Chapitre 27, partie 1 [⚠️] :

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Quelques instants plus tôt.

Angelo DeNil :

Mes muscles sont si tendus que j'ai l'impression de ne plus pouvoir bouger, statufié dans une torpeur étouffante. Mes ongles arrachent la peau de mes chevilles. Je ressens la douleur, pourtant ça ne me calme pas, elle intensifie celle qui me broie l'âme.

J'ai observé cette gourde de Marianna trainer Will à sa suite et la rage m'a envahi, ainsi qu'une souffrance pongitive dans ma poitrine. Je tente de freiner l'ardeur de mes pensées, de tout faire pour ne pas imaginer ce qu'il se passe dans cette putain de chambre. Mon cœur est comme comprimé dans un étau tranchant. Ces sentiments ne sont pas conseillés pour ma santé mentale défaillante. J'ai des envies de meurtres, je veux buter Noah Carter et éclater la bouche peinte en carmin de Marianna. Je souhaite refaire le portrait de chaque personne présente dans cette baraque de bourgeois. J'ignore ce que je fais ici, ni pourquoi j'ai refusé de partir avec Will quand il me l'a demandé. Je me suis comporté comme un connard revanchard et désormais j'en paie les conséquences.

Je relève la tête, les yeux brûlants, je me retiens de chialer, de crier. Assise en face de moi, Alexie Carter m'observe. Elle me zieute avec pitié, comme si elle avait compris tout le bordel qui se trame dans mon esprit. J'aimerais l'insulter, lui ordonner de ne plus me regarder, mais je ne suis pas certain de parvenir à retenir mes hurlements. Noah a diminué le volume de la musique, a interdit à quiconque de faire du bruit pour entendre si Marianna réussit à faire jouir Marx. Ça me met hors de moi de remarquer que l'assemblée obéit à ce débile. Personne ne parle et ce silence me monte à la tête.

Je me lève à la hâte, tourne en rond comme un lion en cage avant d'attraper une bouteille qui traîne sur la table. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle contient mais la garde bien en main alors que je me laisse crouler comme un déchet sur l'un des fauteuils, loin de ce cercle que je n'aurais jamais dû rejoindre. J'avale une gorgée en ignorant la brûlure que cause l'alcool le long de mon œsophage. J'ignore comment calmer mes nerfs, alors je continue de boire en me foutant que mon cerveau plein de cachets réagisse aussi mal que la première fois.

Du coin de l'œil, j'aperçois Rivierra s'approcher de moi. Si lentement qu'il donne l'impression de faire face à une bête sanguinaire susceptible de lui sauter à la gorge. C'est l'envie qui m'étreint, faire saigner tous ces connards qui se pensent supérieurs à moi. Le canapé s'affaisse lorsque Pietro prend place à mes côtés. Je l'ignore, concentré sur la bouteille d'eau qui gît sur la table basse en me demandant si cela est possible de torturer quelqu'un avec un récipient en plastique. Le besoin de tenter l'expérience sur Carter me chatouille le bout des doigts.

— Il ne l'aime pas, lâche subitement Rivierra.

Mon cœur se serre, mon corps se tend. Je m'imagine brûler cette maison en répandant sur le sol l'alcool que je tiens dans ma paume. Ça doit probablement bien flamber, ou je pourrais simplement me contenter de foutre le feu au chignon de Noah.

Quelle brillante idée, Lolo.

Elle est revenue, cette ombre malveillante. Elle est toujours présente lorsque je m'apprête à faire n'importe quoi, elle m'encourage, me pousse davantage dans le gouffre de ma folie.

— Qu'est-ce que j'en ai à branler qu'il l'aime ou non ? craché-je en faisant rouler le liquide clair dans la bouteille.

— Il ne faut pas lui en vouloir.

— Je n'en ai rien à foutre, de lui, d'elle, de toi et de tous vos connards de potes !

Alors que je termine ma phrase, un râle de plaisir se fait entendre. Des sifflements résonnent dans le salon tandis que mon cœur se brise en plusieurs bouts acérés. Chaque débris lacère mon âme atrophiée.

Will a gémi...

Il apprécie ça, il aime cette chaudasse de Marianna et moi, je ne suis qu'une merde que l'on n'ose même pas piétiner. Mon palpitant s'effrite davantage alors que Carter ancre son regard au mien en ricanant.

J'ai mal, putain. C'est douloureux, plus que lorsque la lame déchire ma peau, plus oppressant que de voir ma mère amorphe dans un canapé, plus déchirant que de ne plus avoir de père, plus angoissant que de ne pas réussir à donner une vie meilleure à ma sœur. C'est une douleur affreuse qu'aucun mot ne peut définir. Son gémissement retentit entre les parois de mon crâne fracassé, en une boucle infernale que je ne peux briser. Il me hantera probablement jusqu'à ce que je perde suffisamment de sang pour ne plus parvenir à penser.

Il s'est servi de toi, Lolo. C'est exactement ce qu'il voulait, t'humilier publiquement.

" Je refuse d'y croire ! Ferme-la ! "

Tu es tombé dans le panneau.

" Non. Non, je suis celui qu'il désire ! "

Tu n'es rien, rien du tout. Juste une ombre vaporeuse, comme moi.

" Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. "

Mon corps s'agite sans que puisse le contrôler. Mes mains tremblent, à tel point que la bouteille m'échappe et se répand sur la moquette rouge qui recouvre le salon. Mes jambes se tendent brusquement. Mon cœur est souffrant, j'ai la sensation que Marx le martèle à coup de crampons.

— Non. Non. Non. Non. Non. Il a gémi. C'est elle qu'il veut. Non. Non. Non.

— Wow, DeNil ! Calme-toi.

Mes oreilles sont inondées d'injures et de mépris. Ombre s'amuse à me rappeler que je ne suis personne, un simple voile de fumée qui se dissipe en un courant d'air glacé. Elle chuchote pour hurler l'instant suivant et c'est incessant.

C'est elle, Lolo. Ce sera toujours elle.

" Non. "

Tu ne vaux rien.

" Non. "

Un jeu. C'était un jeu pour lui.

— Non ! articulé-je en quittant le canapé. Ferme ta putain de gueule !

Tous les regards se braquent sur moi, certains surpris, d'autres rieurs. Ils me pensaient dérangé, je le suis bel et bien et en voilà la preuve.

— DeNil ? tente encore Pietro.

— Allez vous faire foutre ! pesté-je. Toi, lui, elle et tous les autres. Crevez, bande de connards insipides !

Les rires se répandent, je reconnais celui de Noah et j'ai envie de lui faire avaler l'alcool que j'ai laissé tomber jusqu'à ce qu'il s'étouffe, puis lui enfoncer le recipient au fond de la gorge pour qu'il sache ce que souffrir signifie.

Je dois m'en aller, j'ai besoin de respirer. Je me dirige vers la sortie, mes jambes tremblent, mes membres sont secoués de spasmes alors que mon cœur pulse si fort que chaque battement résonne dans ma tête.

Je quitte cet enfer pour retrouver le mien, celui de ma chambre, de ma vie en lambeaux, de mon cœur en morceaux. Là où je pourrais pleurer, crier à m'en déchirer les cordes vocales, là où le sang coulera encore et encore, jusqu'à ce que William Marx et ses gémissements disparaissent de ma tête, deviennent des mirages dans l'ombre de mon esprit.

Il faut que je m'éloigne de cette maison, de ce quartier qui ne me ressemble pas, et cela le plus rapidement possible. Pourtant je ne trouve pas la force de courir, d'y échapper. J'ai l'impression de traîner ma carcasse lasse, de ramper et de me déchirer les genoux contre le bitume. Mes pas me guident mollement, ma tête est vide de tout sauf de ce son qui m'a pris aux tripes, déchiré les entrailles. J'imagine Marianna, cette pétasse aux lèvres carminées, caresser Will. Peut-être même qu'il est en train de la sauter, durement, fortement jusqu'à ce que son foutre se répande en elle comme la pluie qui commence à tomber sur mes frêles épaules. La scène est dramatique, semblable aux navets romantiques qui passent à la télévision. L'héroïne qui se retrouve à errer dans les rues, sous une averse torrentielle, alors que l'homme qu'elle pensait aimer s'est foutu d'elle. Je suis cette nana, mais je suis loin d'être le héros de l'histoire. Je suis un grain de sable parmi tant d'autres sur une plage abandonnée, une île déserte. Minuscule, insignifiant, microscopique grain de sable.

Je plisse les paupières, des flashs lumineux apparaissent sous mes yeux. Le ciel est envahi de nuages gorgés d'eau ainsi que de faisceaux de lumière qui me brûlent la rétine. J'aimerais pleurer mais n'y parviens pas, trop dévasté, trop en colère, ébloui par ces sphères blanches qui parsèment l'étendue obscure au-dessus de ma tête. Je suis passé d'un film mélodramatique à une science-fiction à petit budget. Les soucoupes me précédent, semblent tracer ma route et je ne peux m'empêcher de les observer. Pourquoi personne ne réagit ? Ce qu'il se passe est incroyable, nouveau et irréel. Sont-il là pour moi, pour m'emmener dans leur galaxie, loin de ma douleur et de ma peine, de ma colère et de mon calvaire ? Je secoue les bras, la tête levée vers le ciel.

— Je suis là ! Eh oh ! Venez me chercher.

Je hurle et m'agite, m'offre à eux mais rien ne se produit.

— Je sais que vous me voyez, prenez-moi !

Sont-ils là pour me narguer, me toiser de toute leur indifférence ? Non, ils vont m'aider à oublier, à aller mieux, à revivre. Je continue d'avancer, les yeux brûlés par l'intensité de cette clarté artificielle. Je suis trempé, mes mèches collent sur mon front, dégoulinent sur mon visage et j'imagine Will éjaculer sur sa meuf, souiller son maquillage par giclées.

— Ne me laissez pas ici, crié-je à m'abîmer la voix, je ne veux pas rester dans un monde où je ne peux pas l'atteindre.

J'ignore où je suis, les éclairs lumineux sont trop puissants pour que je puisse me repérer. Pourquoi sont-ils là ? Ils m'ignorent eux aussi, personne ne veut de moi.

C'est normal, Lolo. Regarde-toi, tu déambules dans la ville comme un spectre perdu entre deux mondes.

Je me laisse tomber sur le sol en avalant un cri de douleur lorsque mes genoux et mes paumes rencontrent le bitume. Mes fesses auraient amorti la chute. Pourquoi me suis-je laissé tomber en avant ?

Parce que tu es pitoyable, dans l'incapacité de réfléchir. J'espère que tu souffres.

— Je souffre, mais pas à cause des cailloux sous mes genoux. J'ai mal parce qu'il la désire.

— Angelo ! Mon Dieu, mais que t'arrive-t-il ?

— Qui est là ?

J'ignore qui se trouve près de moi, peut-être qu'il n'y a personne. Il s'agit probablement d'une vicieuse amie d'Ombre qui s'est joint au tableau.

— C'est Loli. Lève-toi, ne reste pas là.

— Lolita ? Mais que fais-tu dehors ? Rentre à la maison !

— On est à la maison, tu t'es écroulé devant la porte.

Je l'entends mais je ne la vois pas, je ne vois rien.

— Ils m'ont ramené à la maison, bredouillé-je.

— Qui ? Je ne vois personne.

— Les ovnis, ils m'ont guidé jusqu'à la maison.

Une main se pose sur mon front, des petits doigts tout doux caressent ma peau trempée de pluie.

— Es-tu en pleine crise ?

— Crise ? Non, pas du tout. J'ai toute ma tête.

— Tu vois des aliens et tu ne sais pas comment tu es rentré. Je ne suis pas certaine que tu ailles bien.

— C'est elle qu'il veut, c'est pour ça que je souffre mais ça va en fait, puisque je ne suis pas seul. Elle l'a fait jouir et les soucoupes m'ont ramené. Tu vois, tout va parfaitement mal... euh bien.

Des bras s'enroulent autour de mon buste, Loli me presse contre elle. Je reconnais enfin son odeur, elle sent la vanille.

— Je ne comprends pas ce que tu dis, Lolo. De qui tu parles ? C'est quoi cette histoire d'extraterrestres ? Tu empestes l'alcool !

— Mais William ! Ce n'est pas évident ? Putain ! C'est moi qu'il doit désirer, pas cette connasse perchée sur des plateformes de quinze centimètres ! Tu comprends ? Je veux qu'il m'aime ! Moi ! Pas l'autre écervelée de nageuse de merde !

Mon corps se tend brusquement alors que je me demande si j'ai réellement prononcé ces mots. Les lumières disparaissent, ma vue retrouve peu à peu sa netteté, le visage de Loli apparaît sous mes yeux.

Mais qu'ai-je fait ? Ai-je vraiment débité toutes ces conneries ? Non. Je les ai simplement hurlées dans ma tête, cela ne peut pas être autrement. Je ne veux rien de tout ça. Je ne veux pas de lui, ni de ces sentiments inutiles qui me prennent à la gorge comme une corde trop serrée. Qui finira par pousser ce foutu tabouret sous mes pieds pour que ce calvaire cesse ?

— Angelo, tu es brûlant, chuchote-t-elle en pressant sa paume contre ma joue.

Je secoue la tête pour me remettre les idées en place, puis me relève précipitamment, les membres douloureux et le cœur en avance rapide. Qu'est-ce que je fais là ? Comment suis-je rentré à la maison ? J'étais avec Will, et maintenant je suis ici. Comment ? Pourquoi ?

J'observe Loli en tentant de dissimuler mon trouble, son visage est pâle et ses traits sont fatigués.

— Qu'est-ce que tu fais là ? demandé-je brusquement. Tu as école demain ! Va au lit, dépêche-toi.

— Mais... Angelo...

— Il n'y a pas de mais qui tienne, va te coucher.

— Lolo, ta crise... elle est terminée ? Tu es certain d'aller bien ?

— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je vais très bien. Allez, moi aussi je vais dormir.

— Non, tu...

— Lolita DeNil, la coupé-je, bouge-toi d'aller au lit sinon je te fous mon pied au cul !

Elle se redresse, acquiesce avec une mine déconfite sur le visage. Pourquoi est-elle si inquiète ? Je me sens parfaitement bien. Elle a probablement fait un mauvais rêve. Cela arrive plus fréquemment ces derniers temps, nous partageons la même chambre une nuit sur trois.

Je la suis à l'intérieur de la maison, elle avance lentement en me lançant des regards par-dessus son épaule. Mes doigts s'enroulent autour de son poignet avant qu'elle entre dans sa chambre afin de déposer un baiser sur son front.

— Tu veux que je te tienne compagnie ? me demande-t-elle d'une petite voix.

— Je vais dormir, je suis fatigué, refusé-je en esquissant un sourire qui se veut rassurant. Rejoins-moi si tu ne trouves pas le sommeil, mais n'oublie pas que tu commences les cours tôt demain.

— Je sais, mais... est-ce que ça va aller ?

— Bien sûr, je vais juste dormir, ne t'inquiète pas. Bonne nuit, ma Loli.

Elle hoche la tête, un pâle sourire sur les lèvres. Ses yeux me fixent durant quelques secondes, puis j'entre dans ma chambre lorsqu'elle referme la porte de la sienne.

Je me laisse tomber sur le lit en soupirant. Les ressorts échappés du matelas se plantent dans mon dos et me font grimacer. Je suis bien chez moi, il n'y a pas de doute.

Les yeux fermés, je cherche le sommeil qui semble me fuir. Morphée et moi ne sommes pas bons amis. Des images vaporeuses tapissent mes paupières, puis des bribes de ma soirée se succèdent dans mon esprit. Comment ai-je pu les oublier, ces souvenirs datant d'il y a une heure à peine ?

Putain de merde ! La douleur m'assaille à nouveau, avec plus de fureur cette fois.

Il a gémi, chantonne Ombre. Il a gémi, mais ce n'était pas toi.

Les événements que j'ai voulu inconsciemment enterrer tournent en boucle dans ma tête.

Je le déteste, putain ! Comment ai-je pu le laisser avoir tant de pouvoir sur moi ?

Les larmes dévalent mes joues plus rapidement que la pluie s'échoue sur la fenêtre de ma chambre tandis que j'entends résonner son plaisir qui ne m'était pas destiné. La souffrance est telle que je ne parviens plus à respirer. J'aimerais hurler mais seuls des râles de douleurs s'élèvent dans la pièce.

Prends là, elle t'attend. Premier tiroir de la table de chevet !

J'écoute le fruit de ma folie. Cette obscurité qui dicte mes actes comme un marionnettiste aux ficelles faites de barbelés.

Il ne m'a suffi que d'une minute d'acharnement pour déchirer mes avant-bras. J'observe le sang sur les draps, il souille ma peau, abîme mon corps, guérit mon cœur. La douleur me fait grincer des dents mais elle n'est pas suffisante pour oublier la raison de mon désespoir.

Tu as promis à Loli que tout irait bien, et regarde-toi maintenant.

Alors que je tends la main pour attraper mon carnet afin d'y ancrer chacun de mes maux, des coups résonnent à travers les murs de ma chambre. Je mets du temps à réaliser que quelqu'un frappe contre la porte d'entrée. J'enfile un pull pour dissimuler les traces de ma folle dévotion et traverse la maison en trainant des pieds. Je jette un œil à Bérénice affalée sur le canapé, ses ronflements me prouvent qu'elle est encore en vie.

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