Chapitre 20, partie 1 :

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Angelo DeNil :

Je suis anxieux dans le taxi qui nous déposera devant le bahut. Je trouve ça stupide de nous y rendre alors que nous sommes déjà dans un véhicule qui pourrait nous ramener du point A à notre point B à tous les deux, mais Marx a préféré suivre les instructions de sa mère et je ne lui en tiens pas rigueur.

— Arrête de t'agiter, me chuchote-t-il en posant fermement sa main sur mon genou. Pourquoi tu es si survolté ?

Je tourne la tête pour croiser son regard océan qui fait chavirer mon cœur.

Je ne souhaite pas briser ce petit lien qui nous unis, semblable à des menottes enflammées qui enserrent nos poignets, mais je n'ai pas le choix. Je serai incapable de gérer un problème de plus et ne veux pas être un poids mort pour lui. Pourtant au fond de moi je la sens, cette pointe qui me transperce de part et d'autre en songeant à la distance que je souhaite instaurer, celle que je vais respecter.

— Ne t'inquiète pas, dis-je feignant l'assurance. C'est simplement l'appréhension de voir l'état dans lequel est ma mère.

Il hoche la tête et me regarde avec peine. S'il savait qu'en réalité le seul de mes soucis à l'instant c'est la crainte de m'éloigner de lui, il ferait sûrement tout pour m'empêcher de partir. Ce n'est pas ce que je veux, plus grande sera la déchirure s'il essaie de me convaincre de rester. S'il reste loin de moi, je pourrais gérer à ma façon, me faire violence pour ne plus y songer.

— On y sera bientôt, dit-il tristement en observant l'église à travers le carreau du taxi.

Le lycée est au bout de la rue de ce monument religieux, et à partir de là je compte les secondes qui nous séparent de l'enfer.

Un.

Deux.

Trois.

Ombre répète chaque chiffre en chantonnant, comme si mes sombres pensées n'étaient pas déjà suffisantes pour me faire perdre la raison.

Quatre.

Cinq.

Six.

Sept.

Voilà, fracasse-toi contre le sol Lolo, vous êtes arrivés.

J'ouvre brusquement les yeux et réalise seulement que j'avais clos les paupières. La nuit est tombée, le ciel est sombre et dépourvu d'étoiles, un peu comme moi.

Dis au revoir à ton idylle, mon ange.

Je serre les mâchoires, enragé par cette idiote qui me nargue, désespéré parce que les doigts de Marx quittent les miens jusqu'ici solidement enlacés.

Je sors le premier de la voiture, sans prononcer un mot, ni même jeter un regard à Will, pourtant avant que je ne referme la portière je l'entends expirer son découragement. Je ne bouge plus lorsque j'aperçois la berline grise au milieu du parking. De celle-ci en sort un homme d'une élégance remarquable, puis Pietro Rivierra et enfin celle que je déteste sûrement le plus au monde depuis peu de temps.

Will pose à peine un pied à terre que Marianna lui saute dessus. Il vacille, s'appuie contre le taxi pour ne pas tomber alors que ses mains rattrapent sa petite-amie.

Ça me donne la nausée. Pourquoi dois-je être témoin de leur retrouvaille ? Pourquoi le sort s'acharne-t-il contre moi d'une manière si brutale ?

D'un geste rageur, je jette mon sac à dos sur une épaule. Je commence à avancer tout en essayant de ne pas perdre les pédales. Le regard de Will trouve le mien et je peux y lire tellement de choses que je clos les paupières une seconde pour encaisser le coup.

Je lui en veux énormément, et suis agacé de le detester parce qu'au fond il n'a aucun putain de compte à me rendre. Marianna et lui sont en couple depuis des années. Moi, je ne suis qu'un connard paumé qui l'a poussé vers l'infidélité pour une envie stupide de sensations. Je tente de me raisonner, de me dire que ce n'est pas grave, que je ne dois pas ressentir ce trou qui se creuse au fond de mon cœur, que ça n'a pas d'importance mais la douleur est telle que je n'arrive plus à respirer.

Will ne me quitte pas des yeux alors que je passe près d'eux. Son attention est uniquement portée sur moi bien que celle qu'il est supposé aimer est dans ses bras. Ça allège ma peine, panse une blessure ou deux mais la finalité est identique. C'est plus douloureux que tout ce que je pouvais imaginer. Ça s'annonce plus compliqué que ce que je pensais.

Je m'immobilise à quelques mètres d'eux, réalisant que cette conne ne touche pas le sol. Si je pouvais la tuer en un coup d'œil elle serait déjà gisante dans une marre de sang sur ce parking de malheur. J'aimerais qu'elle souffre, qu'elle agonise comme mon âme en peine, vagabonde et esseulée.

— Sa cheville va mal, les tiennes sont en parfaite capacité de supporter ton poids. Pose donc tes pieds par terre, craché-je acerbe.

Marx fronce légèrement les sourcils et la relâche rapidement, comme si elle était désormais bien trop lourde pour lui. La blonde me zieute de travers mais je me fous de ce qu'elle pense. Si elle n'est pas apte à réfléchir pour faire en sorte que Will n'ait pas trop mal, il faut que quelqu'un lui rappelle. Ce quelqu'un c'est moi, même si la jalousie a parlé à ma place.

J'épie Will prononcer quelques mots que je ne comprends pas mais qui visiblement ne plaisent pas à la princesse qui tape du pied. En une enjambée le corps imposant de Marx se dresse devant moi. Je lève le menton pour croiser son regard. Je m'attends à ce qu'il me réprimande mais comprends rapidement que je me fourvoie quand j'aperçois ses grands yeux clairs m'admirer avec douceur.

— Angelo, souffle-t-il, déclenchant ce chaos qui lui est propre dans le bas de mon ventre. Ne fais pas ça...

— Pas quoi... ? demandé-je sur le même ton.

Il a probablement oublié que son entourage nous observe puisqu'il me caresse du même regard que lorsque nous étions allongés sur le lit que Mike nous a incité à partager.

Ça va être un calvaire...

— Ne m'oblige pas à renoncer à toi.

Sa voix s'éteint sur son dernier mot et je bloque ma respiration en sentant cette blessure qui me déchire le cœur.

— Nous ne sommes pas compatibles, lui rappelé-je en un murmure.

— Bébé, s'élève la voix aigüe de Marianna, tu viens ?

Marx soupire en baissant la tête alors que je serre les poings pour éviter de lui demander aimablement, ou pas tant finalement, de fermer sa gueule.

Résigné, Will s'éloigne. Je l'observe, le cœur en miettes, avec l'envie de l'interpeller pour goûter une dernière fois ses lèvres avant de lui dire au revoir. Il me fait de nouveau face lorsqu'il arrive près de miss pimbêche. Son océan ne brille plus, ses iris sont éteints, ternes et malheureux.

— On te ramène, DeNil, tu ne rentres pas seul, déclare-t-il sur un ton qui ne laisse pas place à la discussion.

Je secoue la tête, reprenant enfin ma bonne contenance. Je délaisse ma peine pour regagner mon arrogance et mon entêtement.

— Mes chevilles vont bien, je n'ai pas besoin d'être porté, Willy, ricané-je sans quitter des yeux la peste qui bouillonne de rage.

Elle tente d'ouvrir la bouche, sûrement pour me traiter de tous les noms d'oiseaux qui lui passent par la tête, mais Marx l'en empêche en se mettant devant elle. Elle disparaît complètement derrière sa carrure imposante et je suis bien heureux de ne plus la voir. Ça me rappelle ce fameux moment où il s'est dressé devant moi quand Mike et Esmée nous sont tombés dessus dans la forêt. Je serre les dents en revivant la scène, son corps musclé qui faisait barrage devant le danger. Cette fois, les barricades ne sont pas pour la protéger, juste pour la faire taire mais cette vision ne me plaît pas pour autant.

— DeNil, dit-il fermement, m'indiquant que ce n'est pas le moment de le contredire.

Un rictus moqueur se dessine sur mes lèvres alors que j'avance d'un pas dans sa direction.

— Que se passe-t-il, Marx ? le provoqué-je.

— Monte, Angelo !

— Ne perds pas de temps, tu en as à rattraper.

Ses sourcils se froncent tellement que son front se plisse. Il n'est pas content, moi non plus, mais l'animosité est la seule chose que j'ai en poche pour ne pas m'effondrer sur le bitume grisâtre du parking.

— À plus, Marx.

Sur ces mots je m'éloigne sans me retourner, pourtant je sens son regard brûlant braqué sur moi. Quand je passe près de la berline, je salue son paternel en ignorant prodigieusement Rivierra. Je n'ai pas le temps d'aller bien loin puisque l'homme se plante devant moi pour m'obliger à m'arrêter.

— Grimpe, jeune homme, dit-il d'une voix claire et sans aucune agressivité. Je me sentirais coupable de te laisser ici après ce que mon fils et toi avez traversé.

Mes épaules s'affaissent, j'égare mon assurance. Will pouffe de rire, fier en comprenant que je ne tiendrais pas tête à papa Marx. Ce n'est pas l'envie qui manque, mais son regard fatigué me donne un aperçu de l'enfer qu'il a vécu pendant l'absence de son fils et je perds toute motivation de lutte.

— Salut, papa, s'exclame Will en enlaçant fermement l'homme déterminé qui lui sert de figure paternel. Content de te voir.

— Le plaisir est partagé, champion !

Il se dirige vers Pietro qu'il enlace également, dans une étreinte qui n'a rien à voir avec ces fois où j'étais calé entre ses bras rassurants.

— Tu m'as manqué, mon frère, avoue Rivierra en collant une bise bruyante sur la joue de son ami.

Dans la voiture, je reste silencieux, jetant des coups d'œil en biais aux doigts de Marianna qui caressent la jambe de son mec.

J'ai la tête qui tourne, j'étouffe dans l'habitacle et suis à deux doigts de me jeter en marche pour ne plus sentir son odeur qui inonde mes narines.

— Où vis-tu ? demande gentiment le père.

— Les quartiers sud, réponds-je en le fixant dans le rétroviseur central.

Il hoche frénétiquement la tête, alors que Pietro se tend légèrement, installé sur le siège passager, et que Marianna pouffe de rire.

Connasse !

J'ai envie de brûler sa tignasse. Ça risque de bien flamber puisque ses cheveux sont figés par une tonne de laque. Le seul qui ne semble pas perturbé par cette nouvelle, c'est celui qui est assis au centre dans la voiture et qui me rend dingue par sa proximité.

— Ouais, je ne suis pas issu des coins embourgeoisés.

Instinctivement, la cuisse de Will vient se coller contre la mienne et ce rapprochement a la capacité de me calmer très légèrement ainsi que de me perturber atrocement. Je remarque sans mal l'écart entre ses deux jambes qui me prouve que le contact était voulu, j'aperçois également que la seconde ne touche pas Marianna bien que ses doigts à elle continuent leurs caresses.

Il joue avec le feu, s'amuse Ombre.

Je l'ignore, bien trop fasciné par la jambe de Marx contre la mienne et non contre la blonde de l'autre coté. J'ai énormément de mal à respirer, mes mains commencent à trembler et maladroitement je tâte mes poches pour sortir mes médicaments. Will me fixe avec inquiétude alors que j'en avale un.

— Vous pouvez m'arrêter là, je suis à deux rues de chez moi, dis-je la voix chevrotante.

— Tu es sûr ? commence celui qui tient le volant. Je peux...

— Oui, certain ! le coupé-je hâtivement.

Il ne réplique plus et ralentit jusqu'à stopper le véhicule. J'en sors aussi rapidement que si ma vie en dépendait et respire profondément, pour tenter de calmer la brûlure dans ma poitrine.

J'entends une portière se refermer et devine que Will m'a rejoint sur le trottoir.

— Angelo, dis-moi ce qu'il ne va pas, m'encourage-t-il d'une voix douce.

Je lui fais face, mais recule de deux pas pour maintenir une distance entre nous. Ses yeux bleus me sondent, à la recherche d'une réponse.

— Je ne vais pas y arriver, Marx.

— De quoi tu parles ? demande-t-il en tendant une main dans ma direction comme si j'étais un animal apeuré.

— Ça, réponds-je en faisant de grands gestes autour de nous. Je ne veux plus que tu m'approches.

— Angelo, souffle-t-il en s'approchant davantage. On peut en discuter ?

— Non ! Ne t'approches plus de moi, William. Je t'en prie, ce serait trop... difficile.

Je me mets à courir sans lui laisser le temps de répondre. Je veux m'éloigner de lui et ignorer le fait d'avoir l'air d'un désaxé. Je cours à m'en faire brûler les poumons et exploser le cœur, jusqu'à ce que j'arrive chez-moi et que je déboule dans la maison comme une furie. Je m'adosse contre la porte et me laisse glisser vers le sol, ravagé par la tristesse et la douleur, possédé par une crise de sanglots destructeurs.

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