Chapitre 26, partie 1 :

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Will Marx :

J'observe Angelo immobile à quelques mètres du perron de chez Pietro, les mains dans les poches et les sourcils froncés. J'ai une petite idée de ce qui se trame dans sa tête, et je suis certain qu'il ne va pas se priver de me dire ce qu'il pense.

— Tu viens ? demandé-je doucement, une main tendue vers lui.

— Sinon... tu y vas et moi je fais demi-tour.

Je dévale les marches pour le rejoindre. J'évite de le toucher même si j'en meurs d'envie. C'est trop risqué, il suffit que quelqu'un sorte ou se place devant une fenêtre pour avoir parfaitement vue sur nous.

— Tu m'as dit que tu allais essayer, murmuré-je. S'il te plaît...

— Cette soirée ne finira pas bien.

— Comment peux-tu en être sûr ? Tu ignores qui se trouve dans cette maison.

— Tu le sais toi ?

— Judas, Noah, Jordan, c'est sûr. Ensuite non, je ne sais pas. Mais tu sais, certains ne vont même pas faire attention à nous.

— Je ne peux pas voir Bloom, encore moins ce connard de Carter.

— Je le sais, mais je suis là moi. Et je suis certain que Pietro va te mettre à l'aise.

— Mouais, pas longtemps alors, concède-t-il.

Un sourire se dessine sur mes lèvres, je me retiens de déposer un baiser sur les siennes.

— Promis !

Je me positionne derrière lui et le pousse un peu pour qu'il avance. Lorsque j'ouvre la porte, j'entends sans mal les voix graves de mes coéquipiers ainsi qu'un léger fond de musique qui proviennent du salon. J'emmène Angelo dans la cuisine où l'on découvre Pietro en train d'enfourner une pizza remplie de fromage.

— Yo, l'aigle !

Il se tourne vers nous, reste quelques secondes figé avant d'écarter les bras.

Faucon, t'es venu accompagné, s'exclame-t-il en m'enlaçant brièvement.

Il joue bien la comédie, comme si ce n'était pas son idée d'inviter Angelo.

— DeNil, ça va mon pote ? demande-t-il en lui tendant la main.

— Mon pote, répète-t-il amèrement. Ouais, ça va tranquille.

Pietro ignore son sarcasme et nous propose un verre.

— Whisky ? Rhum ? Tequila ?

— Pas d'alcool pour lui, dis-je en attrapant mon gobelet.

— Comment ça ? Depuis quand tu décides pour les autres ?

Il me lance un regard rieur et je me souviens ne pas avoir précisé qu'Angelo ne devait pas toucher à la boisson. Je n'ai pas envie de le retrouver dans le même état que lors de notre nuit dans le van, à ne pas savoir quoi faire pour l'aider à reprendre ses esprits. Je souhaite le garder en sécurité.

— Pas d'alcool, approuve-t-il fermement.

— Ok, se défend Pietro en levant les mains. Allez, dégagez de là, j'ai des choses d'homme à faire.

— Faire cuire des pizzas ? plaisanté-je. Vraiment pour les hommes, ça.

On se dirige vers le salon dans lequel j'aperçois plusieurs de mes coéquipiers, dont comme je l'avais prédit, Judas, Noah et Jordan. Ethan Jonas, Valentin Corben, et Maël Tobias, sont également présents.

Je reste interdit face à Maël, c'est rare qu'il soit de sortie, davantage qu'il assiste à l'une de nos soirées. Évidemment, il fallait qu'il vienne ce soir alors qu'Angelo est présent. J'ignore pourquoi la jalousie m'étreint, je n'ai aucune raison de me faire du souci et j'en suis parfaitement conscient. Mon journaliste n'adresse la parole à personne sauf à Roselyne et moi. Maël exhale une aura puissante et savoir qu'Angelo a passé un long moment en sa présence lors de leur interview me rend ombrageux.

— Je n'apprécie aucune de ces personnes, râle DeNil près de moi.

— Tu ne les connais pas. Allez, fais un effort, essaie de te sociabiliser, murmuré-je.

— Je t'ai toi, déclare-t-il en ancrant son regard au mien. Ça me suffit amplement.

Mon cœur rate un battement. Ma réaction est toujours celle-ci lorsqu'il ôte ses barrières pour un autre sentiment que la colère, c'est à la fois perturbant et plaisant.

— Ne me dis pas de tels mots quand je ne peux pas te toucher, Angelo.

— Qu'est-ce qui t'en empêche ? me provoque-t-il.

— C'est toi qui refuse. Si ça ne tiendrait qu'à moi, mes lèvres seraient déjà sur les tiennes.

— C'est vrai, ne le fait pas... tout de suite.

Pas tout de suite. Ça veut dire que...

— Yo, Willy, m'apostrophe mon meilleur ami, vient par là deux minutes.

Angelo m'intime d'un geste du menton que je peux le laisser seul un instant. Je rejoins Pietro qui s'est écarté de l'attroupement.

— Vous avez officialisés ? me demande-t-il sur le ton de la confidence.

— T'es sérieux ? C'est pour ça que tu m'appelles ?

— Ça m'intéresse plus que tu ne le crois !

Je lève les yeux au ciel en souriant, puis grimace en réalisant que ma réponse ne sera sûrement pas celle qu'il espère entendre.

— Non, je suis encore en couple avec Marianna.

— Et donc ?

— Je vais rompre avec elle.

— C'est ce que tu veux ?

— Je crois...

— Tu crois ? m'interroge-t-il en arquant un sourcil.

— Non, en fait je suis sûr, marmonné-je. Je suis dingue de lui.

Pietro sourit et laisse apparaître ses dents légèrement écartées. Son bras encercle ma nuque pour une étreinte rapide et trop serrée.

— Mon frère est amoureux pour la première fois, c'est iconique !

— Ta gueule, grogné-je. Je ne suis pas amoureux, lâche-moi, crétin.

Il rit plus fort et me laisse enfin respirer. Son air joyeux se dissipe aussi rapidement qu'il est apparu et je comprends que notre petit échange va passer d'une discution légère à un dialogue plus sérieux. C'est ainsi qu'il fonctionne, si parfois je tente d'éloigner mes soucis en faisant tout pour ne pas y songer, Pietro est là pour me les étaler sous les yeux afin que je les affronte sans me défiler.

— Pourquoi ce n'est pas encore fait ? demande-t-il en inclinant la tête.

— Je n'ai pas eu l'occasion de parler avec Marianna, soupiré-je.

— Pourquoi ?

— On se voit très peu en ce moment, et lorsque ça arrive, nous sommes rarement seuls. Elle passe de plus en plus de temps à la piscine, les épreuves de natations approchent, et, je...

— Tu quoi ? insiste-t-il alors qu'il remarque mon hésitation.

— J'ignore quoi lui dire, soupiré-je. Je lui dois une explication et je ne sais pas vraiment comment tourner la situation. Ce n'est pas facile d'avouer que l'on souhaite mettre un terme à une relation qui date de plusieurs années parce qu'on éprouve des sentiments pour un autre type, tu vois ? C'est la première fois que je ressens ça, je ne suis pas gay et j'ignore comment me définir... c'est juste Angelo, et pas tous les mecs que je croise sur ma route et ça me fait peur.

— Je te le répète, tu es amoureux ! Tu n'as pas besoin d'explication, ni même de te mettre dans une case. C'est arrivé, voilà, c'est tout. Qui c'est, on s'en moque. Une nana, un mec, un arbre, ça n'a pas d'importance.

— Un arbre ? Sérieux ?

— Boucle-la, abruti ! Tu as très bien compris !

— Ouais, soupiré-je, je sais.

— Prends le temps qu'il te faut, mais ne tarde pas trop quand même. Cette situation est compliquée et mauvaise, autant pour toi que pour Marianna et Angelo. Tu ne pourras pas jouer sur les deux tableaux éternellement, ce ne sera pas supportable. Est-ce que tu as honte d'éprouver ça pour lui ?

— Quoi ? Non, pas du tout. Ça me perturbe, mais je ne suis pas honteux de vouloir être avec Angelo.

— Alors arrête de te triturer les méninges et agis dans ton intérêt sans te soucier des autres.

J'acquiesce en soupirant. Je sais qu'il a raison et j'avais probablement besoin de l'entendre pour enfin sauter le pas. Je jette un œil par-dessus mon épaule, et remarque qu'Angelo n'est plus là où je l'ai laissé il y a quelque minutes.

— Je vais le rejoindre avant qu'il se volatilise.

Pietro opine du chef en récupérant son verre sur la bar et me suit dans le salon.

— Qu'est-ce qu'il a ? m'interroge-t-il. Il a l'air aussi aimable que Christina Ricci dans le rôle de Wednesday Addams.

J'aperçois Angelo installé sur l'un des canapés, un peu à l'écart des autres. Les mâchoires contractées, les sourcils froncés, il jette des regards de tueurs à qui se trouve près de lui, les dissuadant de s'approcher.

Ce n'est pas ainsi qu'il va se faire des amis.

Ses yeux croisent les miens et ses lèvres s'étirent presque imperceptiblement. Il y a peu, je faisais partie de ces personnes qu'il toise et méprise. Désormais, il y a cette petite lueur qui brille dans ses iris lorsqu'il les plonge dans les miens et ce constat me réchauffe le cœur.

— Il n'est pas dans son élément.

— Ouais, s'amuse monsieur l'aigle royal, j'ai bien l'impression que tu es son élément.

— Tu fais dans la charité maintenant, Willy ? s'écrie Carter en tapant la paume de sa main dans mon dos.

J'ignore d'où il vient. Il se trouvait dans le fond du salon et le voilà maintenant derrière moi, sorti de nulle-part. Je serre les dents, j'ai du mal à le supporter ces derniers temps.

— Pourquoi tu dis ça ?

— T'as amené le détraqué avec toi. Il t'a fait trop de peine quand vous étiez paumés pour que tu joues les bons samaritains avec lui ?

Mon corps se crispe, je cherche rapidement le regard d'Angelo. Il est en train de fusiller Noah, à deux doigts de bondir de son fauteuil pour lui en mettre une. Ça me surprend de réussir à anticiper ses réactions, bien qu'en cet instant n'importe qui pourrait aisément le deviner.

— Ferme-la, Carter, craché-je. Fais attention à ce que tu dis de lui quand je suis dans les parages.

— Bon Dieu, ricane-t-il. J'espère que tu n'es pas trop jaloux, Pietro. On dirait bien que Marx s'est trouvé un nouveau meilleur ami.

Je lève les yeux au ciel, agacé par sa stupidité. Je l'ignore et vais prendre place près de DeNil, mon verre de rhum à la main.

— Je vais lui fracasser la tête, râle-t-il les dents serrées.

— Ne fais pas attention à lui, c'est un débile profond.

— C'est ton pote.

— Mon coéquipier, on n'est pas tous forcement best-friend-forever.

J'ai utilisé un ton efféminé pour tenter de le détendre. Ça à probablement fonctionné puisque ses yeux pétillent et un léger sourire enjolive sa bouche que j'aimerais embrasser.

— Je sors avec une vamp, ou quoi ?

— Tu quoi... ? demandé-je alors que mon palpitant s'enrage.

S'il continue ainsi, je vais finir par faire une attaque. Mon petit cœur n'est pas suffisamment solide pour endurer tant de frustration.

— Je... rien, en fait, peste-t-il. Tu es déjà pris.

Mes sourcils se froncent, je préfère faire un malaise causé par des paroles agréables plutôt que ses mots venimeux. Ça ne m'étonne pas, c'est Angelo...

Il est capable de me faire passer par un tas d'émotions en à peine quelques secondes. Je laisse tomber l'idée de le contredire lorsque Valentin et Judas viennent prendre place près de nous.

— Le match contre les Pitbulls était fou ! Mais on aurait préféré t'avoir avec nous, capitaine.

Je souris à mon coéquipier. Valentin Corben est l'un des plus calme de l'équipe. Sympa, il ne se prend pas la tête et apprécie tout le monde. Par contre, il devient hargneux lorsqu'il est sur un terrain, le démon le possède et ainsi, son attaque est impeccable.

— Mec, c'est quoi ton nom déjà ? demande-t-il à Angelo.

Ce dernier lui répond sans grand enthousiasme.

— Tu joues dans quoi ?

— Je suis journaliste, bougonne-t-il.

— Ah, c'est cool ! T'as déjà commenté un de nos matchs ?

Valentin essaie d'intégrer DeNil à la conversation et ça me fait plaisir. De sa part, ça ne me surprend pas, il ne fait aucune différence entre les gens. Sportifs ou non, s'ils sont sympas alors ils valent la peine d'être remarqués.

— Tu reviens quand sur le terrain ? m'interroge Bloom.

Son étonnement quand il a vu DeNil en ma compagnie n'est pas passé inaperçu, pourtant il s'est abstenu de tout commentaire. Judas n'est pas toujours bien luné et peut parfois se montrer dur. Entre lui et mon journaliste c'est loin d'être le grand amour mais il ne lui envoie pas de vacheries au visage toutes les cinq minutes contrairement à Carter. J'apprécie le fait qu'il ne pose aucune question quant à la présence d'Angelo, bien qu'il doive probablement s'interroger à ce sujet.

— Je reprends l'entraînement à partir de lundi, mais j'ai loupé les matchs de qualif.

— Je sais, tu vas faire comment pour ta bourse ?

J'avale le reste de mon verre pour calmer mon agacement en songeant au fait que Murray m'ait mis sur la touche pour les matchs les plus importants de toute ma scolarité.

— Je ne sais toujours pas , soupiré-je.

À ma droite, je sens le corps de DeNil se tendre brutalement. C'est un visage livide que j'ai soudain face à moi lorsque je tourne la tête pour l'observer.

— Attends, quoi ? s'exclame-t-il.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Merde ! Je suis trop con, je n'ai pas fait le rapprochement !

— Mais de quoi ? insisté-je.

— Ta bourse ! Les qualifications étaient la semaine dernière et tu ne jouais pas !

— Non... Je trouverai une solution.

— Putain, Will ! Mais pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

Je sens les regards de Judas et Valentin se braquer sur moi avec la désagréable sensation que ma peau brûle.

J'ignore quoi dire. Je n'ai pas évoqué le sujet parce que lorsque nous sommes ensemble, les seules pensées qui me viennent à l'esprit le concernent exclusivement.

— Je... je ne sais pas, j'avais autre chose en tête.

— Que peut-il y avoir de plus important que ton avenir, Marx ? s'agace-t-il.

Ne m'oblige pas à le dire... pas devant les autres, je t'en prie.

— Tu le sais très bien..., soufflé-je en serrant mon gobelet entre mes doigts.

Son expression change, sa colère se transforme en interrogation et enfin, il semble comprendre. Ses yeux s'adoucissent et il finit par hocher la tête avant de quitter mon regard pour fixer un point face lui.

Judas se racle la gorge tandis que Valentin essaie de continuer la conversation qu'ils avaient entamée.

Angelo est perturbé, je le remarque à sa façon de pincer les lèvres. Je sais qu'il se retient de me hurler dessus. Bien que doux, son regard s'est pourtant terni d'une lueur polaire. J'imagine sans mal tout ce qu'il aimerait crier, j'ai presque l'impression de l'entendre alors que sa bouche demeure scellée. Il s'abstient uniquement parce qu'il y a trop de monde autour de nous.

— Je vais me resservir un verre, lâche Bloom.

Je me redresse à mon tour et le suis sans prévenir Angelo. J'ai également besoin d'un verre, corsé de préférence.

— Les copains, vous avez faim ? s'enquiert Pietro avec enthousiasme.

Il agite une part de pizza sous mon nez. Mon front se plisse alors qu'une nausée me surprend en respirant l'odeur de nourriture.

— Ça va, merci, refusé-je.

— T'es malade ? s'inquiète-t-il en tapotant mon front. Depuis quand tu dis non à la bouffe ?

Je hausse les épaules, un peu décontenancé. Je viens de réaliser une chose terrifiante. J'ai cessé de songer à une solution pour l'université parce que mes pensées sont entièrement habitées par Angelo. Depuis plusieurs semaines, lui seul rôde dans mon esprit et cela qu'il soit près de moi ou non.

Bordel !

Pietro a raison. Je suis dingue de DeNil, je le désire, mais pas par curiosité ou simple attachement. Putain, non ! Je suis amoureux de lui, tellement que le reste me paraît insignifiant, même le refu de ma fichue bourse.

— Qu'est-ce qu'il a ? insiste Pietro.

— Je n'ai pas tout compris, répond Judas, il parlait avec DeNil et d'un coup il est devenu blafard.

Je suis bloqué, dans l'incapacité de dire ou faire quoique ce soit.

Je savais que ce que je ressentais pour lui était fort et intense. J'ai arrêté de me battre contre mes sentiments lorsque j'ai compris que c'était inutile de lutter, mais de là à...

Bordel, je suis amoureux d'Angelo DeNil, et je n'ai aucune idée de quand ni comment un tel événement à pu se produire.

— Ils parlaient de quoi ?

— De sa bourse d'études, mais c'est un détail, je crois qu'il y avait autre chose.

— Hein ? Bah, quoi alors ? s'impatiente mon meilleur ami.

— Un truc plus... personnel.

Personnel ?

Cela signifie-t-il que Judas a compris ? A-t-il fait le rapprochement et me voit-il différemment désormais ?

Non. Bloom n'est pas comme ça, enfin je crois. Notre amitié dure depuis des années, elle ne peut qu'être sincère.

Je sursaute lorsque deux mains s'agitent sous mon nez. C'est un retour brutal à la réalité. Je trouve le regard sombre de Pietro qui me fixe avec énormément d'insistance. J'attrape la bouteille de rhum et remplis la moitié de mon verre, les doigts tremblants et le cœur au bord de la rupture.

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