Chapitre 23 :

12 minutes de lecture

Angelo DeNil :

J'ouvre les yeux, agacé par le vacarme qui résonne dans le salon. Les voix de Simona et Bérénice me viennent aux oreilles, je comprends alors que ma mère n'est pas assez stone en cette heure matinale et parvient à tenir un semblant de conversation. Discussion qui paraît agitée si je me réfère aux bruits qui claquent partout : les portes, les placards, les chaises qui grincent sur le sol. Je me lève en soupirant et enfile les fringues sales qui traînent près de mon lit.

Lorsque j'arrive vers la source de cette cacophonie, j'aperçois la voisine fouiller les moindres recoins du séjour, sûrement à la recherche de la came de ma mère.

— C'est quoi tout ce raffut ? soupiré-je en me servant une tasse de café.

— Simona se prend pour ma marraine des narcotiques anonymes, bougonne Bérénice.

— Wah, maman ! m'exclamé-je faussement enjoué. Mais en fait... tu parles !

Cela faisait trois jours que je n'avais pas entendu le son de sa voix, trop shootée pour prononcer un mot. Mon sarcasme ne lui plaît pas puisqu'elle marmonne des propos inintelligibles en allumant une cigarette.

Depuis qu'elle m'a frappé, le soir de mon retour, je me montre distant avec elle. Habituellement, je lui brosse les cheveux, lui caresse le visage lorsqu'elle est à moitié consciente pour qu'elle sente une présence, mais tout ce cinéma est terminé. J'ai pris la décision de cesser le lendemain matin, quand j'ai nettoyé les plaies que je me suis infligées et étalé de la crème sur les hématomes de mon visage. Je me contente désormais de faire le strict minimum la concernant. Je vérifie si elle respire et lui prépare des repas qu'elle avale lorsqu'ils sont froids.

— Je suis désolée si nous t'avons réveillé, mais au moins tu seras à l'heure pour le lycée, dit Simona en embrassant ma joue.

Cela fait plusieurs années que Bérénice a délégué son rôle de mère à la voisine et cette dernière excelle dans le domaine.

— Ça ne risque pas, je n'y vais pas.

— Comment ça ? s'enquiert-elle en vidant un tiroir de cuisine. C'est lundi, tu retournes à l'école. Tu as loupé trop de cours.

— C'est normal, j'étais perdu dans le trou du cul du monde, ironisé-je.

— Tu es resté toute la semaine dernière dans ton lit, tu vas au lycée. C'est super important et il n'y a pas de discussion à avoir à ce propos.

— C'est faux, j'y suis resté que quelques heures par jour, j'avais trop de choses à rattraper dans ce taudis.

Mona me lance un regard peiné mais son autorité refait vite surface.

— Angelo DeNil, ne me mets pas en colère, me prévient-elle. Va à l'école !

— À quoi bon ? me défends-je. Je n'aurais jamais mon diplôme.

Elle délaisse le tiroir qu'elle était en train de fouiller et me fixe avec insistance.

— Tu te moques de moi ? s'exclame-t-elle en traversant le salon. Attends, je reviens.

Elle quitte la maison alors que je continue de boire mon café et que Bérénice écrase sa cigarette dans un cendrier qui déborde de mégots. La voisine réapparaît une minute plus tard, les bras chargés de magazines qu'elle laisse tomber sur la table bancale.

— C'est quoi ça ?

— Tous les journaux dans lesquels ton nom est inscrit, ceux du lycée et tous ceux parus à l'extérieur. Tu es très doué !

Je reste stoïque, étonné, et louche sur la pile qui se trouve face à moi.

A-t-elle vraiment acheté tous les quotidiens dans lesquels mes articles ont été publiés ? Il n'y en a pas moins d'une cinquantaine, Bérénice n'aurait jamais agi de la sorte.

— Tu es complètement folle, Mona, dis-je à la fois touché par son geste, et complètement désabusé.

— Pas folle, mais fière. Vous êtes comme mes enfants Loli et toi.

— Sauf que ce sont les miens, râle Bérénice de son canapé.

— En effet, mais on ne peut pas dire que ces dernières années tu as pris à cœur ton rôle de mère.

Je lève ma tasse de café en haussant les sourcils pour donner raison à Simona. Ça me fait de la peine d'agir ainsi, mais cette situation n'est plus vivable et il va bien falloir qu'elle le comprenne.

Elle ne comprendra jamais rien, elle est irrécupérable. Comme toi, Lolo.

— Tu peux prendre ta douche chez moi, j'ai l'eau chaude, me propose Simona. Je me charge de réveiller Loli et de préparer le petit-déjeuner.

Je lui souris, reconnaissant de tout ce qu'elle fait pour nous. J'espère qu'elle sait que je serais perdu si elle n'était pas là pour m'épauler. Elle compte énormément pour moi, j'aimerais lui dire parfois mais n'y parviens pas.

♤ ♧ ♤

Pour une fois, je ne me sens pas trop mal lorsque j'arrive au lycée. La douche chaude et d'au moins vingt minutes que j'ai pris chez la voisine m'a boosté. C'est ce dont j'avais besoin pour affronter cette journée et j'en ai pris conscience une fois sorti de la cabine embuée.

Il est grand temps que je trouve le moyen de payer les arriérés de factures ainsi que les réparations du foutu chauffe-eau. J'en ai ma claque de me laver à l'eau glacée.

Ma brunette préférée fait son apparition à quelques mètres de moi. Je vois ses yeux s'écarquiller quand elle m'aperçoit et j'imagine parfaitement ses sourcils haussés sous son épaisse frange. Roselyne ne perd pas une seconde, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle me saute dessus. Je la réceptionne en l'enlaçant d'un bras. Je ne suis pas tactile et elle le sait, mais là je ne peux m'empêcher de la serrer contre moi. Je la soulève un instant alors qu'elle rie tout en versant des larmes de joie.

— Lolo, s'exclame-t-elle en frottant son petit nez retroussé contre mon cou. Je suis si contente de te voir, je me sentais si seule sans toi.

— Je ne suis jamais bien loin, ma Rose, dis-je en la reposant au sol.

— Oh, c'est mignon ! Les deux intellos se sont retrouvés, ricane une voix dans mon dos. Alors, pause caca, c'était pas trop long sans ton acolyte ?

Je me tourne vers ce débile de Carter, les poings serrés. J'ai la fâcheuse envie de lui en coller une. Finalement, ma bonne humeur aura été de courte durée.

— Ferme ta gueule, Noah, grincé-je. N'appelle plus Roselyne comme ça si tu ne veux pas que ton chignon brûle. Faut-il que je te fasse un dessin pour que tu comprennes avec ton quotient intellectuel plus bas que la moyenne ?

— Il sort les griffes le petit journaliste, réplique-t-il en ricanant. Je plains Will d'avoir été obligé de supporter ta face tout ce temps.

Je serre les dents, anticipant la colère qui est sur le point de se diffuser dans tous les pores de ma peau.

Je vais lui éclater la tronche. Comment ose-t-il inclure Marx dans ses débilités ? Si seulement il savait, ce connard, à quel point son coéquipier me désire, il fermerait sûrement sa grande gueule. J'ai parfaitement conscience que Will me veut, je l'ai compris quand il a atterri devant ma porte il y a deux jours. Je le savais probablement déjà avant ça, mais refusais de l'accepter.

Avant que je n'ai le temps de riposter, Rivierra apparaît de nulle part et assène une tape brutale sur le crâne de Carter.

— Putain, mais tu vas la fermer ta bouche, crétin ! beugle-t-il.

Je reste bouche-bée une fraction de seconde face à ce que vient de faire le meilleur ami du type que je veux désespérément sans pour autant me l'autoriser. Rose pose sa main sur mon avant-bras pour attirer mon attention. Ses doigts exercent une pression sur mes plaies. Ma colère est telle que je me gorge de cette douleur salvatrice pour ne pas sauter à la gorge de Carter.

— Laisse les tranquille, bouffon, et bouge-toi pour être à l'heure en cours. Murray va te mettre sur la touche si tu déconnes encore, gronde Pietro.

Noah me nargue, un sourire de demeuré sur son visage de con et me bouscule en passant près de moi.

Je vais vraiment le buter. Je peux encore moins le voir en couleur que Bloom et c'est chose compliquée. Pietro reprend sa route vers l'entrée du bahut sans un regard vers nous.

— On a atterri sur une autre planète ? s'étonne Rose.

— J'en ai bien l'impression, réponds-je toujours hors de moi.

Elle attrape ma main et enlace nos doigts, puis me tire à sa suite pour pénétrer dans l'établissement. Tous les regards se posent sur moi alors que je longe les couloirs. Ça m'emmerde, je n'apprécie pas que l'on me reluque. Je tente de les ignorer, jusqu'à ce que je croise le bleu de ses yeux. Will me fixe avec une lueur de soulagement dans le regard. Sa tête se baisse, puis il fronce les sourcils en remarquant ma main dans celle de Roselyne.

Il scrute nos doigts entrelacés, immobile à deux mètres de nous, ses cheveux tombant sur son front. Il reprend rapidement ses esprits et lorsqu'il me regarde à nouveau, un sourire brillant enjolive son visage déjà outrageusement beau.

Mon cœur rate un battement, mais l'agacement ressenti plus tôt est encore trop présent pour que je me réjouisse de cet accueil. En deux pas il se dresse devant nous, nous surplombant de sa hauteur, de sa splendeur. J'avise les alentours, un peu crispé à l'idée que quelqu'un trouve à redire sur le fait que Will nous porte de l'attention.

— Salut, Rose, c'est ça ? demande-t-il gentiment.

Mon amie hoche la tête, complètement ébahie d'avoir le majestueux William Marx devant elle et qui, pour la première fois lui adresse la parole. Il lui sourit, un doux rictus sur le coin des lèvres, avant de se tourner vers moi.

— Pourquoi fais-tu cette tête, DeNil ? s'amuse-t-il en remarquant le froncement de mes sourcils.

— Tes potes sont des connards. Il serait temps d'envisager de changer d'entourage, grogné-je en le tuant des yeux.

— C'est ce que j'essaie de faire, concède-t-il, une intensité époustouflante dans le regard.

J'avale difficilement ma salive, alors que mes doigts se resserrent autour de ceux de Rose. Elle siffle doucement, comprenant que je lui fais mal je relâche ma prise et frotte mes paumes moites sur mon pantalon.

— Quelqu'un t'as fait chier ? demande-t-il finalement.

— J'ai ressenti l'envie brutale de buter Noah Carter, déclaré-je en haussant les épaules, désinvolte.

— Ce type est une tête à claque.

Je lui donne raison en approuvant d'un mouvement de tête.

— Heureux de te revoir au lycée.

Un sourcil levé, je le dévisage comme si une corne venait de lui pousser au milieu du front.

— C'est la première fois que tu me vois ici.

Il me sourit, un peu penaud et fait un pas vers moi. Mon corps se tend, dans l'appréhension de ce qu'il s'apprête à faire ou dire, sous les yeux éberlués de Rose, à la vue de tous ceux qui passent dans le couloir. Mais heureusement, ou pas, il n'a le temps de rien puisque les talons de Marianna claquent contre le carrelage alors que sa silhouette apparaît à quelques centimètres de lui. Il se crispe, moi plus encore et son regard bleu m'implore de l'excuser pour cette interruption malvenue.

— Je t'attends depuis plus de dix minutes, ronchonne-t-elle en fixant son copain.

— Je discutais.

La blonde pivote vers nous, comme si elle venait à l'instant de prendre conscience que nous sommes là. Le regard hautain qu'elle affiche en observant Rose m'énerve, celui de réel dégoût qu'elle jette sur moi me donne envie de l'étranger.

— Tu viens, bébé ? s'enquiert-elle en reportant son attention sur le grand brun qui ne me quitte pas des yeux.

— Je discutais, répète-t-il avec un peu plus de véhémence dans la voix. Donc, soit tu patientes, soit je te rejoins plus tard.

Elle dévisage son mec, me dévisage à mon tour pour finir par Roselyne. Elle s'apprête à répliquer mais je la coupe dans sa lancée en crachant rageusement :

— Ne t'inquiète pas, bébé, on se capte plus tard. Ne fais pas attendre miss pimbêche plus longtemps.

J'attrape la main de mon amie, alors que Will semble déçu et cherche à se plaindre sans pour autant prononcer un seul mot. En un regard, il me demande silencieusement de ne pas partir mais je n'ai aucune envie de parler devant celle qui profite de tout ce dont je me refuse.

— Allez, viens ma Rose, on se casse, conclus-je en alignant nos pas.

— Je rêve ou Will Marx, le capitaine des Lions vient de m'adresser la parole ? Et en plus il connaît mon prénom, s'émerveille-t-elle.

Je ricane, avec l'envie de lui dire d'oublier ses fantasmes parce qu'il est à moi.

Absolument pas, il est à Marianna. Pauvre petit Lolo tout tristounet.

— Et c'était quoi, ça ? Vous êtes amis ?

— Ouais, plus ou moins, marmonné-je.

— Je pensais que tu le haïssais ?

— Disons que je le déteste un peu moins maintenant.

— J'ai l'impression que tu as énormément de choses à me raconter.

— Rien de très fou, je te rassure.

Dans ma tête c'est l'effusion alors que je viens ouvertement de lui mentir. Tout ce qu'il se passe entre Will et moi est fou, démentiel... mais impossible.

Quand j'entre dans la salle de monsieur Noël, j'ai des envies de meurtres et le fâcheux besoin de retrouver Marx pour l'obliger à mettre à exécution les paroles qu'il a prononcées sur mon perron. J'aimerais qu'il la quitte pour n'appartenir qu'à moi.

J'ai envie de buter Carter et sa débilité, de noyer Marianna dans son propre fluide corporel, dans l'ordre qui me sera disponible le premier. Même si finalement, je souhaite qu'elle disparaisse rapidement, juste pour qu'elle ne pose plus jamais, ne serait-ce que son regard sur Will.

— Bon, les enfants, commence le prof en se frottant les mains, cette semaine vous passez aux travaux pratiques. En binôme, vous allez monter une liste de questions pour deux joueurs qui vous seront attribués. La règle est simple : les interviewer. Vous avez un minimum de dix questions à poser, dont quatre qui ne concernent pas le sport. Autrement dit, vous devez vous immiscer dans la vie privée des joueurs. Un bon journaliste est capable d'aborder n'importe quel sujet, même le plus tabou. Soyez inventifs et n'ayez peur de rien !

Je laisse ma tête tomber contre mon bras, complètement couché sur la table. Je n'aime pas ce genre d'exercices. Je préfère de loin écrire mes articles dans l'ombre, en faisant mes propres recherches, et sans être contraint de poser une suite d'interrogations stupides pour ensuite tout retranscrire sur papier.

— Vous travaillerez avec votre voisin de table, continue Noël, vous avez jusqu'à jeudi midi pour m'envoyer vos devoirs sur ma boite mail. Les interviews les mieux montées et les plus abouties seront dans le journal de la semaine prochaine. J'en sélectionnerai cinq.

Il récupère un bol rempli de petits papiers et le pose sur la première table face à lui.

— Piochez tour à tour dans le bocal pour découvrir vos joueurs. Oh, et j'allais oublier, c'est l'équipe de football masculine qui passera au crible pour cet interrogatoire.

Sainte-mère de Dieu ! Pourquoi en étais-je déjà certain ? Les footballeurs sont les pires, les plus vantards, prétentieux et ceux que j'apprécie le moins.

— On travaille ensemble, s'enthousiasme Rose assise à mes côtés.

— On travaille toujours ensemble. C'est l'avantage de toujours prendre les mêmes places.

— Ou de ne pas avoir d'autres amis, s'amuse-t-elle avec tout de même une légère pointe de tristesse dans la voix.

— Ouais, aussi.

Lorsque le bol arrive enfin à notre hauteur, je le fais glisser vers Roselyne pour qu'elle pioche la première. Elle plonge sa main dedans et remue tous les papiers avant d'en sortir un. Elle le déplie lentement et finit par dire :

— Maël Tobias.

— Ce n'est pas le pire, approuvé-je en hochant la tête.

Maël est un joueur discret, qui ne se mélange quasiment pas et qui ne participe jamais aux stupidités de ses coéquipiers. Il se contente de jouer, parfaitement, il faut l'admettre. Le reste ne l'intéresse pas plus que ça.

— En effet. À ton tour !

Mes doigts glissent entre les papiers froissés et c'est en fermant les yeux que je sors celui que j'ai récupéré. J'inspire doucement avant d'ouvrir de nouveau les paupières.

— Putain de sa mère ! grogné-je en découvrant le nom inscrit à l'encre noire.

C'est bien ma veine ça. Pourquoi ne veut-il jamais me lâcher ?

— Qui est-ce ? s'impatiente Rose.

— Will Marx, me lamenté-je en observant son prénom comme s'il allait miraculeusement se matérialiser devant moi.

J'ai l'intuition que ce devoir va se révéler riche en sensations fortes.

Interview de malheur !

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0