Genèse 3 - Dieu chasse Adam et Ève du jardin d’Éden

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La scène suivante introduit un personnage inattendu. Le serpent. Non pas qu’il soit inattendu du point de vue de sa présence sur les lieux, puisqu’il fait partie du règne animal. Non, ce que personne n’a vu venir, c’est qu’il se révèle plus malin que les autres. Pour le coup, personne ne sait pourquoi, ni comment c’est possible. Jusqu’à présent, seul l’homme et la femme ont l’air d’avoir un peu de conversation. Mais le serpent en a et c’est un beau parleur. Il séduit la femme et la convainc de manger le fruit de l’arbre défendu. Il lui promet qu’en mangeant ce fruit, elle pourra avoir accès à la connaissance du bien et du mal. En même temps, c’est plutôt logique puisque l’arbre s’appelle « l'arbre de la connaissance du bien et du mal ». On peut se demander si l’intervention du serpent était bien utile pour que la femme sache à quoi s’en tenir… Je ne m’étendrai pas plus sur les capacités de compréhension de la première femme. La femme mange le fruit et en donne à Adam qui en mange aussi. Peut-être qu’Adam aurait tenu un peu plus longtemps sans manger de ce fruit si sa femme ne l'y avait pas incité... Mais c'est ainsi et cette question restera sans réponse. On peut y voir une faible capacité de l’homme à résister à l’influence d’autrui. Avec un peu de mauvaise foi, on peut aussi penser qu’Adam n’avait pas envie de déclencher une scène de ménage. Quoiqu’il en soit, l’objectif poursuivi par le serpent n’est pas très clair. On a compris qu’il n’était pas très sympathique, que cette manœuvre était destinée à nuire au couple humain et à Dieu. Mais, qu’a-t-il à gagner dans cette histoire ? Comment a-t-il pu acquérir des connaissances différentes de celles des autres créatures ? Il me semble qu’il n’y a pas de réponses à ces questions dans la suite du texte. En tout cas, au sein même de sa création, Dieu n’a pas que des amis.

Dieu découvre sans peine qu’Adam et sa femme, tentés par le serpent, ont mangé le fruit de la connaissance. Dieu accuse Adam, qui accuse sa femme, qui accuse le serpent. Ce dernier, malgré ses connaissances est resté sur place, comme s’il n’avait pas anticipé qu’il allait se faire avoir. Dieu prend la mouche, lance diverses malédictions et chasse tout le monde du jardin d’Éden. Le couple d’humains, n’aura plus accès à l’arbre de vie. Ce n’est pas explicitement indiqué, mais par voie de conséquence, Adam et Ève deviennent mortels.

Ève gagne son nom dans l’aventure. Personne ne sait si les animaux existaient ailleurs que dans le jardin d’Éden, mais en tout cas, après cet évènement ils se retrouvent dehors également. Dieu place des chérubins qui agitent une épée pour garder l’entrée du jardin et empêcher son accès. Jusqu’à présent, Dieu était tout seul pour tout organiser. Sans informations préalables, on apprend qu’il s’est créé des serviteurs.

Il y a plusieurs enseignements à tirer de ce passage. Dieu ne laisse pas de seconde chance. Dieu ne fait pas dans la demi-mesure. Dieu aime qu’on lui obéisse. Dieu délègue certaines tâches.

Mais ce passage nous apprend d'autres éléments intéressants qu'il est utile d'aller débusquer.

Dans le jardin, Dieu place l'arbre de la connaissance du bien et du mal, mais il est défendu d’en manger les fruits (contrairement à tous les autres arbres qui sont en libre-service). Le premier enseignement est que Dieu n’apprécie pas trop la science ni le libre arbitre. Du coup c’est tout de même un peu étrange de laisser trainer cet arbre dans le jardin. Dieu avait-il un arbre de la connaissance en trop dans son stock et il fallait bien le mettre quelque part ? Indubitablement, c’est Dieu qui a créé cet arbre. C’est donc intentionnel et c’est particulièrement intéressant pour la suite, car s’il l’a placé là en toute connaissance de causes, voire à dessein, il reste trois options.

Soit, Dieu est omniscient (et omnipotent), il a la maitrise des évènements à venir. Il sait donc pertinemment ce qui va se passer par la suite. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est un peu bizarre de mettre en œuvre le déroulement du péché originel juste pour le plaisir. Il jouerait la comédie en faisant mine de ne pas savoir qu’Adam et sa femme ont mangé le fruit défendu. Cette option est peu reluisante pour l’image que l’on se fait de Dieu… elle ne parait pas crédible ni logique.

Soit Dieu sait tous les possibles. Autrement dit, quoi que fassent Adam et Ève, Dieu le sait et le savait déjà. S’ils viennent à manger le fruit défendu, Dieu le savait. S’ils ne le mangent jamais, Dieu le savait aussi. Ça me laisse un peu songeur, car ces deux évènements issus du choix des humains, ne peuvent évidemment pas exister dans la même histoire. Dieu gérerait donc parallèlement une infinité exponentielle de multivers qui se créeraient à chaque dilemme pour qu’une partie s’effondre lorsque le choix est opéré. Dieu pourrait donc être envisagé comme un joueur d’échecs qui anticipe des possibilités. Bon, en principe dans une partie d’échecs, il y a un objectif et un adversaire. Est-ce le serpent ? Dans le cas qui m’intéresse ici, on peut s’interroger de l’intérêt d’une telle débauche d’énergie. Quoi qu’il en soit, dans l’espace-temps où je pense et je suis, il n’y a qu’une seule ligne historique qui découle linéairement d’une succession de choix. Je trouve que cette façon de voir les choses ressemble à une tentative (très humaine) de faire cohabiter le sentiment de libre arbitre que nous connaissons tous avec l’existence d’un dieu omniscient. Comme si la meilleure façon de maitriser tous les possibles, serait de jouer à pile ou face et d’attendre le résultat pour affirmer que Dieu l’avait toujours su avant. Pour clore ce débat, durant la phase initiale de création, à chaque fin de journée Dieu « valide » son travail. S’il a besoin de vérifier ce qu’il crée, de toute évidence il ne sait pas à l’avance si ce qu’il va faire correspond à ses attentes.

Dernière option, Dieu n’a pas la connaissance des évènements futurs et Il aime faire des expériences. Pour le coup, Il a besoin de valider, de vérifier le résultat de son expérience, comme au cours des six jours de création initiale. Dans le texte, on comprend qu’Il ne savait pas qu’Adam avait mangé le fruit défendu avant de lui demander. Il ne savait peut-être pas non plus que le serpent était moins idiot que les autres animaux (alors que celui-ci fait partie de la création) et se comporterait en tentateur. Au total, la situation « échappe » un peu à Dieu. Dieu est soumis aux principes de causalité.

La suite de l’ancien testament donne plutôt l’impression que cette dernière explication est la bonne. C’est toutefois un peu contre-intuitif de considérer que l’être divin, créateur de toutes choses, peut être soumis à d’autres éventualités que celles qu’il a édictées. En fait Dieu, découvre les évènements comme n’importe qui, seulement quand ils se sont déroulés. En plus de ça, même s’Il a l’air d’avoir de bonnes intuitions, Adam et sa femme doivent expliquer ce qu’il s’est passé pour que Dieu en prenne connaissance. Personnellement, je trouve que la colère de Dieu laisse comprendre qu’Il est surpris et déçu par la tournure des évènements. Dieu n’est pas omniscient.

Du point de vue des motivations divines, que peut-on déduire de ce passage ? Dans la première option, on ne peut pas comprendre les motivations de Dieu, puisqu’il sait déjà tout. Dans les deux suivantes, Dieu n’intervient pas au moment de l’action décisive, Il laisse s’exprimer le libre arbitre alors qu’Il en interdit paradoxalement la compréhension en ne permettant pas l’accès à la connaissance bien et au mal. Dieu est donc avant tout un observateur de sa création et des situations spécifiques qu’Il met en œuvre. Il ne réagit qu’après avoir constaté le déroulement de l’action. Dieu aime faire des expériences.

Du point de vue de la punition divine, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est un peu radicale. Dieu puni tout le monde, il n’y a pas d’excuse qui soit, ni de seconde chance. Dieu agit comme si Adam et Ève savaient qu’ils faisaient quelque chose de mal… Enfin tout de même, avant de manger le fruit défendu, ils n’ont aucune idée de ce que sont le bien et le mal ! C’est pour le moins saugrenu comme méthode d’éducation… Chacun sait que si tu interdis un truc sans expliquer pourquoi, à quelqu’un qui n’a pas de notion de bien ou de mal (un jeune enfant par exemple), il y a de grandes chances qu’il le fasse par curiosité… et si tu le menaces, il risque de le faire dans ton dos. En plus franchement, est-ce qu’on laisse des enfants jouer toute la journée dans un jardin plein d’animaux sauvages et de fruits empoisonnés sans jeter un coup d’œil de temps en temps par la fenêtre de la cuisine ? Si tu es omniscient, je veux bien. Mais là, on a vu que ce n’était pas le cas. Je ne veux pas être jugeant, mais clairement, par ses manquements, Dieu a une part de responsabilité dans la tournure désastreuse que prennent les évènements et il ne l’assume pas. Dieu ne maitrise pas les bases de la psychologie humaine. Dieu pratique une pédagogie punitive. Dieu ne se remet pas en cause.

Pour finir sur cette partie, même le lecteur peu attentif aura remarqué que les problèmes arrivent avec la femme. Le sixième jour, Dieu avait pourtant créé l’homme et la femme sur un pied d’égalité apparent. Mais dans la réalisation du projet, Dieu s’est contenté d’un morceau d’homme pour la former. C’est peut-être réussi sur un plan purement esthétique, mais du point de vue de la force de caractère, le niveau de finition est assez décevant (au début de l’histoire, le travail de création était quand même un peu plus abouti). Lorsqu’Il les chasse du paradis, Dieu installe un déséquilibre entre l’homme et la femme en instaurant un rapport de domination au détriment de la femme. Dieu est phallocrate.

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