle… ou d’une manifestation non-physique ? Nous n’avons pas la possibilité de le déterminer. Cependant, bien que l’Éternel ne semble pas s’annoncer ni décliner son identité, celle-ci ne fait de doute, ni pour le narrateur (qui est censé être Moïse), ni pour les autres protagonistes de la scène.

Ensuite, comme évoqué ci-dessus, le prénom de l’enfant concerné par la circoncision réalisée en urgence par Séphora n’est pas non plus énoncé. Or, il est certain que les deux fils de Moïse participent au voyage, puisque cette indication est présente quelques lignes plus haut ; « Moïse prit sa femme et ses fils […] ». Partant du principe que le prénom du second fils n’a pas encore été dévoilé au lecteur, on pourrait légitimement penser qu’il s’agit de Guerschom (l’ainé). Mais en réalité, quel que soit l’identité de l’enfant concerné, les questions en suspens restent impossibles à trancher (contrairement aux prépuces). Bien que cela soit plutôt probable, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que Moïse est lui-même circoncis. Que cela soit le cas ou non, manifestement au moins un de ses enfants ne l’était pas avant cette agression divine. Qu’en est-il du second ? Si Moïse et Séphora respectaient les traditions hébreues, dès leur huitième jour les garçons auraient dû être circoncis, l’un comme l’autre. Dans le cas contraire, aucun des deux n’a de raisons de l’être. La question est alors ; pourquoi Dieu abandonne-t-il son attaque (et semble donc satisfait), tandis qu’un des deux fils n’a toujours pas subi cette intervention, symbole de l’alliance entre l’Éternel et le peuple hébreu ? Enfin, comment Séphora parvient-elle à associer si rapidement l’attaque de Dieu avec l’incirconcision de son enfant et pourquoi en veut-elle à son époux ?

Et bien pour tenter de répondre à ces questions et obtenir un récit plus cohérent, il est nécessaire d’échafauder une série d’hypothèses.

Nous pourrions envisager l’antériorité d’un litige entre Moïse et Séphora au sujet de l’éducation religieuse de leurs enfants. Moïse, peu tourné vers la religion avant sa rencontre avec Dieu, avait toutefois conscience de son origine hébreue et connaissance du rite symbolique de l’acte de circoncision pratiqué par son peuple. À la naissance de leur premier enfant (Guerschom), Moïse a réussi à convaincre Séphora de l’importance de le circoncire. Mais l’enfant a mal vécu cette intervention et Moïse n’est pas parvenu à persuader son épouse de la réaliser également sur leur second fils Éliézer. Symboliquement, en s’en prenant à Moïse (qui est occupé à ne pas mourir), Dieu oblige Séphora à pratiquer elle-même sur son fils, l’acte qu’elle considère barbare et sanglant pour sauver son mari. Pour avoir été poussée à se soumettre à une obligation religieuse qu’elle réprouve, Séphora s’emporte contre Moïse, qu’elle tient pour responsable de la situation, en raison de ses origines hébreues. Si ces hypothèses sont retenues, l’enfant concerné serait alors Éliézer, en dépit du fait que son prénom n’ait pas encore été cité à ce stade de l’ouvrage et que sa naissance même n’ait pas clairement été évoquée.

Aussi satisfaisante que soit cette théorie (et qu’elle soit valide ou non, Dieu seul le sait), chacun conviendra que pour rendre ce passage cohérent (même sur le plan symbolique), il est indispensable d’adjoindre au récit canonique des théories complémentaires aussi élaborées qu’incertaines. Le texte seul, est frappant par ses imprécisions. Ainsi, combler ses lacunes, oblige à d’hasardeuses extrapolations, qui sont particulièrement propices aux interprétations et instrumentalisations.

Pour nous intéresser à Dieu, revenons à ce qui est intelligible hors de ces postulats alambiqués. Nous lecteurs, le savons depuis quelques générations, Dieu a une aversion pour les prépuces. Nous pouvons facilement comprendre que par cette agression nocturne, Dieu a voulu rappeler à Moïse et son épouse, l’importance à ses yeux de la circoncision.

La constatation qui s’impose est que la méthode d’enseignement est tout de même un peu énigmatique et radicale. Elle est également très risquée. Ils se font tout de même agresser de nuit par le patron, tandis qu’ils sont en voyage familial à sa demande. Comment Dieu, (qui ne connait pas l’avenir) peut-Il être certain que Séphora aura le réflexe de découper le prépuce de son enfant avec ce qu’elle a sous la main…? En effet, que ce serait-il passer si Séphora n’avait pas correctement saisi la situation ? Si elle avait tenté de combattre aux côtés de son époux ou s’était enfuie avec les enfants… ? Moïse serait-il simplement tombé sous les coups divins ? Sur ce passage, Dieu n’hésite pas à opérer des choix risqués.

Reprenons le contexte. Dieu veut faire libérer son peuple d’Égypte. Il se choisit un intermédiaire parmi son peuple, plutôt que d’y aller Lui-même. Tant qu’à faire, Dieu choisit son porte-parole parmi la nombreuse descendance d’Abraham (probablement parce qu’Il avait eu de bons contacts avec ce dernier). Cette descendance est abondante et parmi celle-ci, Dieu choisit Moïse. On peut se dire que Moïse a effectivement du potentiel, car il est capable de tuer un homme à mains nues pour une dispute. En plus il a été élevé par la fille du Pharaon précédent, il a donc en théorie ses entrées au palais. Par contre dans son curriculum vitae, il y a quand même des éléments qui clochent. Notamment, Moïse n’a aucune expérience dans ce type de travail, il a du mal à parler en public et au moins un de ses fils est incirconcis.

Sur ce dernier sujet, Dieu est tout de même bien placé pour savoir que Moïse a eu une enfance un peu bouleversée et que de ce fait, il n’a pas pu bénéficier d’un enseignement religieux soutenu. Avec un peu de bienveillance sur la situation et puisque la circoncision des enfants est importante à ses yeux, Dieu aurait pu évoquer ce point au cours de l’entretien d’embauche de Moïse et exiger qu’il soit en conformité avec les règles de l’alliance.

Mais sur le moment, Dieu passe outre toutes ces réserves. Il a envie de faire confiance à Moïse et Il accepte d’engager également son frère Aaron. Nous pouvons considérer sur ces aspects que Dieu pratique le népotisme.

Une autre hypothèse consisterait à envisager la possibilité que Dieu n’avait tout simplement pas conscience de l’incirconcision d’un ou des enfants au moment du recrutement de leur père. Cela signifierait que tandis que la famille s’installe pour la nuit (les enfants se dénudant pour enfiler leurs pyjamas avant de se mettre au lit), Dieu aurait alors découvert qu’un des enfants n’était pas circoncis. Subséquemment, sa réaction brutale pourrait être due à la surprise et à la déception liées à cette constatation.

Quelles que soient les raisons de l’attaque divine sur son représentant sur terre, Dieu fait preuve d’un peu de légèreté au niveau des Ressources Humaines.

La fin de ce chapitre est traitée brièvement, mais fait rapidement progresser l’histoire. Dieu contacte Aaron et l’enjoint à aller au-devant de Moïse. Les deux frères se retrouvent en montagne avant l’entrée en territoire égyptien. Moïse y expose les plans divins à Aaron. Puis, ils se rendent ensemble au pays de Gosen auprès des enfants d’Israël. Moïse informe les hébreux de la nature de la mission dont il est chargé par Dieu. Pour étayer son propos et convaincre ses compatriotes, Moïse est amené à réaliser quelques prodiges (qui ne sont pas détaillés) ; « Et le peuple crut. Ils apprirent que l'Éternel avait visité les enfants d'Israël, qu'il avait vu leur souffrance; et ils s'inclinèrent et se prosternèrent.»

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