Chapitre 21, partie 2 :

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Will Marx :

J'entre dans la bibliothèque en traînant les pieds. Je dois réviser les cours que j'ai loupé pour espérer avoir mon diplôme à défaut de ne pas pouvoir profiter de ma bourse. Je n'ai rien de mieux à faire, normalement j'aurais dû être sur le terrain. Je dois m'occuper l'esprit pour ne plus me morfondre. Je récupère plusieurs bouquins dans les nombreuses étagères, maths, philo, littérature et m'installe à une table, seul, les écouteurs bien enfoncés dans les oreilles et Kurt Cobain qui chante sa mélancolie.

Je mâchouille mon crayon, me triture les méninges avec toutes ces lettres mêlées aux chiffres, ces symboles, et ces touches de calculatrice que je ne trouve jamais. J'ai beau ne pas être bête, je n'ai jamais excellé en mathématiques.

Alors que je griffonne quelques réponses sur ma copie que je ne cesse de raturer, j'aperçois la chaise bouger face à moi. Je relève la tête pour croiser le regard aux iris noirs d'Alexie. Elle me fait signe de retirer une oreillette. Je m'exécute dans l'instant, soulagé à l'idée de penser à autre chose qu'à ces nombres qui grillent mon cerveau.

— Will la menace, ça fait un bail, s'exclame-t-elle en rabattant ses épaisses boucles brunes derrière son épaule.

— Carter, la salué-je, tu es là pour m'aider avec ce devoir à la con ?

Elle ricane et jette un œil à ma fiche, puis fronce les sourcils en secouant la tête.

— Je ne suis pas celle qu'il te faut, j'ai eu dix à ce contrôle.

— Noté sur vingt ?

— Cinquante, rectifie-t-elle en un éclat de rire.

— Je suis mal barré, soupiré-je.

Elle pose sa main sur mon avant-bras, se montrant compatissante en apparence mais je peux lire au fond de ses yeux sombres qu'elle se moque de moi.

— Qu'est-ce que tu veux ? m'enquiers-je finalement.

— Je viens aux nouvelles, mon frère m'a dit que tu n'avais toujours pas repris l'entraînement.

— Noah parle trop, grogné-je en maudissant intérieurement mon coéquipier. Ouais, je suis encore hors-service et ça me gonfle.

Elle me regarde avec compréhension cette fois, son amusement ayant complètement disparu.

— Ça doit être dur. Je pense que je ferai un infarctus si on m'empêchait de m'entraîner.

J'observe la hockeyeuse avec attention. Alexie est une guerrière, elle ne vit que pour manier une crosse, un peu comme moi avec un ballon de foot alors je comprends parfaitement son ressentiment. Je suis dans cette situation depuis trop longtemps à mon goût.

— On n'a pas vraiment eu le temps de discuter depuis que tu as fait ta réapparition. Raconte-moi, c'était comment cette escapade en pleine nature ?

— Pas vraiment agréable sur tous les points, avoué-je. Mais j'étais en bonne compagnie, enfin... parfois. Ça aurait pu être pire.

Elle fronce les sourcils, un rictus déforme ses lèvres.

— Comment ça " parfois " ? C'était qui déjà ? Le type bizarre de deuxième année, non ?

Je la foudroie du regard. Cette fille est mon amie depuis des années, la meilleure de Marianna depuis plus longtemps encore, pourtant j'ai envie de lui arracher les yeux juste pour une phrase qui je suis certain n'était même pas destinée à être méchante.

— Angelo DeNil, grogné-je, et il n'est pas bizarre.

— Je ne le connais pas personnellement, c'est ce que les gens disent, se justifie-t-elle en haussant les épaules. Il m'a interviewé une fois pour le journal du lycée. En tout cas je ne l'ai pas vu depuis votre retour en ville. Il allait bien quand vous êtes rentré ?

— Pourquoi ? demandé-je précipitamment.

Je suis idiot...

J'ai l'impression d'être démasqué, qu'Alexie a entendu mes pensées et sait tout ce qu'il s'est passé entre nous, alors qu'elle pose sûrement cette question parce qu'on est resté bloqué ensemble pendant presque deux semaines.

— Je ne sais pas, avec ce que vous avez traversé je pensais que vous étiez devenus amis.

— C'est le cas, réponds-je sur la défensive.

J'ai un pincement au cœur en songeant que même une amitié, Angelo me la refuse...

— Et donc, il va bien ?

— Je n'en sais rien, soupiré-je, je n'ai aucune nouvelle.

— Tu as essayé de le joindre ? me demande-t-elle en feuilletant mon livre de maths. Peut-être qu'il a du mal à se remettre du traumatisme que ça a été d'être en pleine forêt sans savoir comment en sortir.

Je hoche la tête, à moitié d'accord avec elle. S'il a du mal à se remettre, j'ai bien peur que ce soit pour une toute autre raison que ce qu'elle imagine. Un peu comme moi, nos baisers volés sont l'objet de toutes mes pensées, et c'est en train de me rendre dingue.

— Il n'a pas de portable et je n'ai pas sa ligne fixe, murmuré-je dépité, ni son adresse exacte pour aller voir comment il se porte.

Je suis terrifié à l'idée qu'il se soit fait du mal. Parfois, je me réveille en pleine nuit suite à un cauchemar horrible dans lequel il est le protagoniste. Inerte, en sang, sans cette étincelle de malice dans les yeux mais plutôt une souffrance affreuse. Cela se produit aussi lorsque Marianna partage mon lit, elle ne s'aperçoit même pas que je suis secoué par un brutal sursaut et dans l'incapacité de respirer convenablement.

— Tu devrais aller au secrétariat, me dit-elle en souriant gentiment.

Je fronce les sourcils, je ne vois pas bien l'utilité.

— Pourquoi ?

— J'avais perdu le numéro d'une fille de ma classe avec qui je faisais un exposé. La secrétaire a bien voulu me le rendre, m'explique-t-elle en dessinant des formes abstraites sur ma copie.

Un sourire ourle mes lèvres, alors que l'envie de l'enlacer me submerge. Je m'abstiens pourtant, même si nous sommes proches, nous n'avons jamais été très tactiles. Je suis toujours ébahi en songeant que Marianna et elle sont meilleures amies depuis l'enfance. Elles sont aux antipodes l'une de l'autre, le jour et la nuit.

Je me relève en récupérant toutes mes affaires à la hâte, sous le regard intrigué d'Alexie.

— Tu es une reine, Lexi, m'exclamé-je en embrassant le sommet de sa tête.

Un nouvel espoir naît en moi alors que je traverse le bâtiment A pour rejoindre le B. Je m'immobilise devant la petite dame aux cheveux grisonnants, essoufflé de m'être dépêché pour arriver jusqu'ici.

— Monsieur Marx, puis-je vous aider ? me demande-t-elle gentiment quand elle relève le regard vers moi.

J'acquiesce en lui souriant.

— Absolument ! J'ai des devoirs à finir avec une certaine personne qui n'est pas présente depuis quelques jours et j'ai vraiment besoin d'entrer en contact avec elle. Ce serait possible d'avoir le numéro de sa ligne fixe ?

— De qui s'agit-il ?

— DeNil Angelo, dis-je à toute vitesse.

Elle hausse un sourcil, me fixe quelques instants puis finit par tapoter sur le clavier de son ordinateur.

— Travaillez-vous réellement avec ce garçon ? m'interroge-t-elle avec scepticisme.

J'opine sans prononcer un mot. Le regard de la secrétaire jongle entre mon visage et l'écran de l'ordinateur.

— Vous êtes en dernière année, n'est-ce pas ?

J'approuve d'un second mouvement de tête.

— Monsieur DeNil en deuxième ? continue-t-elle en remontant ses lunettes sur son nez.

— Euh... oui.

— Pourquoi me mentez-vous, monsieur Marx ?

Visiblement cela ne va pas se passer comme je l'espérais.

J'ai été idiot, nous ne sommes pas de la même année, il est évident que nous ne suivons pas les mêmes cours, de plus, il est en journalisme et moi pas.

Je soupire alors que mes épaules s'affaissent. J'opte finalement pour la franchise, c'est l'option sur laquelle j'aurais dû me tourner en premier.

— Bon d'accord, soufflé-je. En réalité... je pense que vous le savez, comme tout le monde dans cet établissement, Angelo et moi avons surmonté des évènements compliqués. Il n'est pas venu au lycée depuis notre retour en ville. Je m'inquiète beaucoup et je n'ai aucun moyen d'entrer en contact avec lui.

Elle m'examine, pendant ce qui me semble durer une éternité, cherchant probablement à savoir de quel côté penche la balance.

— Je veux juste m'assurer qu'il va bien, continué-je avec émotion.

Elle soupire et attrape un post-it pour griffonner le numéro que je t'attends.

Mon cœur s'emballe, je vais pouvoir lui parler après une semaine sans avoir entendu le timbre brisé de sa voix. Je peine à me reconnaître, d'où sortent toutes ces pensées niaises ?

— Vous pouvez me mettre son adresse aussi ? Vous savez, au cas où je n'arrive pas à le joindre.

J'ai conscience que ma demande est exagérée, mais mieux vaut prévenir que guérir. S'il ne me répond pas, je pourrais tenter de me rendre sur place pour examiner son état.

— Je ne suis pas autorisée à faire ça, monsieur Marx.

— Oui, j'imagine que c'est confidentiel mais j'ai réellement besoin de savoir comment il se porte. Je dois m'assurer que tout va bien pour lui, supplié-je presque.

— J'espère sincèrement que vos intentions ne sont pas mauvaises, insiste-t-elle en m'observant par-dessus ses lunettes.

— Bien-sûr que non ! Et soyez sans craintes, je ne dévoilerai à personne que vous m'avez donné ce renseignement, Margaret, je vous l'assure !

— Je vous fais confiance, monsieur Marx, alors ne me décevez pas.

— Promis ! m'exclamé-je, un grand sourire aux lèvres.

Le papier enfin en ma possession, je m'empare de mon téléphone et compose le numéro avant même de quitter le bâtiment. Mon cœur martèle ma poitrine alors que les sonneries résonnent à mes oreilles.

— Oui, allô ? retentit une voix féminine, douce et délicate.

J'expulse l'air de mes poumons alors que je m'adosse contre le mur pour me laisser glisser jusqu'au sol.

— Je suis bien chez les DeNil ?

— Oui ?

Alléluia !

— Puis-je parler à Angelo, s'il te plaît ?

— Qui le demande ?

— Will Marx, chuchoté-je presque, le cœur au bord de l'implosion.

— Will, répète-t-elle en un murmure.

Un silence s'installe, durant lequel l'angoisse m'étreint.

— Angelo n'est pas là, finit-elle par déclarer alors que j'avais ouvert la bouche avec l'intention de répliquer.

Des bruits étouffés s'élèvent du haut-parleur, puis des murmures presque imperceptibles se font entendre. Je me concentre, tente vainement d'écouter ce qu'il se dit. Bien que je ne comprenne pas, je suis pourtant prêt à parier que DeNil est présent et qu'il discute avec mon interlocutrice. Il refuse de me parler, c'est foutrement douloureux.

— Tu es Loli ? demandé-je malgré moi.

— Euh, oui...

— Est-ce que ton frère va bien ?

Un second silence évocateur surgit. J'ai la sensation que le sol se dérobe sous mes pieds.

— Oui. Oui... il va bien.

C'est faux. Il faudrait être bête pour la croire. La voix de Lolita était tout sauf assurée. Un nœud se forme lentement dans ma gorge.

— Peux-tu dire à Angelo de m'appeler quand il sera disponible, tenté-je tout de même.

— Oui, je lui passerai le message.

— Raccroche ! Putain Loli, grogne-t-il en pensant probablement être discret.

Mon cœur s'épuise lorsque la tonalité remplace le brouhaha que faisaient les DeNil. Je serre le téléphone dans ma main, trop brusquement puisque l'écran se fissure en un craquement sous mes doigts.

J'ai l'impression de manquer d'air. Je me sens une fois de plus rejeté alors que je désire être à ses côtés. J'aimerais prendre soin de lui puisqu'il ne porte aucun intérêt à sa sécurité. Il marche sans cesse sur un fil tendu à plusieurs mètres du sol et s'écrase tous les quatre pas, en se déchirant la peau et s'infligeant des douleurs atroces, tout en me faisant souffrir avec lui.

Je vérifie que mon portable soit encore en état de marche malgré l'écran brisé, puis l'enfonce dans ma poche. J'observe le papier avec l'adresse qui m'intéresse. Je ne compte pas baisser les bras et suis fermement décidé à avoir ce que je souhaite. S'il refuse de me parler alors il n'aura pas le choix que de me voir. Je peux me montrer persévérant. S'il faut que je reste devant sa porte jusqu'à ce qu'il se décide à me rejoindre, je le ferai sans l'ombre d'une hésitation.

— Enfin te voilà, s'exclame Pietro dans mon dos, je t'ai cherché partout, Casper.

Je fais face à mon meilleur ami qui sort tout juste de l'entraînement. Lorsqu'il croise mon regard, son visage se décompose. Il s'approche de moi à grandes enjambées et passe son bras par-dessus mes épaules. Il m'embrasse le front avant de prendre le chemin vers la sortie du lycée.

— Je pense qu'on a besoin de discuter, déclare-t-il. Ce n'est plus possible de te voir avec cette tronche.

Pietro me connait par cœur. Il faut que je cesse de me voiler la face, il a compris que j'allais mal à l'instant où j'ai quitté le taxi avec Angelo.

— Allez, raconte-moi tout, frérot.

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