Genèse - Conclusion

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La première réflexion qui peut être formulée à l’issue de la lecture de la Genèse, est qu’en dépit de ce qu’avancent la plupart des connaisseurs des religions monothéistes, deux des assertions les plus communes sur Dieu sont totalement absentes de la Genèse. En effet, d’une part il n’apparait à aucun moment que Dieu soit universel (dans le sens où il serait présent pour chacun)… puisqu’Il ne semble s’intéresser qu’au développement de ses adeptes. D’autre part, en aucun cas Dieu ne peut être considéré comme « bon » (au sens de miséricordieux ou juste et qu’Il souhaite le bien des Hommes). Ces caractéristiques viendront peut-être par la suite, mais pour le moment, elles sont manifestement inexactes.

Pour ce qui est de l’absence de bonté ou de compassion, en tant que valeurs morales, cette observation est aussi valable pour la majorité des personnages choisis par Dieu et dont nous pouvons suivre les aventures (on vous l’a dit que l’Homme était à l’image de Dieu…). Excepté Joseph, pour trouver de la grandeur d’âmes chez les élus de Dieu, il faut soit avoir de belles œillères et être équipé d’une mauvaise foi à toute épreuve ou être victime de gens qui transmettent, consciemment ou non, une version édulcorée et tronquée des textes originaux. Vous en aurez rapidement la certitude, si vous naviguez sur la majorité des pages internet faisant la promotion des religions monothéistes. Les explications ou interprétations de la Bible, visent en priorité à rendre acceptables des textes qui sont pour la plupart absolument révoltants.

Une autre solution peut consister à utiliser des textes additionnels, recomposés au fil du temps pour tenter de justifier les comportements des uns et des autres. Toujours en navigant sur la toile, vous pourrez trouver des textes qui justifient pourquoi Abraham (qui était sympa) a chassé Agar (c’est elle qui était méchante). D’autres qui expliquent que Jacob (qui était sympa) n’a fait que soulager Ésaü du droit d’ainesse qu’il ne voulait pas assumer (parce qu’il était méchant…). D’autres qui vous expliqueront pourquoi Gomorrhe a été détruite avec Sodome (parce que ses habitants étaient super méchants…).

Mais tout cela, les textes originaux ne le précisent pas. Il faut aller chercher des textes complémentaires qui ne font pas partie du canon initial, qui sont le plus souvent alambiqués et qu’il faut tordre dans tous les sens pour en extraire la signification souhaitée. Les trois religions abrahamiques sont particulièrement friandes de ce genre de procédés. Ces méthodes qui frôlent la malhonnêteté intellectuelle, sont utilisées à la carte en fonction de la problématique à traiter (ou de la critique à discréditer). Mais les textes complémentaires sont également nombreux et divisent allègrement les exégètes. Ce qui fait que personne n’est d’accord, ni sur les interprétations, ni sur les niveaux de recevabilité desdits textes !

Parfois, la présentation qui est faite des textes canoniques n’est pas seulement édulcorée, elle peut aussi être tout à fait mensongère. Ainsi, vous pourrez trouver des influenceurs qui vous expliqueront (sans sourciller) que les douze fils d’Israël étaient tous « bons ». Prenons Ruben qui est presque le plus sympathique du lot. Comme ses frères, bien qu’il ne participe pas au génocide, il collabore à la ruse de la circoncision dans l’épisode de Sichem. Ensuite (ou avant puisque cet épisode n’est pas forcément placé selon la chronologie supposée des faits), avec neuf de ses frères, il complote pour faire mourir Joseph. Au moment de le tuer, il est le seul à se raviser, puis à encourager les autres à (seulement) le jeter dans une citerne. Également sans l’accord de Ruben, Joseph est finalement vendu en esclavage. Par contre, il participe au mensonge rapporté à Jacob sur la mort présumée de Joseph. Par la suite, il a une relation sexuelle avec l’une des femmes de son père. Enfin, son dernier fait d’armes est de proposer la vie de ses deux fils en gage de la sécurité de Benjamin.

Est-il vraiment justifié de tordre le texte original jusqu’à trouver Ruben « bon » ? Ou est-ce seulement parce qu’il est considéré comme le fondateur d’une des tribus d’Israël, qu’il acquiert automatiquement cette qualité ? Et bien en fait, c’est tout à fait probable…

D’abord, il y a un intérêt politique évident (et tristement humain) à déclarer que l’un des pères fondateurs de la religion que l’on souhaite plébisciter, est un personnage « positif ». Ensuite, si l’on s’attache aux textes de la Genèse, Dieu ne qualifie pas les comportements qui sont bons ou non. En dehors du fait de le reconnaitre comme Dieu unique, de lui être fidèle et de le craindre, il laisse planer un gros doute sur les autres critères considérés.

Il s’agit ici de la base d’une deuxième réflexion. Je m’attendais naïvement, à trouver les prémices des enseignements des dix commandements à venir. Autrement dit, je m’attendais à ce que les différents personnages vivent des situations exemplaires qui illustreraient les comportements qui plaisent (ou déplaisent) à Dieu. Mais dans la Genèse, rien de tel. Pour être dans les petits papiers de l’Éternel, il faut impérativement (et au minimum) faire partie de la tribu des initiés, être circoncis (pour les hommes donc…) et craindre Dieu. Cela implique donc qu’à moins de répondre à ces critères, il n’y a apparemment pas de possibilité de se distinguer aux yeux de Dieu. Au final, être bon signifie d’accepter l’autorité de Dieu, de reconnaitre sa position d’être divin unique et éternel et de le considérer comme créateur de tout ce qui existe. Bien entendu, il faut aussi exécrer les prépuces, faire beaucoup d’enfants, le remercier régulièrement (en brûlant des animaux dès que l’occasion se présente) et accepter de placer son destin individuel entre ses mains. En adoptant cette grille de lecture, Ruben peut être alors considéré comme bon du point de vue de Dieu (et des religieux).

Bien sûr, à la lecture de la Genèse, quelques règles générales peuvent être comprises. Néanmoins, elles sont loin de couvrir toutes les circonstances que l’on peut rencontrer au quotidien. En voici quelques-unes parmi d’autres ;

Parmi les enfants, la situation de l’ainé est généralement la plus enviable (pour un garçon évidemment). Pour un cadet ou un benjamin, le désavantage peut être surmonté par l’utilisation d’un atout spécial, du type « amour du père » ou « élu de Dieu », ou simplement en éliminant son ainé.

Concernant la résolution de conflits, Dieu préconise deux options à mettre en œuvre en fonction de sa propre puissance et celle supposée de l’ennemi. En position de force, il conviendra d’utiliser une brutalité sans limites pour écraser l’opposant. Au choix selon la situation, outil tranchant, déluge d’eau ou de feu. En position de faiblesse, on privilégiera la ruse, la tromperie ou le mensonge sans aucune modération, en gardant bien à l’esprit que tous les moyens sont bons pour remporter la mise. L’atout spécial dans cette configuration, consiste à avoir Dieu à ses côtés.

Mais comment avoir Dieu à ses côtés ? Cette question amène à une troisième réflexion, relative cette fois aux méthodes employées par Dieu pour développer son culte. Alors certes, d’aucuns diront que les voix du Seigneur sont impénétrables, mais pour ce qui est de sa stratégie de développement, je ne qualifierai pas ses choix d’impénétrables, mais de plutôt déroutants. Au regard des moyens dont Dieu dispose (des moyens réputés illimités puisqu’Il est considéré omnipotent), il est compliqué de trouver une logique à sa stratégie.

Les religions monothéistes sont dites « révélées », au sens que Dieu s’adresse à des représentants choisis qui ont pour tâche de répandre la connaissance acquise. C’est d’abord totalement inéquitable, puisque les humains nés avant la révélation où ceux qui sont géographiquement trop éloignés du porte-parole divin, ne peuvent pas être informés (ils n’entrent donc pas dans le club des êtres auxquels Dieu s’intéresse).

C’est ensuite plutôt inefficace. Car pour Dieu, utiliser des patriarches ou des prophètes, représente une source non négligeable de complications. La révélation doit d’abord passer le filtre de la compréhension humaine et se retrouve noyée parmi tout un tas d’autres croyances. En gros, pour trouver le bon Dieu, il faut d’abord appartenir au bon peuple, être né à l’époque adéquate, puis choisir de faire confiance au bon messager plutôt qu’à n’importe quel (autre) illuminé lambda, qui prêcherait pour une autre paroisse (et c’est pas ça qui manque). Le message du Dieu unique en devient inaudible.

On peut se demander pour quelles raisons, Dieu a cru devoir se révéler plutôt que dès le début, maintenir suffisamment sa présence auprès des humains pour que son existence reste dans leurs mémoires. C’est une erreur que Dieu commet rapidement à la sortie du jardin d’Éden et qu’Il renouvelle après le reboot du déluge. Après que Dieu ait fait deux fois la même boulette, pourquoi ne pas opter enfin pour une solution efficace, en s’adressant directement à tous les humains, non par des mots, mais par une sorte de message télépathique universel (bah oui pourquoi pas ?) qui pourrait être compris par chacun. Cela éviterait notamment l’écueil de la traduction des textes originaux dans toutes les langues (je l’avais souligné que c’était une erreur cette idée de disperser les nations…).

Les religieux expliqueraient que tout ceci est fait par Dieu à dessein. En effet, la dimension de foi, en tant que confiance accordée (en signe de soumission) est centrale dans toutes les religions. Il s’agirait donc d’un choix de croire ou non, opéré par l’individu et qui donnerait sa valeur à la démarche. Mais on notera que dans les textes de la Genèse, si Dieu souhaite se faire reconnaitre pour ce qu’Il est, Il ne demande jamais à ce que ses adeptes « croient » en Lui. Et pour cause, puisqu’Il se manifeste régulièrement dans leur quotidien. Bien qu’Il soit de moins en moins présent au fil du texte, Il prouve son existence, sa nature et démontre sa puissance par ses actions. Il n’est donc pas question d’acte de foi (cela viendra plus tard, lorsque Dieu n’interviendra plus Lui-même), mais d’obéissance à des injonctions.

Au total, si Dieu souhaite faire respecter ses préceptes et se faire reconnaitre comme dieu unique, mais qu’Il n’est pas intéressé par le fait que les humains croient en Lui… il n’a aucun intérêt à entretenir le mystère. Dieu devrait se montrer et démontrer sa puissance. Il devrait punir ou récompenser en fonction des comportements qu’Il observe. Il devrait régenter directement le monde en indiquant ainsi clairement les règles qu’Il souhaite que nous suivions. Et surtout… surtout, Il devrait éviter de ne s’adresser qu’à quelques individus choisis, car en adoptant une telle stratégie, Dieu se complique inutilement la tâche (et la nôtre par la même occasion).

Nous pouvons nous accorder sur le fait que nous n’observons pas (ou plus) de manifestations directes de Dieu en ce bas monde (on peut toujours en voir partout, mais ça ne se fait pas sans parti pris). C’est notamment pour cela qu’afin de rendre les religions plus cohérentes, il va bientôt falloir adjoindre à la réalité physique (observable) une dimension de jugement divin post-mortem (inobservable). Pour le moment les textes de la Genèse abordent timidement une forme de vie après la mort « Abraham expira et mourut, […] et il fut recueilli auprès de son peuple. », mais il n’est pas encore question d’une évaluation des actions réalisées, ni des notions de paradis ou d’enfer, en fonction du jugement divin.

Bref, la méthode retenue par Dieu pour faire valoir son statut ne semble pas la plus efficiente. Et cela pose un vrai problème, notamment en ce qui concerne sa prétendue omnipotence qu’il faut dorénavant remettre en question…

À la lecture de la Genèse, nous avons découvert ensemble de nombreux aspects du caractère et du comportement de Dieu. Cependant, la quête n’est pas finie et d’autres questions se font jour. Est-ce que Dieu va devenir bon et miséricordieux ? Va-t-Il enfin expliquer ce qu’Il attend des Hommes ? Mais quand est-ce qu’il arrive Moïse ?

Pour découvrir les réponses à toutes ces questions… ne manquez pas les prochaines aventures de Dieu dans le livre de l’Exode.

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